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Auto-entrepreneurs, bêtes noires de l’Urssaf ?

L’Urssaf, et plus particulièrement l’antenne de Bretagne, part à la chasse au travail dissimulé. Rien de plus naturel… sauf que, dans le cas présent, elle semble avoir pris pour cible les auto-entrepreneurs en dissuadant les collectivités locales d’avoir recours à leurs services.

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(shutterstock.com)
Publié le 15 sept. 2015 à 12:00

Terrorisés par l’Urssaf : c’est ainsi que se sentent tous les auto-entrepreneurs que nous avons interviewés. Au point de tous vouloir garder l’anonymat et de demander des garanties pour ne pas être reconnus. « Vous savez, on ne sait jamais, cela risquerait de se retourner contre nous. Et on ne veut pas d’ennuis ! » glissent-ils.
Comment en est-on arrivé là ? Avec la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires, les maires font souvent appel à des prestataires extérieurs pour assurer les activités au sein des établissements scolaires. Et depuis avril 2015, le directeur régional de l’Urssaf Bretagne a envoyé, “à titre préventif” à tous les édiles des communes qui dépendent de son administration un courrier pour les mettre en garde et les accompagner dans cette réforme, “afin qu’ils respectent la réglementation en vigueur en matière d’obligations sociales”.
À cette lettre était jointe une “plaquette d’explication relative aux conditions juridiques de recours à des intervenants extérieurs”.

Plaquette d’information dissuasive

Dans cette plaquette sont cités des “exemples pratiques” qui désignent clairement des cas d’auto-entrepreneurs. Entre autres, ceux auxquels les mairies pourraient faire appel pour animer les temps périscolaires : l’éducateur sportif et le professeur d’arts plastiques. L’un et l’autre sont soumis aux horaires imposés par les établissements, avec la mise à disposition de locaux et du matériel. Or, l’Urssaf considère ces deux cas comme des salariés.
Le nœud du problème est là : travail dissimulé ! Pour justifier sa position, l’Urssaf s’appuie sur l’article L.8221-1 du code du Travail : certaines mairies “utiliseraient” les auto-entrepreneurs pour échapper aux charges sociales liées à la masse salariale.
C’est donc pour lutter contre ce qu’elle qualifie d’“abus” que l’Urssaf rappelle explicitement les sanctions pénales et financières auxquelles les collectivités se trouveraient confrontées faute de requalifier cette “relation commerciale” en contrat de travail.

Échanges contractuels gelés

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Dans ces deux cas, selon l’organisme de contrôle, il y a bien un lien de subordination économique et juridique entre les mairies/employeurs et les auto-entrepreneurs, alors que ces derniers doivent faire preuve, dans le cadre leur activité, d’autonomie et d’indépendance. « C’est aberrant !, tempête Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs. Il s’agit d’une interprétation subjective du code du Travail ! C’est le fait du prince. L’Urssaf met la pression sur les mairies et fait passer les auto-entrepreneurs pour des voyous! » tempête-t-il.
Au final, selon les auto-entrepreneurs, certaines mairies font donc machine arrière, par peur de se mettre hors-la-loi. Toutes les possibilités d’échanges contractuels sont maintenant gelées et les prestations antérieures remises en cause. Cela met les prestataires en difficulté. C’est le cas de Valentin, dont la spécialité est le spectacle vivant. « Sur les trois mairies avec lesquelles je travaille pour intervenir dans leurs écoles, une s’est rétractée. Les autres ont préféré passer outre et continuer car cela mettait à mal leur organisation de la rentrée scolaire», explique-t-il.

Auto-entrepreneurs, salariés malgré eux ?

Une de ces auto-entrepreneuses, prestataire dans le domaine de la culture, voit sa collaboration avec une école remise également en question. « Je travaillais pour cette école trois heures par semaine. Le planning pour l’année était déjà prêt. Maintenant, j’ai une visibilité jusqu’aux vacances de la Toussaint. Je ne suis pas certaine de pouvoir continuer cette collaboration. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir un contrat de travail pour quelques heures effectuées par semaine. Dans mon cas, j’ai quitté le salariat pour être indépendante. Ce n’est pas pour y retourner, malgré moi ! » s’indigne-t-elle. Un des responsables des rythmes scolaires de la mairie de Redon (Ille-et-Vilaine) a envoyé un mail à ses prestataires ayant un statut d’auto-entrepreneurs pour leur faire part de la difficulté soulevée par l’Urssaf et propose la solution suivante : « Je vous incite à reconsidérer votre positionnement et à envisager de passer sous un autre statut afin de pouvoir poursuivre le travail entrepris ensemble au service des enfants. »

Zèle et dogmatisme

De son côté, Gwenn Houédry, elle-même auto-entrepreneuse dans le conseil de création d’entreprises, ne décolère pas. L’Association des Entrepreneurs et Indépendants de Bretagne (AEIB) dont elle est la fondatrice, a reçu de nombreux témoignages de professionnels qui subissent cette situation. « Les contrôleurs de l’Urssaf font du zèle, par pur dogmatisme ! J’en ai rencontré quelques-uns pour comprendre. Certains me disent, et c’est leurs mots, “vouloir sauver les pauvres indépendants exploités par des employeurs abuseurs”. En sur-interprétant la loi, ils rendent cette situation kafkaïenne. D’un côté, il y a les mairies et les écoles qui veulent travailler avec les entrepreneurs mais craignent d’être dans l’illégalité. De l’autre, il y a ces indépendants qui perdent leurs contrats et ne peuvent plus vivre de leur métier. C’est incompréhensible ! » vitupère-t-elle.

Douche froide

Ce phénomène dépasse le secteur de l’animation pour toucher également celui des formations. Récemment, un formateur voulant travailler pour un établissement de l’enseignement supérieur privé en a fait l’amère expérience. « Quand le fonctionnaire de l’Urssaf chargé de m’enregistrer a connu le secteur dans lequel je souhaitais exercer, il m’a répondu que ce n’était pas envisageable, que cela allait contre tous les principes et que j’allais être lourdement sanctionné ainsi que la structure qui allait faire appel à mes services. En revanche, il était incapable de me montrer une quelconque jurisprudence capable de corroborer ses dires. Mais rien ne m’empêchait si je le voulais de m’inscrire directement en ligne. Sincèrement, je ne sais plus quoi en penser. Cela m’a fait l’effet d’une douche froide et m’enlève toute envie d’entreprendre », se désole notre interlocuteur.  « C’est de la pure intimidation !, s’insurge Grégoire Leclercq (FDAE). L’Urssaf met la pression, en tout cas en ce qui concerne les collectivités locales, auprès de ceux qui veulent avoir recours aux services des auto-entrepreneurs. Si l’on suit cette interprétation de la loi, tous pratiquent potentiellement du travail dissimulé. Bien sûr, il peut y avoir parfois des abus, mais ce n’est pas une raison pour faire des exceptions une généralité ! Cela met de la confusion dans la tête des gens.»

Le courrier du directeur régional de l’Urssaf Bretagne

De son côté, Jean-René Marsac, député d’Ille-et-Vilaine est intervenu, par courrier, pour demander au directeur régional de l’Urssaf Bretagne de s’expliquer. Celui-ci lui répond dans une lettre datée du 30 juin 2015. Extrait : « Dans le cadre des activités périscolaires, et même si les conditions spécifiques pourraient justifier le recours à des indépendants, le cadre général des interventions demandées amène plutôt à considérer qu’elles s’opèrent dans une situation de subordination impliquant le salariat (interventions selon des modalités précises fixées par le structure demandeuse, des horaires fixes, dans les locaux de l’établissement et en respectant le règlement intérieur…) » et d’ajouter : « Cette analyse ne contraint toutefois pas nécessairement les collectivités concernées à salarier les intervenants, puisqu’elles peuvent également avoir recours aux services de structures (associations ou autres) qui sont elles mêmes les employeurs des intervenants ». Dans cette lettre, le responsable régional prend bien soin de ne mentionner, à aucun moment, le cas des auto-entrepreneurs.
Est-ce une pratique répandue sur le reste du territoire ? Nous avons sollicité l’Urssaf Bretagne puis au niveau national pour connaitre le point de vue officiel de l’organisme. Nous n’avons eu aucun retour.

Marina Al Rubaee

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