La Power-Ball de la république

Nos élites sont restées de vrais enfants gâtés dans l’âme : avec les jolis avions, les jolies fusées, les belles voitures, les motards qui font ouiouiouiouiouin, les jolis costumes, la musique et tout le tralala. Ils ont toutes les panoplies, tous les instruments. Toutes leurs envies leur sont régulièrement passées, et si elles ne leur sont pas accordées, ils piquent dans le pot de confiture. De vrais gamins, je vous dis…

Dernièrement, on en a l’illustration flagrante : il y a quelques temps, le petit Dominique s’est procuré une magnifique boule super-rebondissante en caoutchouc. Avec ses paillettes colorées, son beau logo “clearstream” sérigraphié, et un emballage publicitaire alléchant, elle était trop belle et il n’a pas pu se retenir : il l’a rapidement récupérée.

Dès qu’il l’a eu en main, zou, il l’a envoyée dans la tête de son rival de classe, le petit Nicolas. Ce dernier en a tout de suite pris ombrage ; on peut le comprendre ; en plus, comme il est plus petit que les autres, il est un peu le souffre-douleur du groupe de garnements, et trouve parfois le temps long à supporter leurs brimades, surtout quand il n’en prépare pas lui-même pour les autres.

Mais ce que Dominique a oublié, c’est qu’une superballe, ça rebondit (c’est même pour ça que c’est fait). Après un trajet erratique la faisant rebondir dans des flaques boueuses éclaboussant Jacques, le vieux maître d’école (qui n’a plus toute sa tête, de toute façon), et dont Dominique voulait pourtant conserver la bienveillante attention (il est son choucou, il faut dire), la superballe est directement revenue tâcher son beau costume.

Jacques fulmine. Comme il n’a pas vu qu’il avait fait des tâches de yahourt sur son pantalon ce midi au réfectoire, il se croyait encore immaculé mais la vue de sa chemise constellée de petites tâches de … merde le remplit d’une fureur à peine tempérée par les sentiments paternalistes et troubles qu’il éprouve pour le petit Dominique. En plus, il risque de se faire attraper par Bernadette, sa femme, qui risque de le rouspéter gravement pour s’être, encore une fois, fait passer pour un imbécile devant les parents d’élèves qui viendront chercher leurs remuants rejetons ce soir.

De son côté, Nicolas articule silencieusement à l’adresse de Dominique un “T’v’ahar ta gueule à la récré” que Dominique sent nettement vindicatif. Et si Nicolas est de petite stature, il n’en est pas moins teigneux. En plus, il est toujours suivi de son clébard idiot, un cocker triste et un peu pétomane, Borloof (c’est le bruit qu’il fait des deux côtés de son tube digestif – l’entrée dentée et la sortie toxique).

Il apparaît évident que le délégué de classe ne va pas le rester longtemps. Il a déjà fait pas mal de bêtises dans le semestre, et le coup de la superballe fut probablement le coup de trop.

Evidemment, quand certains parents inquiets ont demandé, le soir, des explications au maître d’école, celui-ci a expliqué ce qu’il a pu de l’affaire ; mais personne ne le croit plus vraiment, il gatouille un peu – c’est sa dernière année de classe et personne n’ose lui expliquer clairement qu’il vaudrait mieux pour lui prendre sa retraite – et claquer dans un coin – : sa petite maternelle, c’est tout, pour lui.

D’autres, plus pragmatiques, commencent à demander que des sanctions soient prises ; au moins, pour des raisons de logique, que le délégué de classe soit démi de ses “fonctions”.

Les parents ont obtenu gain de cause : comme le maître Jacques répète à l’envi que “non non non, le petit Dominique conserve toute ma confiance”, on sait à quoi s’en tenir – bah oui : à chaque fois que le père Jacques s’est accroché à des positions fermes, c’était pour mieux les lâcher en cours de route, sonner la débâcle et se réfugier dans son petit meublé dans le giron de Bernadette la cacochyme … Ce qui veut probablement dire que la conviction du futur retraité doit déjà commencer à s’effriter.

Les spéculations vont bon train : qui sera le prochain délégué ?

Certains comiques ont proposé le petit cocker triste, Borloof, mais c’est évidemment une boutade. Nicolas, qui connaît bien les défaut du maître d’école, ne veut surtout pas de cette place empoisonnée. Le petit Philippe (celui qui s’occupe des relations et collectionne les bévues avec les autres classes) a vaguement été mentionné. Mais son aspect un peu niaiseux n’aide pas. Et on en vient à piocher des noms parmi les besogneux scribouillards des rangs du milieux de la classe. Pas franchement les bons (la classe est d’un niveau trop faible pour qu’une intelligence se dégage vraiment), pas les mauvais mauvais non plus, il ne reste guère que les médiocres.

Finalement, Borloof risque bien d’écoper du poste ; la petite classe, dont seule une fenêtre s’ouvre correctement (les autres, vieillies par le temps, sont coincées en position fermée), va probablement devenir irrespirable en été, quand les problèmes intestinaux du pauvre toutou sont les plus aigus.

Mais il faut bien quelqu’un une personneun animal un machin pour occuper ce poste, non ?

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