Le calcul Quenelle de Manuel Valls

La fin d’année approche à grands pas et les esprits sont de plus en plus occupés. La hausse continue du chômage ? Les perspectives économiques catastrophiques ? Les industries qui ferment partout dans le pays ? Non : c’est bien une histoire de quenelle qui mobilise à présent tous les fiévreux esprits de la République.

Pour résumer l’affaire, on pourra lire à profit le récent édito de Baptiste Créteur sur Contrepoints : en substance, l’humoriste Dieudonné s’est fendu d’une tirade douteuse à l’égard d’un journaliste de radio, Patrick Cohen. Le ministre de l’Intérieur en a alors profité pour expliquer qu’il étudiait « toutes les voies juridiques » pour interdire ses « réunions publiques », qui, selon notre nouvel arbitre républicain des bonnes convenances de l’humour, « n’appartiennent plus à la dimension créative, mais contribuent (…) à accroître les risques de troubles à l’ordre public » dont on voit mal exactement comment ils se traduisent pour le moment.

En somme, le ministre, taxant Dieudonné d’antisémite, entend le traîner en justice et censurer purement et simplement son expression. En réalité, peu importe qu’il soit ou non antisémite. D’une part, là n’est pas la question : on comprend que les manœuvres de Valls, en voulant museler l’artiste, sont insupportables indépendamment de ce qui peut bien se passer réellement dans la tête de Dieudonné.

D’autre part, il est bien plus probable que l’humoriste, en bon homme-sandwich de sa propre marque, donne à son public exactement ce qu’il attend de lui et qu’il se place à dessein sur tout terrain glissant qui pourra faire parler de lui, car oui, dans ce monde médiatique, dire des choses choquantes rapporte finalement plus que d’étaler la soupe clairette qu’on trouve partout ailleurs. Si l’anti-écologie était plus choquante (et donc plus médiatique) que ses actuelles pitreries équivoques, vous pouvez parier que Dieudonné se convertirait immédiatement à la cause anti-réchauffiste, choisirait ses déplacements en maximisant son empreinte carbone, et distribuerait de la quenelle devant des incinérateurs et des centrales nucléaires.

bozo le président clownIl ne faut pas perdre de vue que ce dernier est, au sens premier, un bouffon, c’est-à-dire un amuseur qui cherche à provoquer (et pas seulement la réflexion), et c’est ce pour quoi il est d’ailleurs rémunéré par son public. On peut trouver ça agaçant, irritant, choquant (puisque c’est fait pour), mais liberté d’expression aidant, il est difficile d’y trouver à redire sauf à verser dans le contrôle de la pensée que seuls les socialistes entendent effectivement mettre en place avec cette décontraction que seul de parfaits imbéciles savent convoquer pour soutenir leurs lubies destructrices.

À ce titre de bouffon, un ministre de l’intérieur qui s’occupe des affaires d’un tel individu est bien moins anodin qu’il n’y paraît. En faisant cela, Valls abaisse largement la fonction de ministre, et il accroît d’autant la valeur du bouffon. On peut se demander : depuis quand l’un des personnages les plus puissants de l’État doit-il s’abaisser à analyser puis à contrecarrer les pitreries d’un individu dont la subversivité de la parole se traduit concrètement par un geste spécifique et quelques vidéos sur internet ? Sérieusement ?

Pire, en lançant une cabale contre lui, il accrédite la thèse de l’humoriste qui veut qu’on cherche à le museler ; jusqu’à présent, les médias traditionnels s’étaient tenus à bonne distance de ses agitations, mais cette distance pouvait encore passer pour un choix rédactionnel. En cherchant à faire interdire ses spectacles, le ministre transforme les choix calculés et commerciaux de différentes chaînes médiatiques en doctrine d’état et remplace l’hypothétique complot contre Dieudonné contre un ban bien authentique. C’est parfaitement con.

valls : une quenelle, où ça ?

C’est si parfaitement crétin qu’on peut, qu’on doit se demander pourquoi Valls a réagi ainsi.

Bien évidemment, si l’on doit s’en tenir au discours — consternant, il faut bien le dire — de l’intéressé pour se justifier ainsi du besoin pressant de faire interdire les spectacles de Dieudonné, on en déduit que notre ministre veut ici combattre une nouvelle tête de l’Hydre, de la beuhête immonheudeu dont le ventre fécond a encore réussi à pondre un nouvel exemplaire de méchanceté brute ; en requalifiant les spectacles de “réunions publiques” afin de faire rentrer l’artiste dans le champ plus balisé de la politique, le ministre tente de faire appliquer les lois interdisant les propos incitant à la haine raciale et autres méchanceté que la libre expression permettrait normalement.

Je peux admettre que Valls, sentant le besoin de faire du zèle, se soit subitement réveillé pour tomber sur Dieudonné à la faveur d’une saillie de trop de l’humoriste. À la limite, on peut aussi imaginer que, les provocations s’empilant, les coups de téléphones de personnes outrées se soient suffisamment accumulées pour que le ministre se charge enfin de faire taire l’enquiquinant satiriste.

Admettons. Mais on ne m’ôtera cependant pas de l’idée que Valls n’est pas aussi stupide que sa tentative ouverte de censure pourrait le laisser penser. Pour ma part, je vois plusieurs raisons qui peuvent animer le ministre de l’intérieur et le faire ainsi plonger dans les basses remugles des petites affaires du peuple.

Politiquement, l’opération s’apparente d’abord à une occupation des médias de la part du ministre, ce qui est très bon dans l’hypothèse pas trop improbable d’un remaniement. C’est l’aspect purement pragmatique qui ne gâche rien.

D’autre part, comment ne pas voir la concomitance plus que pratique du réveil des pulsions morales de Valls avec l’enfoncement boueux du reste du gouvernement dans des chiffres du chômage catastrophiques, et l’absolue nécessité de camoufler les pirouettes statistiques grotesques mises en place pour faire oublier une promesse hollandiste intenable ? Comment ne pas comprendre que, justement dans l’hypothèse d’un remaniement ministériel délicat, la fébrilité de Valls à marquer son obéissance au chef de l’État se traduise pile au bon moment par une saillie ridicule qui fait instantanément s’enflammer les médias traditionnels et les réseaux sociaux ? La coïncidence ne troublera ici que les naïfs et les imbéciles.

Ensuite, plus paradoxalement peut-être, on assiste véritablement à une campagne de publicité en faveur de Dieudonné de la part du gars Manuel ; or, si Valls est à l’Intérieur, il n’en reste pas moins socialiste, et la prochaine tenue d’élections doit plus que certainement occuper un peu du temps de cerveau disponible chez le premier flic de France. Et quoi de mieux dans ce pays qu’une bonne polémique avec un fond de racisme pour embarrasser l’UMP ? Les membres du parti de droite, devant les déclarations de Valls, doivent en effet marcher sur la corde extrêmement raide de l’opposition aux socialistes tout en conservant à l’esprit que le moindre écart de langage offrira un boulevard (au moins rhétorique) à leurs adversaires qui pourront les taxer de racistes ou de fascistes, technique stalinienne éprouvée depuis quarante ans en France et qui aura réussi à tétaniser la droite pour la transformer définitivement en sous-parti socialiste honteux.

On voit donc bien que Valls peut, en jouant finement, récolter quelques bénéfices de cette censure a priori parfaitement contre-productive et particulièrement idiote au premier abord.

Mais sur un plan plus personnel, je suis intimement convaincu que Valls est, comme tout homme politique, parfaitement imbu de sa personne et dispose d’un égo surdimensionné vendu avec le package traditionnel du politicien d’État. Et à ce titre, il n’a probablement pas supporté que le peuple se soit ouvertement foutu de sa tête au travers d’une photo maintenant célèbre ou, justement, on retrouve la quenelle de Dieudonné tant décriée :

Quenelle pour Valls, indigestion assurée

Autrement dit, Valls tombe sur Dieudonné parce que politiquement, ça peut rapporter, et parce que personnellement, il ne va certainement pas s’épargner quelques minutes de vengeance bien dosée…

Vengeance qui lui reviendra, comme il se doit, sur le museau. Parce que s’il n’est encore pas trop compliqué de faire interdire des propos spécifiques, des contestations historiques ou des incitations haineuses parce que la liberté d’expression, c’est très bien tant qu’on est tous d’accord, mes petits amis, il va être en revanche particulièrement compliqué de batailler contre “la quenelle”.

Cette dernière est, en réalité, une arme de destruction massive de la crédibilité des élites ; en descendant dans l’arène et en tentant de mettre un terme à cette pratique de cette façon-là, les politiciens vont se prendre les pieds dans le tapis du foutage de gueule. Il n’y a en effet pas d’arme plus puissante contre le pouvoir que l’humour, aussi mauvais soit-il : il désacralise tout ce qu’il touche, il rend faible, minable et ridicule tous ceux qui s’attaquent à lui, il retire toute force à ceux qui veulent l’interdire.

Tout comme les politiciens n’ont jamais pu supporter Internet à cause de la liberté de parole qu’il permet, parce que cette dernière, avec la démocratie, c’est pour les gens biens, ceux qui pensent comme eux, voyez-vous, les mêmes politiciens n’aiment pas l’humour qui les ridiculise. La quenelle, c’est une façon que certains ont trouvé pour remettre ces personnages imbus d’eux-mêmes dans la petite boîte qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Cette façon est discutable, elle peut parfaitement être chargée d’une symbolique dangereuse, ou n’être qu’un défoulement irrespectueux.

Mais dans tous les cas, il sera impossible de l’interdire.

Fascism : do you think it'll be this obvious ?

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Commentaires241

  1. Kazar

    Valls et les socialistes perdent de vue une chose importante : en s’attaquant à Dieudonné, ils vont perdre une partie du vote des musulmans, qui, si l’on en croit les sondages de l’époque, avaient voté à 90% pour Hollande. Hollande, qui a été élu grâce à des votes communautaristes (les musulmans, les gays, etc) ne peut pas à la fois bénéficier du soutien des autorités juives et des musulmans, peu important ce que l’on pense de l”humour de Dieudonné.

        1. hussardbleu

          Un seul mot : remarquable…. Une analyse socio-politique d’anthologie ! tout est dit, et rien à ajouter… Il faut être Français de l’Elite pour ne pas voir les réalités, même si, selon un sondage cité ici, 75% des Français de base sont contre les sanctions évoquées et agitées à l’endroit du “coupable”…

          Je ne connais pas cette dame, mais elle devrait éviter de vivre en France, si elle connaît son intérêt….

    1. Tibor Skardanelli

      L’article cité de Diana Johnstone est infâme et partial, il fait mine d’ignorer les innombrables actes antisémites qui ont littéralement explosé depuis la première intifada, il néglige de rappeler l’insupportable antisémitisme musulman, principal vivier de Dieudonné, les “Protocole des sages de Sion” et “Mein Kampf” sont des best sellers dans tous les pays musulmans. La quenelle est bien un geste antisémite, c’est absolument clair dans le spectacle de Dieudonné, l’utilisation de Faurisson, ses visites en Iran, tout ceci fait qu’il n’est pas possible d’avoir un doute sur ses motivations.
      Ne pas vouloir censurer les spectacles de Dieudonné est une chose, le présenter comme un simple amuseur antisystème est malhonnête et odieux. Ce n’est pas parce que l’on est pour la liberté d’expression que l’on doit euphémiser toutes les saloperies qui se disent.

      1. “La quenelle est bien un geste antisémite”
        Peut-être par amalgame, mais au départ, clairement non.

        1. Tibor Skardanelli

          Au départ clairement si ! Et dans son spectacle avec Faurisson et dans sa campagne avec Soral qui est tout de même une référence en la matière. Ensuite que la malfaisante dont on vante l’article ici omette de dire que ce geste a été fait devant l’école où Merha a tué trois enfants, par Soral à Berlin devant le monument en mémoire de la Shoah, devant des synagogues, etc. donne une idée de son objectvité.

          1. hussardbleu

            Il est bien vrai que certains ont le monopole de la bienfaisance, de l’honnêteté, de l’objectivité, et, in a nutshell, de l’arbitrage des élégances démocratiques …

            1. Tibor Skardanelli

              Il faut appeler un chat un chat, si vous trouvez élégant de mentir effrontément dans un article c’est votre droit, pour moi un mensonge est un mensonge. Dieudonné est un antisémite et un négationniste, qu’il ait le droit de dire des saletés fort bien, mais le présenter comme un brave comique antisystème est un mensonge éhonté.

          2. Au départ clairement non. C’est un gros signe vulgaire, mais c’est tout. Trépignez pas trop fort, ça ne changera rien et ça va juste réduire votre espérance de vie.

            1. Tibor Skardanelli

              Que viennent faire ces accusations de trépignements ? Vous contredire signifie trépigner ?

            2. Nyamba

              Non, ce sont les insultes proférées, je crois… Elles traduisent un certain état loin de l’ironie douce-amère et bon enfant que, personnellement, j’aime à retrouver ici. Un peu de tenue, allons 😉 (et un peu d’humour, pourquoi pas ?) !

            3. Calvin

              @Tibor
              Ne nous trompons pas !
              L’antisémitisme, le vrai, c’est la Shoah, ce sont les crimes (violence plus ou moins avérées) et les spoliations envers les juifs.
              Les blagues sur les juifs (en plus, j’adore celles de W. Allen ou de P. Desproges), ce n’est pas de l’antisémitisme, tout au plus de la connerie quand c’est aussi lourdingue que chez Dieudonné.
              Le négationnisme c’est de la méga connerie, mais n’est pas un crime (en plus, les négationnistes sont ceux qui voudraient que ce qu’ils nient aie néanmoins existé… bref, c’est plus du déni que du négationnisme).

              1. Dans une propriété privée, il n’existe pas de notion de censure. Seul un état censure, et seulement dans un domaine public. Ici, c’est pas la voie publique. Il n’y a donc sur ce blog aucune volonté de ne pas censurer couper, élaguer, modifier. Je coupe quand je veux, je bricole les commentaires qui m’amusent, je pétris volontiers l’impétrant qui ne m’agrée pas. Sur ce blog que dont je paye l’hébergement et qui me coûte en temps et en argent, qui est ma propriété, le commentaire qui est déposé devient immédiatement ma chose, mon truc dont je fais ce que je veux, absolument sans aucune explication. C’est comme ça. Il n’y a pas de charte, pas de règles ; il n’y a que du subjectif, du bon vouloir.

                C’est dur. C’est la vie. Deal with it.

            4. Tibor Skardanelli

              Calvin, l’antisémitisme, c’est Merha, Fofana, les multiples agressions, Mein Kampf en tête des ventes dans les pays musulmans, les discours de Soral et certaines parties du spectacle de Dieudonné : Faurisson en pyjama rayé par exemple.

          3. cyprus ill

            Ce n’est pas en répétant sans cesse une connerie qu’elle devient vérité ! Non, la quenelle n’est pas un geste antisémite, que certains (dont vous) veulent qu’elle le soit c’est certain, mais elle ne l’est pas !

  2. Nico

    Si Dieudonné se gratte le scrotum sur scène … Les gauchistes vont interdire à tous les hommes de faire cette action pour cause d’antisémitisme ?

  3. kékorésin

    La quenelle est en effet un bras d’honneur au système. Dieudonné à le droit de dire ce qu’il veut en spectacle, en dehors, ça s’appelle de la politique (au sens large du terme) et non plus de l’humour ou de la caricature.
    Partant de ce principe, la liste d’humouristes devant subir les foudres de nos têtes d’élites bien pensantes serait longue. On se moque des juifs, des noirs, des infirmes, des français, des belges…Mais rappelez-vous Timsit condamné pour une histoire de crevette rose. Voilà le rêve de toute dictature fusse t’elle intellectuelle Morale-Socialiste, appuyée par des associations de tous crins subventionnées pour peu qu’elle répondent aux critères sirupeux du collectivisme.
    Sinon, je propose que l’on déterre Desproges et qu’on exhibe sa dépouille en place publique, ça aurait au moins de la gueule non?

  4. hussardbleu

    A propos d’un article dans le Monde d’hier soir, contenant une intervioue de M.Denys de Béchillon, professeur des universités (Pau droit public),

    Je reviens sur cette ordonnance de référé rendue par le Conseil d’Etat, que l’on présente, bien que sous la plume d’un seul homme (« l’ordonnance de Bernard Stirn » ainsi que le souligne naivement ce professeur de droit), comme fixant, dorénavant et erga omnes, la jurisprudence en matière de censure préalable.

    Cette censure préalable était traditionnellement présentée, jusque là, comme un péché contre l’esprit, et la Ligue des Droits de l’Homme ne s’y est pas trompée, qui proteste contre cette décision.

    Et c’est là, en effet, que l’on peut situer la faute capitale que l’hubris de « la Communauté » a générée, en ressuscitant cette institution abolie après le Second Empire, et qui n’avait retrouvé vigueur que pendant les guerres, et pour des raisons évidentes.

    On a pipé les dés, certes, mais en un jeu dangereux, faisant référence à la « mise en cause de la cohésion nationale ». Cette notion offre en effet la caractéristique de pouvoir utilement servir dans différentes circonstances, bien différentes, au reste, de celles qui ont manifestement occupé l’esprit de M. Stirn…

    Le « risque de trouble à l’ordre public » était déjà une facile excuse pour les décisions arbitraires de la puissance publique. Rien de nouveau ici, mais la conjonction des deux va se révéler mortelle pour les Libertés, les nôtres, auxquelles nos dirigeants font mine de croire…

    Reste l’Internet, espace de libre respiration, mais déjà menacé… faudra-t-il se résoudre à TOR et au deep Internet… ?

Les commentaires sont fermés.