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En imposant le paiement de leurs cotisations par prélèvement automatique, la Cipav effraie à nouveau ses affiliés.

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A l'image du RSI, la Cipav est un acronyme provoquant des bouffées d'angoisse chez les travailleurs qui exercent une activité libérale. L'an dernier, un collectif baptisé Les chats noirs s'était formé pour dénoncer les abus et les dérives de cette caisse en charge de la retraite complémentaire de plus de 300 professions aussi variées qu'architectes, consultants ou ostéopathes. Quelques mois plus tôt, ce fut au tour de la Cour des comptes de pointer du doigt la Cipav, sa "gestion désordonnée" et son "service déplorable".

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Une nouvelle direction - l'actuel directeur a été nommé en décembre 2014 - et un plan de secours deux ans plus tard, les choses vont mieux mais restent difficiles. Les principaux efforts se concentrent autour de la communication avec les adhérents afin de mettre un terme aux situations frustrantes de courriers - y compris recommandés - restés sans réponse. "Il y a eu une vraie amélioration, estime Jean-Paul Fournier, un des bénévoles en charge de la cellule d'écoute au sein de Cipav.info. On sent une équipe plus efficace et décidée à aplanir les choses. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus aucun problème mais nous sommes moins dans une situation d'urgence aigüe." Pour l'avocat de nombreux plaignants contre la Cipav, maître Dimitri Pincent, les choses sont "contrastées". "Il faut reconnaitre qu'il y a du mieux notamment dans les relations avec la commission de recours et un meilleur traitement téléphonique, explique-t-il. Mais elle part de tellement loin... Et il y a encore des questions qui restent pénibles et intransigeantes comme les régularisations en cas de cessation d'activité ou le versement de pensions de réversion. Enfin il y a le cas des auto-entrepreneurs dont la Cipav ne renseigne toujours pas les droits à la retraite."

>> Lire aussi: La retraite de certains auto-entrepreneurs est-elle menacée?

Dématérialisation imposée

A l'instar d'Henri Labarre, éditeur de sites indépendant et conseil en stratégie, les griefs de nombreux affiliés à la Cipav se concentrent aujourd'hui sur une décision toute fraîche: celle de leur imposer le prélèvement automatique pour payer leurs cotisations. Jusqu'à présent, le prélèvement mensuel était organisé uniquement si l'adhérent en faisait la demande et que celle-ci était acceptée par la Cipav.

Dans un courrier daté du 9 octobre 2015 (voir une copie plus bas), la caisse de retraite prévient ses adhérents qu'en vertu du décret 2014-1637 sur la dématérialisation, tous les travailleurs affiliés à la Cipav seront tenus d'effectuer le paiement de leurs cotisations "par voie dématérialisée". "Moi je suis plutôt d'accord, explique Henri Labarre. Je n'ai rien contre la dématérialisation mais je ne comprends pas qu'on ne nous laisse pas le choix et qu'on nous impose le prélèvement automatique. Je pense qu'un virement de ma part, geste volontaire, serait préférable."

Jérôme, qui a fondé une entreprise en stratégie numérique et cotise à la Cipav depuis 2010, a aussi reçu ce courrier. Et ça le met en rogne. "J'ai déjà eu de gros problèmes avec la Cipav qui me demandait de payer deux fois certaines cotisations ou qui se trompait dans les calculs donc je n'ai vraiment pas envie de leur laisser la possibilité de prélever directement sur mon compte. Vous imaginez s'ils prennent 10 000 euros au lieu de 1000 et qu'ils mettent des mois à me régulariser ? Je n'ai plus qu'à regarder ma boite couler !" Sur des forums comme freelance.info, beaucoup d'indépendants s'émeuvent de cette nouvelle obligation.

Une pénalité contestable?

Si la décision passe mal, c'est aussi qu'elle est assortie d'une menace financière : celle de voir les cotisations des récalcitrants majorées de 0,2%. "J'ai reçu des appels sur cette question sur la hotline de la Cipav, reconnait Jean-Paul Fournier. Mais je crains que les gens ne soient obligés de signer et de se plier à cette nouvelle procédure."

A lire le décret sur la dématérialisation, rien n'indique pourtant que le prélèvement est LA solution à mettre en place. "J'ai consulté ma comptable et un avocat qui me disent tous que rien ne m'oblige à donner mes coordonnées bancaires ainsi mais la lettre recommandée que j'ai envoyée à la Cipav sur ce point est restée jusqu'alors sans réponse", se désole Jérôme. Maître Dimitri Pincent défend plusieurs personnes inscrites à la Cipav et, à ses yeux, le processus est discutable. "Je n'ai pas eu le temps de creuser cette question même si on ma alerté mais, spontanément, je dirais qu'imposer un mode exclusif de paiement est très étonnant." L'avocat se réjouit cependant d'un changement dans le mode de perception des cotisations. "Le traitement des chèques par la Cipav est proprement délirant, estime-t-il. Certains n'étaient encaissés qu'après des mois quand ils n'étaient pas détournés, oui détournés, la Cour des comptes elle même l'a dénoncé."

Dans le plan de secours mis en avant par la nouvelle direction de la Cipav (que nous n'avons pas réussi à joindre malgré de nombreux appels) figure la volonté de mettre en place un nouveau système de perception des cotisations, qui prendraient plus finement en compte les variations de revenus des travailleurs libéraux. "Il faudrait surtout qu'ils renouvellent leur système d'information car à mon sens c'est ça qui pêche aussi, si c'était plus performant on pourrait faire des virements en inscrivant le bon en-tête pour qu'ils puissent s'y retrouver mais là visiblement, ce n'est pas possible", regrette Henri Labarre. La date inscrite au bas du courrier de la Cipav indique que les assurés doivent renvoyer leur RIB avant le 6 novembre.

Que se passera-t-il ensuite ? "Je crains de devoir m'acquitter de cette majoration de 0,2%, soupire Jérôme. J'ai connu trop de difficultés avec la Cipav par le passé, je ne veux pas revivre ces moments. Je ne conteste pas pour le plaisir mais parce que je n'ai pas vraiment confiance." Visiblement la Cipav a encore du travail pour (re)gagner la confiance des adhérents...

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