“Et là, c'est le drame” : mais qui apprend aux journalistes à parler sur ce ton ?

Ponctuation fantaisiste, phrases laissées en suspens, modulations angoissantes... Depuis des années, d'un JT à l'autre, la voix off des reportages s'est standardisée jusqu'à l'absurde. Diffusée sur Arte radio, une enquête dévoile les origines de ce formatage et l'impitoyable sélection des voix télévisées

Par Camille Poirier

Publié le 12 avril 2017 à 14h03

Mis à jour le 25 mars 2021 à 11h24

A écouter le journal télévisé, on croit toujours à la catastrophe. Qu’elle soit féminine ou masculine, la voix est grave, le rythme haché, la respiration saccadée et les mots, scandés comme s’ils portaient en eux toute la misère du monde. Dans la bouche des journalistes, une chute de neige devient un fléau planétaire, une pénurie de rosé dans les supermarchés résonne comme le drame de l’été et les ventes de chocolats de Pâques tiennent du cataclysme. Mais pourquoi les journalistes ont-ils tous cette voix grave et stéréotypée ? Est-ce par mimétisme ou sont-ils formatés ?

“Pas de bonne voix, pas de contrat !”

Ancienne stagiaire chez France 2, Victoire Tuaillon mène l'enquête dans Et là, c'est le drame, un documentaire de neuf minutes diffusé sur Arte radio. Non sans humour, elle raconte le long cheminement des étudiants pour « trouver leur voix de JT » et pose la question du formatage journalistique auprès de Pascal Doucet-Bon, ex-rédacteur en chef au 20h de France 2. « On cherche à laisser parler l'image le plus possible » explique t-il, au risque, parfois, « de massacrer la ponctuation ». Tantôt les voix-off ajoutent à la phrase des « virgules invisibles » pour rendre le ton dramatique, tantôt elles en effacent le point final, pour donner aux informations une tournure angoissante. « Ce sont des modes, et l'une chasse l'autre », pointe t-il.

“Trouver sa voix”

Mais qui ordonne aux journalistes de parler ainsi ? Qui leur impose ce ton si solennel qu'il en devient absurde ? « Les chefs sont les premiers à se plaindre de ce ton uniformisé, mais ils ne font rien pour que ça change », explique l'ex-rédacteur en chef du 20h, « peut-être parce qu'ils en sont eux-mêmes issus ». Il en va de même pour les accents régionaux, gommés au profit d'un accent parisien tout aussi caricatural. « Les têtes qui dépassent, on les renvoie dans leur région ! » admet Pascal Doucet-Bon, qui dit défendre cela « parce que sinon, on ne comprend rien à ce qu'ils racontent ». La sélection s'effectue donc bien avant l'arrivée au JT, dans les écoles de journalisme. En prenant le contrepied de cette « voix ridicule », Victoire Tuaillon décrypte avec un ton très personnel les ressorts de ce drôle de formatage. Et si elle avoue ne pas être certaine de retravailler à la télévision, elle prouve, avec ce documentaire aussi hilarant qu'éclairant, que sa voix se prêtera à merveille à la radio.

A écouter

Sur Arte Radio : Et là, c'est le drame, un documentaire de Victoire Tuaillon.

A voir  

Petit précis de formatage journalistique par Télérama.

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