Lobby affectif

L’avantage d’un Etat, c’est que par nature, il permet à quelques personnes de disposer d’un important levier pour obtenir ce qu’elles veulent. Il en va ainsi de tous les lobbies dont la fonction est précisément d’utiliser la force immanente de l’Etat non pour un hypothétique intérêt général mais bien pour un intérêt particulier bien compris. On retrouve le même mécanisme de lobby avec certaines associations non-gouvernementales qui voient midi à leur porte et en la coercition étatique un moyen idoine à leurs petites lubies ou leurs grands desseins.

Ce mécanisme de lobbyisme est à l’oeuvre, par exemple, pour favoriser des politiques spécifiques en ville, visant par exemple à pourchasser le 4×4 hors des rues, greffer un vélo à chaque paire de fesses francilienne, ou encore faire sucer de l’éthanol à nos voitures plutôt que du pétrole.

De la même façon, on retrouve aussi du lobbyisme quand il s’agit de défendre bec et ongles une fusion entre le gazier national et Suez, fusion qui en réalité satisfait surtout une certaine vision de la Fraônce et certaines personnes concernées, bien avant les consommateurs ou les actionnaires des deux sociétés considérées. Au vu de la performance globale de l’opération, on peut se rassurer en se disant que nos énarques ont encore perdu une occasion coûteuse de se taire.

On retrouve – encore ! – ce mécanisme lorsqu’il s’agit de favoriser, par exemple, le développement du rail en Europe, tout en protégeant (à mort, l’expression n’est pas trop forte) le monopole de droit – pourtant caduc – du frêt sur rail en France.

A chaque fois, et comme dans ces quelques exemples, le lobbyisme est relativement facile à déceler : on a un groupe de personnes identifié, un but clair, un bénéfice sonnant et trébuchant, et une cible d’action évidente. Dans tous les cas, il y a l’utilisation de la force publique pour atteindre un but qui est plus ou moins moral, plus ou moins louable et plus ou moins désiré par ceux qui payent (nous). La moralité de l’ensemble de l’opération est d’ailleurs directement mesurable à la quantité de vaseline importée dans le pays.

Il existe cependant une autre forme de lobbyisme, plus délicat à déceler : le lobbyisme affectif. Dans ce cas, il ne s’agit pas de se verrouiller une position sur un marché, ou de s’assurer un avenir plus radieux en forçant la majorité à vous suivre, tout en expliquant à cette majorité qu’elle pourra toujours toucher un bénéfice collatéral par la suite. Ici, le but est de mobiliser la force de l’état pour dénouer une situation donnée, et pour le bénéfice exclusif et parfaitement revendiqué d’un groupe unique de personnes (ou d’une personne seule, à la limite). Le bénéfice pour la majorité étant quasi-nul ou extrêmement faible, le lobby affectif jouera donc sur l’aspect hautement moral de sa démarche.

On peut régulièrement observer ce genre de comportement, notamment dans des situations de crises avec des otages. On se rappellera comment, par l’utilisation de ce lobby affectif, le gouvernement français avait réussi l’exploit à moralité douteuse de financer les attentats irakiens par journaliste-otage interposé.

Dans ce dernier cas, on avait l’excuse que les journalistes embobinés dans ce chausse-trappe étaient ressortissants français, et qu’ils étaient là-bas dans l’exercice de leur travail, encore qu’ils aient été clairement avisés de ne pas le continuer compte-tenu de la situation.

Actuellement, l’affaire bulloie et moussoie avec Ingrid Betancourt. Cela fait maintenant plus de 5 ans (depuis le 23 février 2002) qu’elle est otage des FARC en Colombie. De multiples groupes de soutien se sont organisés et font donc, logiquement, du lobbyisme affectif pour obtenir sa libération.

De même qu’on ne peut être, humainement, contre les actions menées pour obtenir la libération de journalistes, ou d’otages de façon générale, détenus par des salopards un peu partout dans le monde, la détention de cette personne déclenche tout naturellement de la sympathie pour ceux qui agissent directement pour la faire libérer.

Mais cette sympathie ne dispense tout de même pas d’une nécessaire prise de recul.

Imaginons la situation suivante : un quidam courant, pas du tout artificier de son état, s’amuse à démonter des obus de la seconde guerre mondiale. L’un deux explose et lui emporte – mettons – quelques membres et deux reins. Trouverait-on normal de faire un battage médiatique et d’invoquer la puissance publique pour que son cas soit traité au plus vite en le mettant en haut de la liste des personnes receveuses d’un don de rein ? Après tout, à bricoler avec le feu, il a eu ce qu’il mérite… surtout s’il est père de plusieurs enfants et qu’il a reçu moult avertissements de plusieurs personnes parfaitement aptes à juger du sérieux de la situation.

Et pourtant, dans le cas Betancourt, cela moussoie et cela bulloie. Comparons avec la situation fictive ci-dessus : elle s’est rendue dans une zone dans laquelle les risques d’enlèvements étaient très très forts. Elle a, globalement, envoyé balader les avertissements qui lui furent faits. Elle était déjà mère de plusieurs enfants à cette date. Elle était tout à fait au courant de la situation et de ce qu’elle risquait.

Je cite ici Wikipedia, mais on peut facilement recouper ces informations un peu partout sur internet :

Le 23 février 2002, le Président Pastrana part en hélicoptère vers San Vicente del Caguán dans le but de rendre officielle la présence des forces armées dans la commune. Ingrid Betancourt, alors en campagne présidentielle, décide de faire acte de présence et d’accompagner le maire de San Vicente qui appartient à son parti politique.
Ingrid prend la route de Florencia (capitale du département) qui mène à San Vicente del Caguán malgré les avertissements du gouvernement lui signalant la présence de guérilleros dans la zone et l’informant des combats qui avaient lieu. Alors qu’une dernière barrière militaire empêche le convoi de continuer et que les militaires annoncent la présence des guérilleros quelques kilomètres plus loin, Ingrid donne l’ordre à son conducteur de poursuivre sa route. Avant de repartir, les militaires lui demandent de signer un document dans lequel elle se rend responsable de cette décision prise à l’encontre des avertissements qui lui avaient été adressés. Quelques kilomètres plus loin, Ingrid et Clara Rojas, sa directrice de campagne, sont arrêtées et enlevées par les FARC.

Ingrid Betancourt a été étudiante à Science Po en France, et amie de Villepin notamment. Moyennant quoi, les média s’en donnent à coeur joie pour relayer toute l’affaire et monter l’ensemble en épingle. Le changement de président à la tête de l’Etat français aura d’ailleurs généré un surcroît d’activité autour de son cas…

Mais le pompon de l’affaire, ici, réside tout de même dans le fait qu’en plus de son obstination à vouloir se faire enlever (et y parvenir), elle n’est pas Française ; sa famille l’est, mais … elle en a divorcé depuis 1990. Ce qui veut dire que les actions menées par sa famille pourraient fort bien et surtout l’être auprès de l’Etat colombien dont elle est ressortissante. Pendant ce temps, en France, il existe certainement des situations plus critiques pour des douzaines de familles, et pour lesquelles l’Etat français peut effectivement quelque chose. Le pataquès est tel et la situation colombienne si confuse que les relations diplomatiques franco-colombiennes s’en retrouvent tendues notamment à cause de cette affaire.

Il existe des douzaines de raisons pour se mobiliser et faire libérer cette femme. Au même titre qu’il existe les mêmes raisons pour faire libérer n’importe quel otage dans n’importe quelle partie du monde. Pourquoi, dès lors, celle-là plutôt qu’une autre ? Pourquoi l’Etat français devrait-il mettre ses moyens pour la favoriser elle plutôt qu’une autre ? L’égalitarisme qui baigne les statolâtres devrait leur faire noter qu’il y a bien ici l’introduction d’une différence de traitement scandaleuse entre les connus, les médiatiques, et les pauvres, les petits, les sans amis journalistes ou les moins que rien. L’aspect moral semble échapper à cette affaire…

Mais l’ironie du sort va encore plus loin. Car si l’on prend encore un peu de distance, on peut noter que ces prises d’otages s’inscrivent dans des contextes de luttes purement étatiques : les FARC veulent ici faire pression sur le gouvernement colombien qui les pourchasse (et parvient en tout cas à lui causer des soucis compte-tenu des relations franco-colombiennes résultantes).

Et le fait même que ce lobbyisme affectif finit par fonctionner donne encore plus de crédit à ceux qui usent de la prise d’otage.

Au final, si l’otage est libérée, et il planera toujours un doute sur l’éventuelle rançon payée et l’argent dépensé pour obtenir cette libération. La libération d’Ingrid Betancourt se traduira, concrêtement, par combien de kilos de cocaïne produite ou d’armes achetées ?

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Commentaires5

  1. miniTAX

    Le grand responsable de cet humanitarisme sélectif pour ne dire glamour, c’est tout autant l’Etat-français-qui-peut-tout que les médias, avides de sensationalisme larmoyant.

    Un preneur d’otage avisé (car en général, il ne peut qu’être bête et sanguinaire) saura désormais qu’il faut éviter comme la peste un yankee – il ne pourra rien en tirer, le gouvernement US ayant décidé, avec ses manières habituelles de cowboy de ne pas négocier – et qu’il vaut mieux se trouver un bon frenchie bien dodu qui pourra se monnayer cher sur le marché international du terrorisme.

  2. Martini

    Si un membre des Forces Zarmées Rrrrrévolutionnaires Kommunistes lis ceci: s’il vous plaît, délivrez les 60 millions de Français otages des Bettancourt ! Il suffirait d’une balle.

  3. Laglute

    Nous avons eu également ce type de problèmes avec les ONG envoyées en Afghanistan. En effet, on envoie des humanitaire là-bas, ils se font enlever, et une pression est faite directement sur les gouvernements des humanitaires ( rançons ? ). Quadruple peine, donc. Le cout de l’humanitaire lui même, son enlèvement et donc les conséquences en gesticulations qui en découlent, donc éventuelle rancon, enfin le travail non accompli du fait de l’enlevement puis enfin the last but not the least, on a directement financé le terrorisme avec l’aide de l’humanitaire si rançon.

    Des fois, je me demande si ces deux parties ne sont pas de mèche ( je sais, j’ai l’esprit très tordu )…

    Au final, comme le dit Minitax, vive les frenchies dodus, sont blindés de thunes…

    Faudrait y pas d’abord faire le ménage dans tous ces pays avant d’y aller ?

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