Culture et dépendance

C’est l’histoire de Christine. Christine, c’est une élève très sérieuse, qui a bien bûché ses cours, qui a bien toujours été dans le moule et qui a bien fait ce qu’on lui disait de faire, là où il fallait le faire, sans déborder. Comme Christine, elle a essayé toutes les couleurs de la droite (RPR UDF, MPF, DVD puis UMP), elle a fini par bien connaître les rouages de la politique du pays. A force de petits arrangements, Christine a fini par décrocher un poste de ministre de la Culture…

Comme elle est agrégée de lettres modernes, elle sait bien écrire des jolis discours fleuris qu’elle peut refourguer pour pas trop cher à ses patrons, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy.

Et le jour où elle prend la Culture en main, on s’imagine qu’elle va continuer à faire quelques petits discours colorés, commenter les légions d’honneurs distribuées comme autant de hochets à des célébrités vieillissantes portant le flambeau fumeux d’une culture fraônçaise plaqué or, distribuer quelques prix par-ci et par-là, voire, à l’extrême limite, pleurnicher en prose sur la mort d’un scribouillard quelconque, d’un laborieux acteur trop connu ou d’un couineur de chansonnettes pour midinettes.

Mais malheureusement, cette sinécure dérape.

Avec toute cette modernité galopante, ces petits ordinateurs qui font chblick et chblonk, ces lecteurs MP3 au design californio-pommisés, ces réseaux tentaculaires qui se parlent entre eux, la Culture représente un champ de déconnade toujours plus grand. Ainsi, non seulement son ministère s’occupe de financer avec nos sous des branleurs qui improvisent des longs métrages coûteux sur le thermomoulage d’étrons en plastique, mais en plus doit-il maintenant s’occuper aussi de donner son avis en matière d’internet.

Or, la Christine, mis à part distribuer les médailles en chocolat, boire du champibulle dans les swârées coquetaile et se lancer dans des ouvrages littéraires barbants, eh bien … elle n’y compris que dalle, à ces nouvelles technologies.

Elle n’y comprend même tellement rien, qu’elle a décidé d’aller demander de l’aide.

A un bouquiniste.

Il s’agit d’un certain Denis O., lui aussi … agrégé de lettres. C’est un diplôme qui donne du poids – eh, pensez donc ! Christine en a un tout pareil – à toutes les réponses qu’il pourra lui fournir en matière d’internet, d’ordinateurs et de toutes ces choses compliquées et électriques qui font du bruit quand on appuie dessus.

Note pour plus tard : quand j’aurai un problème avec ma voiture, comme je ne suis pas garagiste, j’irai voir … un blogueur pas garagiste, par exemple spécialisé dans la finance, l’informatique ou la botanique, comme ça, je suis sûr d’avoir des réponses intéressantes à mes questions. Ceci sera d’autant plus utile que je ne payerai pas moi-même pour les réparations, ce qui me dispensera de tout contrôle élémentaire sur les réponses fournies. Aussi farfelues soient-elles, comme elles viendront d’un type qui a des compétences similaires aux miennes, je dirai “Banco, l’ami, tope-là”, et l’affaire sera pliée. Pratique, cette méthode, non ?

Nous l’appellerons Albanellerie. L’albanellerie sera la méthode de résolution de problèmes basée sur l’utilisation astucieuse de compétences choisies au hasard parmi celles qui sont le moins susceptibles d’apporter des réponses. Ca promet des effets rigolos en matière de management créatif, tiens.

Je devrais poser un copyright, (r), ™ sur tout ça…

Bref.

Christine, elle a un problème : il y a des gens qui viennent la voir, et qui se tordent les mains de douleur en sanglotant devant elle. D’habitude, elle donne une subvention, file un hochet une médaille, ou une réception, et hop!, ils repartent content. Mais cette fois, les couineurs ne semblent pas se satisfaire des ors de la république dilapidés pour eux. Non, ce qu’ils veulent, c’est une loi contre le P2P.

Dit comme ça, évidemment, ça laisse la pauvre Christine perplexe. Il faudra une phase de plusieurs heures pénibles de petits dessins, de grognements et de petites simagrées pour expliquer exactement de quoi P2P retourne, mais globalement, Christine comprend que ça la dépasse, et … qu’il faut agir. Et comme elle ne sait pas trop dans quelle direction il faut courir en agitant les bras, elle va voir son copain libraire.

Notre Denis O., lui non plus (évidemment), n’y comprends pas des masses, mais comme Christine, c’est une bonne copine, il va faire un effort, et tenter, sur une feuille grand format petits carreaux, de résumer ses idées. Il va donc consulter quelques uns de ses amis, dont certains ne sont pas que dans sa tête, comme Babar ou Tintin … euh, non, pas eux justement, disons des gens qui existent en vrai, et va leur demander aussi leurs avis histoire d’avoir des choses à écrire sur son petit cahier.

Ca prend un certain temps. Le problème, avec les amis qui ne sont pas dans sa tête, c’est qu’ils s’expriment de façon compliquée, avec des mots comme cryptographie, anonymisation, http tunneling, IP masquerading, spoofing, port knocking et tout ça, et ça n’aide pas.

Alors Denis improvise. Il n’est pas doué pour ça, mais il décide que pour empêcher les gens de faire des copies de trucs immatériels, on va devoir mettre en place les trois points suivants :
une riposte graduée : ça veut dire qu’on va proportionner la taille de la baffe au nombre de copies illégales. Evidemment, ça suppose de connaître précisément ce nombre, ce qui risque de poser une première série de problèmes. En plus, on va éviter de passer ça sous forme de loi, parce que Winnie l’Ourson, le précédent ministre de la culture, s’était fait salement bidouiller l’idée au moment du vote… Ce qui pose une autre série de problèmes parce que pour trouver des représentants simples pour les associations de consommateurs, c’est pas gagné.
améliorer les offres légales : Denis O. ne savait pas trop quoi mettre là, mais il lui fallait trois points. C’est comme à l’école : “thèse, antithèse, foutaise”, “introduction, développement, conclusion”, ou encore la Sainte Trinité, les 3 salopards ou les 3 cavaliers de l’apocalypse : il lui fallait trois points, et pour celui-là, il a pas mal cherché. Ok, c’est bateau. Mais bon, l’internet, c’est pas son truc. Au départ, lui, il aime surtout vendre des CD connus, des livres connus, des trucs sans risque, quoi …
faire du filtrage : l’idée serait que les mauvais petits octets qui fichent la grouille, là, tout ça, ce soit nettoyé. Mieux, on va imposer que ce soit les internautes qui installent un truc-machin (on dit un “soffouâire”) sur leur ordinateur (on dit “ardouère”) pour que les méchanzoctets ne passent plus. Malin, non ?

Christine, en lisant les trois petites lignes en pattes de mouche, au milieu de la page grand format petits carreaux, elle s’est dit que ça irait bien. En plus, on lui a fait comprendre discrètement que les gens qui se tortillaient les mains en pleurnichant seraient content, comme ça. Alors elle a accepté la dictée le rapport de Denis.

Et elle nous a présenté tout ça, avec un beau sourire.

Et même si tout ça n’a ni queue ni tête, cela n’arrêtera pas la ministre. Eh non. Car, de la même façon qu’un bébé armé d’une épingle à nourrice, ne sait pas ce qu’il risque en l’enfonçant dans une prise électrique, Christine n’a aucune idée du mal qu’elle va bien pouvoir faire à tout le monde avec ses bricolages foutraques.

Mais est-ce bien l’essentiel ?

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Commentaires11

  1. Le Nain

    Toujours aussi bon, mais les cavaliers de l’Apocalypse sont quatre. Les trois petits cochons auraient été plus indiqués.

  2. 🙁 Je sais que les cavaliers sont 4. De même que les salopards sont 12. C’était un trait d’humour bête…

  3. Oppossum

    Toujours mordant.
    Beaucoup de détails bien vus, sans que le fond du sujet soit vraiment abordé.
    Un peu cafouilleux dans la forme, en milieu de dissertation : le fil des idées aurait être plus verrouillé.

    14/20

  4. bobmatou

    Toujours aussi bon ! Heureusement qu’il y a tes posts pour me donner envie de me replonger dans l’actualité française, j’ai tendance à oublier à quel point elle peut-être tordante depuis que j’ai quitté le titanic.

  5. geo

    allez, du grand art comme dab! je gradue ma note 16/20 quand a la lutte contre le p2p, j’attends de voir la réponse des informaticiens de talents qui auraient la parade de la lutte anti pirates,
    a propos c’est qui qui dit que le net est un espace de liberté?

  6. geo

    Et ben voila! nous les avons ces mesures graduées et proportionnées, pour lutter…contre quoi déjà? Ah oui le piratage…le pillage des oeuvres (avec un grand O)..mais ne serait ce pas plutot pour la préservation de cette caste d’artistes que l’on appelle des "créateurs"…..
    La chanson française, le cinéma français….de quoi..de qui parle t’on? Il est quand même curieux de voir dans les participants a l’élaboration de cette loi des individus comme le pdg de la fnac, des macias et autres….C’est la culture que l’on protège ou ……les privilèges de ces "artistes"….a propos c’est qui qui écrit les chasons de Hallyday……pour sûr c’est pas lui……

  7. Brokeback

    Entendu ce matin le Denis O. dans une émission de France-Cul (l’Esprit Public), expliquer que c’était rien de moins que "l’avenir de la culture" qui était en jeu.

  8. geo

    bof, alors si c’est pour sauver la star’ac et france universal!…..pourquoi pas? c’est con, parce que cela réduit la culture à la "musique" et au ‘cinéma"…..français…., la peinture, la sculpture, l’opéra….etc ne font pas partie de la culture car statistiquement très peu téléchargé…..pensez donc! essayez de télécharger le penseur de Rodin……non pas "jony hallyday"!!!

Les commentaires sont fermés.