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La vérité sur les obstacles de la ligne LGV Tours-Bordeaux

Explosion des coûts, conflits avec la SNCF et les collectivités locales… Les freins s’accumulent sur le chemin de la future LGV de Lisea.
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Chantier de la LGV dans le Grand Poitiers, en septembre 2014.
Lisea / T. Marzloff

"Bordeaux et Paris n’ont jamais été aussi près d’être aussi proches", martèle depuis le 1er février la publicité de Lisea, le concessionnaire de la future ligne à grande vitesse qui reliera les deux villes en 2h05 dans deux ans. Difficile d’en dire autant des partenaires impliqués dans ce projet aussi pharaonique que mal ficelé ! A l’heure des plans d’austérité, son coût de 7,8 milliards d’euros affole les esprits, même si c’est un consortium privé qui porte 50% du financement. Lisea, piloté par Vinci, le géant du BTP, aux côtés de CDC et d’Axa, est d’ailleurs la plus grosse concession privée d’Europe continentale.

Déjà épinglée par la Cour des comptes en octobre dernier, la LGV fait aussi l’objet d’un bras de fer avec les collectivités locales, qui ne veulent plus payer la facture des travaux, et avec la SNCF, qui menace de ne pas faire rouler autant de trains que prévu. Résultat : l’Etat vient de nommer Jean Auroux comme médiateur. L’ex-ministre du Travail doit calmer les esprits et remettre tout le monde autour de la table des négociations. Pas simple !

Désaccord sur le démarrage

Premier dossier sensible : la SNCF. "Si les relations se tendent avec l’opérateur ferroviaire, c’est qu’on entre dans la phase de commercialisation de la ligne, et donc des cadences des trains, des gares desservies, et des coûts des péages à payer à l’entreprise Lisea", décrypte un connaisseur du dossier. Lisea assure que tout sera prêt en juillet 2017 pour faire rouler les TGV : les travaux de terrassement, la construction des ponts et viaducs sur les 300 kilomètres de lignes sont terminés.

Les retards du chantier liés à la protection de l’environnement, dont l’épisode du triton de Blasius, qui a bloqué les travaux pendant quelques semaines en 2012 ? De l’histoire ancienne. Reste à installer le ballast, les rails, les caténaires et les systèmes télécoms utilisés par la SNCF. Or celle-ci réclame un petit changement de programme et "souhaite faire rouler ses trains dès juin 2017, lors du passage aux horaires d’été", explique Laurent Cavrois, président de Lisea. La compagnie cherche surtout à harmoniser ses grilles d’horaires avec l’autre ligne à grande vitesse (Le Mans-Rennes) qui doit ouvrir en mai 2017.

C’est faisable, d’après le constructeur, mais au prix de plusieurs dizaines de millions d’euros de surcoût de BTP. "Nous discutons", affirme Laurent Cavrois.La filiale de Vinci a tout intérêt à ménager son unique client du moment, puisque ni Thalys ni Eurostar ne semblent pressés de venir à Bordeaux dès 2017.

Hérissé par les 6.000 euros de péage par train à payer à Lisea pour circuler entre Tours et Bordeaux, le double des redevances actuelles (et 25% plus cher que le péage sur la ligne à grande vitesse Paris-Lyon), l’opérateur ferroviaire menace de ne pas assurer le nombre de dessertes prévues par le contrat de concession de 2011. "D’abord, nous n’avons pas signé la convention ! gronde un cadre dirigeant de la SNCF, contestant la viabilité économique de la LGV. L’Etat et RFF [le gestionnaire des infrastructures, rebaptisé SNCF Réseau] ont pris des engagements sans nous associer, et sur des bases fausses, poursuit-il. Sans tenir compte, par exemple, de la hausse de la TVA à 10%, et avec des prévisions de trafic surestimées, car établies en 2008, avant la crise."

Estimations excessives

A l’origine, il était prévu d’assurer 50 allers-retours entre Tours et Bordeaux (37 aujourd’hui), en tablant sur 3 millions de passagers supplémentaires (+20%). Or la ligne actuelle est à peine à l’équilibre, pointe-t-on dans l’entourage de la SNCF, où l’on fait également valoir le moindre attrait des Français pour la grande vitesse et la concurrence du covoiturage. Interrogé par la Cour des comptes l’an dernier, son PDG, Guillaume Pepy, anticipe une perte de l’ordre de 200 millions d’euros par an au cours des premières années d’exploitation. Sans parler du prix des billets pour les passagers, qui vont connaître une hausse évaluée à près de 20% sur la nouvelle ligne, et qui risquent également de grimper sur la ligne classique. "RFF a en effet dû signer une clause de coordination qui vise à aligner nos péages sur ceux de Lisea pour protéger le concessionnaire du risque de dumping", précise le propriétaire des rails.

De son côté, le président de Lisea pointe : "A l’origine, les prévisions établies dans l’enquête d’utilité publique étaient peut-être trop optimistes." La filiale de Vinci ne ferme pas la porte à une renégociation sur le coût des sillons "pour les ajuster à la conjoncture".

Grève du chèque

Or ce n’est pas le seul problème à régler. Car les collectivités territoriales se rebiffent également. Appelés à financer avec l’Etat et RFF les 4 milliards d’euros restants du partenariat public-privé (PPP), de nombreux élus refusent désormais de sortir leur carnet de chèques. C’est le cas notamment des conseils généraux de la Charente, de Grand Cognac et du Grand Angoulême, qui craignent que la SNCF ne diminue d’un tiers la desserte de leur ville. Les déviations imposées aux TGV pour marquer un arrêt en centre-ville ajoutent près de vingt minutes sur le trajet. De quoi diminuer l’attrait de la LGV pour les passagers se rendant à Bordeaux, et réduire aussi l’optimisation de la rotation des rames pour la SNCF.

D’autres collectivités, comme le conseil général des Pyrénées-Atlantiques et la communauté de communes de Pau, s’étaient engagées en échange de la promesse d’une prolongation de la ligne jusqu’en Espagne (via Toulouse en 2024 et Dax en 2027). Or ce projet, dont l’enquête publique s’est terminée le 6 décembre, est évalué à plus de 9 milliards d’euros. "Tout ça n’est qu’un jeu de dupes ! s’enflamme le député PS de Gironde Gilles Savary. On a inventé un montage financier monstrueux en faisant payer des collectivités qui ne verront jamais la ligne arriver chez eux. L’histoire est écrite d’avance : les promoteurs ne s’en sortiront pas tout seuls. Donc, au final, c’est l’Etat qui va allonger."

Pour l’heure, l’ardoise des collectivités s’élève à 300 millions d’euros, et c’est RFF "qui joue le rôle du banquier, en avançant la trésorerie", reconnaît Alain Quinet, son directeur général. Selon lui, "la difficulté a été de vouloir construire quatre LGV en même temps, mais ce n’est pas pour autant que ce projet n’a plus de sens. Il faut le voir sur cinquante ans", nuance-t-il. Un discours difficile à faire passer aujourd’hui.

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