Du libéral pestiféré à l’ochlocratie

Un ouikande en hiver, quand il ne fait pas beau et qu’aller faire du vélo dans la boue ou sous la pluie ne botte pas trop, on fait des crêpes, et on divague, on ratiocine, on se laisse aller à quelques réflexions. Des crêpes ? Du sucre ? De la réflexion ? C’est le cadre idéal pour des réflexions décousues et des crêpes au sucre.

Et quand on parle crêpe, on pense repas. Ce qui amène à une dure constatation : faire son coming-out libéral dans un dîner de famille en France déclenche facilement des réactions hostiles…

Le libéral, par caricature, étant présenté comme quelqu’un qui n’aide pas (puisqu’il refuse la collectivisation de la solidarité), correspond à cette catégorie honnie de l’égoïste sans coeur.

Exposée brutalement, ou en la réduisant à ses aspects économiques, la pensée libérale semble mal s’accomoder avec la pensée traditionnelle pour laquelle il est un devoir d’aider, ne pas aider est un crime, contribuer à ne pas aider est un crime, et pire, aider ceux qui contribuent ou supportent la non-aide est un crime. Dans ce cadre, l’argent, et spécialement le profit, sont maléfiques et teintés de la marque du diable : ils ont été obtenus en vendant son âme au diable, pas d’autre issue possible !

Toujours dans cette caricature, et pour la plupart des gens, la force mentale et physique nécessaire pour vivre dans un monde vraiment libéral (voire anarcho-capitaliste) manque aux gentils citoyens doux et fluffys (comme ceux qu’on retrouve par paquets gluants qui bloguent sur internet) : le libéralisme étant perçu comme un abandon pur et simple de la solidarité (puisque l’Etat ne s’en occupe plus), seuls les plus forts survivent.

En pratique, s’exprimer haut et fort en tant que libéral est admissible si (et seulement si) l’on est, par exemple, patron d’une ONG indépendante à succès (éventuellement buriné et musculeux, le sourire enjôleur et le regard malicieux), ONG qui aide plein de gens dans la bonne humeur tout en faisant de petits bénéfices – pas de gros, ce serait Maâal – , ou encore, si on s’appelle mère Thérésa ; en revanche, si l’on a bénéficié (!) du privilège (!!) douteux d’être un Français (p.ex), avouer sans pudeur son libéralisme revient à émettre une plainte d’enfant gâté. Après tout, si l’on est capable de s’exprimer, notamment par internet, c’est que la ponction étatique est supportable et que la démocratie le permet; c’est la majorité qui a décidé cette ponction, elle est donc nécessairement juste et justement nécessaire. Réclamer moins d’Etat devient alors “réclamer moins d’impôts”, et, par extension, vouloir être moins solidaire.

En face de ça, tous le peuple déclaré clairement de gauche (i.e. officiellement “solidaires”, “généreux”, etc…) sont “alters”, galériens et artistocomprenants, et/ou fonctionnaires, avec toute une brouettée de propositions étatiques à essayer (et, partant, des siècles d’amusements en prévision) ; pour améliorer la Machine à Prouts Etatiques, ils proposent des expériences traumatisantes vécues, en kits ou à refaire chez soi, avec pour certaines, un nécessaire de camping utilisé plusieurs fois. Grand.

La boucle est bouclé : on a vaguement le droit d’être libéral si l’on est officiellement estampillé Généreux, ou officiellement Pauvre et Malheureux (et encore) ; mais si l’on est bien portant, on n’a pas le droit de se plaindre et le libéralisme devient au mieux une source de moqueries, au pire un affront à la bonne tenue des dîners de familles bienpensants.

Pour bien stigmatiser le libéral, on versera immédiatement dans l’anathème. Le plus commun, c’est “fasciste”. En gros, dès lors qu’on réclame simplement la liberté de vouloir être laissé en paix, on devient égoïste, éventuellement à tendance poujadiste, puis, au fur et à mesure que les revendications deviennent concrètes, qu’on exprime clairement qu’on ne veut plus être coupable par lâcheté de l’appauvrissement de son prochain en laissant faire, en laissant dire des conneries collectivistes, on sombre, aux yeux des autres -qui eux, non seulement ne veulent pas devenir riche, c’est Maâal, mais en souhaitent autant pour le voisin – dans le fascime.

Alors que le gôchiste comprend le monde et ses souffrances, est en phase avec les interrogations du monde, palpite et vibre aux rythmes des événements planétaires par solidarité avec toutes les révolutions populaires et les printemps de démocrates, le facho, lui, a toujours nagé dans l’argent et pleure dès lors qu’on lui en prend seulement un tout petit 60 %.

Et même quand un libéral tombe d’accord avec un gauchiste, ce n’est pas le gauchiste qui émet un avis libéral, c’est en fait le libéral qui fait un effort d’intelligence pour être de gauche et goûter à la joie subtile (mais de courte durée) d’un Q.I au dessus de 64, réservé aux élites de gôche (on pourra s’en convaincre avec la petite vidéo trouvée ici).

Alors bon an, mal an, le libéral se fait discret. Il évite soigneusement la politique aux repas de famille, aux repas d’affaire, à tous les repas, et reprend deux fois du poulet ou des haricots beurre en attendant que les convives aient terminés de fustiger l’inaction gouvernementale contre les OGM qui nous détraquent le temps, déciment le thon rouge et provoquent un afflux de SDF et n’endiguent pas la pauvreté et le chômage; à ce rythme, le libéral prend du ventre à mesure que ses frustrations augmentent.

Renfrogné et silencieux, on se tait ou l’on ne se revendique en tout cas plus rien du tout.

Dans ce cadre, l’individu n’a plus aucune latitude (comme bien se loger quand on est jeune et pas riche), ce qui avantage des logiques de bandes : il devient plus facile de se mettre en groupe pour squatter un immeuble que de rester “dans les clous”, pratiquer en tant qu’individu le parcours le plus légal ou normal possible. Pour l’instant, c’est anecdotique, les individus séparés étant plus nombreux que les ‘bandes’.

Néammoins, l’Etat favorisant cette logique partout, tout le temps, on peut s’attendre à un effet social à grande échelle au fur et à mesure que les besoins seront plus importants. Cette logique, on pourrait la nommer UFF : “l’union fait la force” i.e. “l’Union Fait la Force absolue, qui peut devenir légale et armée, pour dominer toute question et écraser toute adversité”.

D’un autre côté, l’Etat massif en cours de fossilisation garantit une grande résistance du système à toute dynamique de changement (il n’est qu’à voir la prudence quasi-obsessionnelle des présidentiables dans leur propositions de “Changement Mais Pas Trop Et Dans la Continuité Durable”) : comme nageant dans du béton, les acteurs en présence doivent s’adapter à ce milieu : les réseaux de média garantissant un bon retentissement aux mouvements de bandes, de groupes, ou de masses, en dopant leur communication, c’est la logique UFF qui prime.

Pour l’instant, la culture télévisuelle dominante limite les engroupisés gauchistes ou les collectivistes mal assumés à la logique “Je Gueule” + “Je Passe A La Télé” => “Action Du Gouvernement”, via la fameuse “pression populaire” ou, plus pompeusement, ochlocratie. Petit à petit, l’ochlocratie provoque la paralyse lente des systèmes régaliens et accroît la fossilisation de l’Etat : il se bloque lui-même, et l’ochlocratie, provoquée par les demandes individuelles particulières de plus en plus fortes et de plus en plus disparates, se bloque aussi.

Les deux larrons s’inhibant l’un l’autre deviennent totalement inefficaces, obligeant le peuple à s’emparer de la logique UFF pour agir de lui-même. Concrêtement, au niveau individuel, l’Etat devient quasiment inactif (ex: la police ne protège plus personne), et les gens apprennent très vite la logique UFF pour chaque petit aspect de la vie quotidienne. C’est ce qu’on constate de plus en plus pour les revendications fourre-tout, surtout en période pré-électorale.

Ponpon de l’affaire, au lieu de devenir le paradis de solidarité festive et citoyenne rêvé par tous les collectivistes ayant déclenché les mouvements de foule, la société devient un enfer de bandes rivales appliquant une logique UFF qu’elles ont appris et mis en pratique grâce – précisément – au concours actif et soutenu de l’Etat…

On attend avec impatience l’instauration d’un Droit Constitutionnel à la Rigolade. Il va y en avoir besoin 🙂

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Commentaires11

  1. NL

    J’aime beaucoup cet article que j’ai transmis à des amis qui ne partage pas les idées libérales.
    Je pense que c’est avec ce genre de texte simple qu’on arrive petit à petit à faire passer des idées.
    Merci H16 !
    Meilleurs voeux
    NL

  2. laurett

    Je me retrouve (malheuresement) dans ce que tu dis…

    L’article que j’ai fais sur Ne Cede Malis en témoigne
    jesrad.wordpress.com/2007…

    J’ai pris 7 kilos (je ne dirais pas depuis que je suis libérale car je l’ai toujours été même si je n’ai réussi à mettre un nom sur mon "mal" que récemment, mais plutôt depuis que j’ai une envie furieuse de faire connaitre mes idées et que je me heurte toujours aux mêmes murs, certains en briques, d’autres en béton armé).

    Pour vous dire à quel point les libéraux sont mal vus : les gens se sentent obligés d’être en désacord avec eux, même s’ils ne le sont pas.
    Ma grand mère, mon beauf frère et moi parlions de l’éducation nationale.
    Je commence par leur dire que ce mamouth est mal géré.

    Ils me rétorquent que non, ce n’est pas mal géré, que je n’ai pas le droit de dire ça, etc…

    S’en suis une conversation entre les deux de bien 30 minutes, durant laquelle chacun d’entre eux s’est évertué à pointer du doigts que "tout fout le camp", les profs sont mal formés, on n’apprend plus rien aux gamins, la méthode globale c’est une horreur… etc…

    Alors je leur fais, "et bien : on est d’accord, l’éducation nationale est mal gérée !"

    Et eux me rétorquent : "mais non, tu ne peux pas dire ça !"

    Qu’on m’explique alors ce qu’est la mauvaise gestion sinon de l’argent mal utilisé ?

    Là, j’ai pas pu reprendre des haricots beurre, on en était au café… le petit être fragile que je suis a prétexté une envie de pisser pour aller chialer un bon coup à l’abris des regards. Ils auraient été trop satisfaits.

  3. SpiceTrooper

    bonjour!
    l’obligation de la fermer est un tres bon exercice 🙂 (sans rire)

    je m etais toujours demande comment par exemple nazisme ou fascisme avaient pu se developper dans une societe a lorigine ouverte et pluriculturelle.
    Nous en avons en France l’illustration tres claire.
    Ce n’est pas anecdotique.
    C’est le premice aux graves evenements qui auront immanquablement lieu bientot: le debat intellectuel (liberaux vs le reste) a moins d’importance que cette sale tendance de plus en plus nette qu’ont les omnipresents gochistes a vouloir casser du riche, du bourgeois, du vieux, du flic, du non-syndique, du proprietaire, du banquier, du costume cravate, du pas comme eux.

    backlash et retour a l’ordre il y aura.
    Avant cela, il vous faudra assurer par vous meme.
    Armez vous.

  4. KaptN

    Merci h16 pour ce post comme d’habitude divertissant, plein de vérité, et vidé de tout notre dogmatisme abrupt qui pourrait choquer les non-initiés.

    Je me reconnais bien dans la situation évoquée par ton post, j’essaie, je lance "il faut supprimer le SMIC" en plein repas de famille (le flop a été total, évidemment) ou encore "on pourrait très bien se passer du service public, le privé ferait bien mieux" (même résultat).

    Je fais mieux d’être plus diplomate et moins agressif depuis quelques temps, mes propos portent mieux leurs fruits ainsi.

  5. @laurett: ce billet était à peu près fini lorsque je suis tombé sur le vôtre sur Ne Cede Malis – très ludique, au demeurant. Je n’ai pu m’empêcher d’y penser 😉 – les expériences douloureuses sont souvent les mêmes.

  6. laurett

    @h16 : Merci pour le ludique ! Je pense qu’on a tous un peu la même expérience en matière de confrontation des idées libérales avec les préjugés franco-collectivistes.

    @KaptN : Le "il faut supprimer le SMIC", je l’ai tenté à la cantine (heum, pardon, au restaurant d’entreprise 🙂 ).
    J’ai un collègue qui a faillit s’étrangler et il a bredouillé "tu veux supprimer le RMI, tu es contre les pauvres, ils vont pas s’en sortir sans le RMI"
    J’ai pas trop pigé son association d’idées.

    Sinon, j’ai aussi tenté le "il faut réduire l’état à son minimum", ce qui m’a valu un très joli "tu veux privatiser l’armée !", et un sublime "mais tous les fonctionnaires vont être au chômage !"

    Le coup tordant, c’est quand en pleine crise du CPE, j’ai lancé qu’il fallait revenir sur les 35 heures, parce que je voulais avoir la posibilité de travailler plus (j’en ai un peu marre de travailler pour la gloire passé 7 heures / jour)… Le gars avait encore sa purée dans la bouche, il est devenu tout rouge et il a crié "mais, nos acquis sociaux !"

    Au boulot, je peux tenter des coups comme ça (mais pas plus d’un toutes les une ou deux semaines, sinon y’en a un qui va finir par s’étouffer un jour), parce que je suis jeune les collègues me prennent en pitié en mettant mes prises de position sur le compte de mon enthousiasme naïf de jeune écervelée et sont ravis de m’expliquer la vie 😉
    C’est très frustrant, mais ça fait des jolies petites perles pour notre blog à jesrad/namu et moi.

  7. pod

    Ah Laurett,
    "… 35 heures "Le gars avait encore sa purée dans la bouche, il est devenu tout rouge et il a crié "mais, nos acquis sociaux !"

    L’histoire ne dit pas si le saint homme s’est enfin étranglé, perdu dans son maquis social…

    ALORS ?

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