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Une entreprise obligée par la justice de réintégrer des syndicalistes licenciés dont personne ne veut

Un employé sur un métier à tisser, à Calais, capitale de la dentelle. (Photo d'illustration)

Un employé sur un métier à tisser, à Calais, capitale de la dentelle. (Photo d'illustration) - François Lo Presti - AFP

La justice oblige la société Desseilles à réintégrer des syndicalistes licenciés il y a deux ans lors d'un plan social. Sauf que leur réintégration et leurs indemnités mettent l'entreprise, placée en liquidation judiciaire, et ses 74 salariés en péril. Un collectif de salariés de la société s'est même constitué pour refuser leur réintégration.

Une entreprise obligée par la justice de réintégrer des salariés licenciés, ancien délégués du personnel, dont les autre employés ne veulent pas, et qui risquent de précipiter la chute de la société ; un repreneur chinois prêt à la sauver mais qui ne veut pas non plus du retour des anciens licenciés… C'est la situation kafkaïenne de l'entreprise Desseilles, un des fleurons de la dentelle de Calais.

L'entreprise, qui confectionne de la lingerie féminine pour plusieurs grandes marques, a été placée en liquidation judiciaire mardi par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, qui fait suite à une décision en décembre dernier du tribunal administratif. L’instance avait été saisie par cinq anciens délégués du personnel licenciés il y a deux ans avec quatre autres salariés non syndiqués, alors que l’entreprise rencontrait des difficultés. Un plan de licenciement mis en place avec l’aval de l’inspecteur du travail, du tribunal de commerce et même du ministère du travail.

"Des salariés totalement ingérables"

Mais le tribunal administratif a aujourd'hui contraint l'entreprise à les réintégrer, à leur verser de nouveau un salaire, mais aussi à rembourser les deux ans de salaires non perçus, soit un coût total compris entre 800.000 et un million d'euros, au motif qu'aucun reclassement en interne ne leur a été proposé avant le licenciement. Sauf que pour Desseilles, "c'est impossible à financer", comme l'explique Michel Berrier, l'un des trois associés qui a repris l'entreprise.

"Cette affaire va nous mettre dans le rouge, confirme sur RMC, Jean-Louis Dussart, le président de la société. Et puis il y a l'enjeu social : si l'on doit réintégrer des salariés qu'on avait licenciés, il va falloir nous séparer d'autres qui travaillent aujourd'hui pour nous". Car sur les cinq plaignants, trois ont la ferme intention de revenir à leur poste.

"Mais il y avait un problème avec ces gens-là, totalement ingouvernable et complétement opposés à toute discussion dans l'entreprise, du fait de leur mandat syndical (à la CFDT, NDR). Ça devenait ingérable et même les autres délégués syndicaux ont voté leur départ. Et depuis qu'ils ne sont plus là, socialement, dans l'entreprise ça se passe bien : on discute et on avance". 

Des salariés solidaires de leur direction

Aujourd'hui les salariés font bloc derrière leur direction et se sont même constitués en collectif pour demander qu'on ne les réintègre pas. Renato Fragoli est le président du collectif 'Les oubliés de Desseilles', et il en veut particulièrement au tribunal administratif. "Nous contestons cette décision finale qui balaie d'un revers de main deux décisions de l'inspecteur du travail et une décision du ministère du travail. Ce sont des gens, des instances qui n'ont aucune vision de la réalité économique des entreprises et qui n'en ont rien à fiche tout simplement". "L'ambiance est stressante parce qu'on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. C'est du gâchis", se désole de son côté Éric, salarié depuis 30 ans de Desseilles.

Cette épée de Damoclès, c'est la liquidation judiciaire prononcée mardi par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, avec maintien de l’activité pendant… trois semaines. C'est le temps qu'il reste à la direction pour trouver une solution. Solution qui pourrait venir d'un repreneur chinois. Sauf que celui-ci a imposé une condition : que les cinq syndicalistes ne soient pas repris.

"Le dilemme est simple, explique Jean-Louis Dussart. Première solution, on trouve un accord avec les salariés protégés (pour qu'ils ne reviennent pas). Sauf que pour l'instant les négociations ne mènent à rien, quand bien même un des salariés est à un an de la retraite – ce qui montre qu'on a bien en face à nous des ayatollahs. La deuxième solution, c'est que la cour d'appel du tribunal se réveille et nous fasse passer en urgence puisque nous devons décider d'ici trois semaines".

"La CFDT n'est pas responsable de la mauvaise gestion de cette entreprise"

Ces salariés dont personne ne semble vouloir sont représentés par Isabelle Leroy, secrétaire général CFDT du syndicat Services de la Côte d'opale. Pour elle, si l'entreprise est en difficulté, ce n'est certainement pas à cause de leur réintégration forcée. "Ce n'est pas avec ces trois réintégrations que l'entreprise va mal, puisqu'elle est en redressement judiciaire depuis septembre". Elle y voit surtout une guerre de la direction contre son syndicat. "Si la direction ne souhaite pas leur réintégration, c'est parce qu'ils sont CFDT, et que la direction ne veut pas de ce syndicat, le seul qui reste c'est la CFTC".

"L'entreprise se dit victime de la CFDT, mais la CFDT n'est pas responsable de la mauvaise gestion de cette entreprise", insiste-t-elle et souligne que "l'entreprise chinoise qui veut reprendre la société, ne veut que conserver que 37 salariés sur 74". "Et après on accuse la CFDT de vouloir faire fermer cette entreprise ?".

P. Gril avec R. Duchemin et L. Top