La Cour Suprême s’invite dans la campagne présidentielle américaine

La disparition d’Antonin Scalia change de nombreux équilibres au sein de l’appareil judiciaire américain.

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Supreme justice Antonin Scalai crédits Stephen Masker (CC BY 2.0)

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La Cour Suprême s’invite dans la campagne présidentielle américaine

Publié le 16 février 2016
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Par Stéphane Montabert.

Supreme justice Antonin Scalai crédits Stephen Masker (CC BY 2.0)
Supreme justice Antonin Scalai crédits Stephen Masker (CC BY 2.0)

Le décès à 79 ans du juge Antonin Scalia met sous le feu des projecteurs une fonction essentielle du président des États-Unis, nommer les membres de la Cour Suprême.

La fête de ce vendredi soir au Ranch de Cibolo Creek, un complexe hôtelier au sud de Marfa, devait être un moment de détente entre les quarante invités, mais personne ne s’attendait à ce que ce soit la dernière apparition publique du juge Scalia. Ses amis ne le voyant pas arriver au petit-déjeuner le samedi matin, l’un d’eux partit à sa recherche et le découvrit mort dans sa chambre. Il semble être mort durant la nuit de causes naturelles.

Nommé par Ronald Reagan, le juge Scalia (Justice Scalia selon le titre donné aux membres de la Cour Suprême) était un esprit fidèle à la Constitution américaine, partisan d’un droit direct et intelligible par le commun des mortels. Dans son style particulier, incisif et souvent drôle, il s’alignait naturellement avec les opinions les plus conservatrices au sein du collège, dont le juge Clarence Thomas et le Chief Justice Roberts, actuel président de la Cour.

Sans surprise, le portrait d’Antonin Scalia brossé de ce côté de l’Atlantique est largement négatif : décrit comme conservateur, catholique « traditionaliste », on devine l’esprit borné. N’était-il pas d’ailleurs convaincu de la constitutionnalité de la peine de mort et défenseur de la détention d’armes individuelles ? Opposé à l’avortement, à l’union homosexuelle et à la discrimination positive ? Pas un journaliste pour comprendre qu’il s’agissait moins des positions de l’homme que d’une compréhension tout à fait banale de la Constitution américaine par le juge, à la portée de tout un chacun d’ailleurs…

Mais ce quiproquo plus ou moins involontaire entre les opinions personnelles d’un magistrat et la source du droit qu’il était chargé d’interpréter est au cœur du problème qui attend la prochaine Cour Suprême et les États-Unis dans leur ensemble – à brève échéance.

La Cour Suprême, un rôle central

La Cour Suprême américaine représente le faîte du pouvoir judiciaire des États-Unis. On ne peut pas faire appel de ses décisions. Elle peut également annuler des décisions politiques importantes. À l’opposé de constitutions truffées de formules générales de nombreux pays, la Constitution américaine définit aussi précisément que possible le rôle de l’État, c’est-à-dire ses prérogatives et son périmètre. Il ne peut, ou en tout cas ne devrait pas, les dépasser ni s’en attribuer de nouvelles. Les droits des Américains sont quant à eux protégés par un socle de droits fondamentaux, les fameux Amendements du Bill of Rights.

Comprendre et respecter la Constitution américaine revient donc à contenir l’évolution naturelle de l’État – comme de toute bureaucratie – à se mêler de domaines divers et variés sans aucune limite. La Cour Suprême a donc avant tout un rôle de gardien face à une évolution positiviste du Droit où le Gouvernement américain, s’éloignant de ses fonctions régaliennes, tend à légiférer sur des aspects toujours plus nombreux de la vie des Américains.

De ce fait, le rapport de force au sein du collège des juges est moins important que la majorité absolue. Tant que les constitutionnalistes tiennent le haut du pavé, la Constitution américaine signifie encore quelque chose ; que les constructivistes l’emportent et elle sera détruite, brisée par des réformes contraires à l’esprit des Pères Fondateurs qui se retrouveront pour toujours ancrées dans la jurisprudence.

Ces deux camps se retrouvent en grande partie, mais pas complètement, dans le clivage droite-gauche. Les Républicains sont en général respectueux de la Constitution, alors que les Démocrates la voient comme un papier à la seule valeur historique. Les seconds reprochent d’ailleurs continuellement aux premiers de s’abriter derrière la Constitution pour les empêcher de mener à bien les réformes qu’ils envisagent pour la société.

Les gauchistes des deux côtés de l’Atlantique se réjouiront sans doute de la nomination d’un candidat « progressiste », « libéral » ou « réformiste » qui permettrait par exemple de réglementer la possession d’armes à feu. Mais il faut bien comprendre que si ce Droit lié au 2ème Amendement est modifiable, il en sera alors de même pour d’autres amendements, comme le droit de connaître les raisons de son arrestation, l’interdiction de la torture, ou le droit à la liberté d’expression… Une perspective qui s’avère immédiatement plus inquiétante.

Le relativisme constitutionnel n’a pas de limites !

Les grandes manœuvres

La disparition d’Antonin Scalia change de nombreux équilibres au sein de l’appareil judiciaire américain. La Cour Suprême, temporairement réduite à 8 membres, rend par exemple des jugements sans valeur de jurisprudence aussi longtemps qu’elle ne retrouve pas un effectif complet. Mais le plus important a naturellement trait aux rapports de force au sein de l’institution.

Les juges sont nommés par le président en exercice et exercent un mandat à vie. Ils peuvent néanmoins démissionner. Ainsi, ils prennent généralement leur retraite à un âge avancé, si possible lorsqu’un président issu de leur sensibilité occupe la Maison Blanche. Avant le décès d’Antonin Scalia, 5 juges avaient été nommés par un président républicain, 4 par un démocrate ; même si la réalité est plus nuancée (rappelons-nous que le collège actuel a approuvé l’Obamacare) les factions constitutionnalistes / constructivistes se retrouvent désormais à 4 contre 4.

Sans surprise, dès l’annonce du décès du juge, Barack Obama se lança dans la bataille en voyant là une opportunité historique de faire basculer l’institution. Il annonça qu’il nommerait un successeur au juge Scalia dans les plus brefs délais. Décidé à pousser son avantage, Barack Obama ne souhaite pas attendre les élections de la fin de l’année qui verraient peut-être le succès d’un candidat républicain ; mais la partie n’est pas gagnée.

La nomination doit en effet passer entre les mains du Sénat pour la confirmation des candidatures de juges à la Cour suprême. Son président républicain, Mitch McConnell, qui fixe le calendrier du Sénat, a déclaré que le juge Scalia ne devrait pas être remplacé avant les élections présidentielles de l’automne. Nous verrons s’il parvient à tenir cette position jusqu’en novembre.

Si Barack Obama échoue dans ses projets, le choix reviendra donc aux citoyens américains. La question est donc moins le nom du remplaçant de M. Scalia que de savoir qui le nommera.

Si les 54 sénateurs républicains tiennent bon, ce sera aux Américains de décider lors de l’élection présidentielle. Hillary Clinton ? Bernie Sanders ? Donald Trump ? Un autre ? Quand les citoyens voteront, ils décideront bien davantage que le chef de l’exécutif. Par extension, ils se prononceront également sur la composition du collège des juges de la Cour Suprême, donc les différentes interprétations à donner à la Constitution ; et donc, finalement, les droits dont ils entendent disposer face à leur gouvernement.

Lire sur Contrepoints notre dossier spécial États-Unis

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  • Tiens, j’ai déjà lu un tel contexte dans un pays européen, la Pologne, je crois…

  • N’oublions pas l’incohérence de la décision de cette Cour dans l’élection de GWB

    Un déni de ce qu’on appelle (abusivement) « démocratie »

  • Etant donné que les français considèrent leurs constitutions comme des torche-culs, il n’est pas étonnant qu’ils ne puissent comprendre les positions du Justice Scalia.

    En outre, il ne semble pas que l’argument du Justice Scalia, par exemple, sur le SSM (Same Sex Marriage) soit qu’il est personnellement contre ou que la Constitution américaine s’y oppose.
    Son argument est bien plus pertinent. L’état fédéral n’a pas à légiférer sur la question puisque la Constitution ne le dispose pas. En effet, la Constitution américaine présente une liste exhaustive de ce que peut faire l’état fédéral.
    Malheureusement, cette nuance, pourtant cruciale, n’est pas comprise par les « journalistes » français.

  • Il semble inutile pour les républicains qu’Obama présente un candidat pour deux raisons fondamentales
    1) Il présentera un candidat » progressiste » selon toute vraisemblance
    2) le futur président sera peut-être républicain.
    En tout état de cause il peut « nommer » qui il veut …c’est le sénat ( à majorité républicaine) qui approuve ou pas ( to consent) selon les termes mêmes de la Constitution .
    Il veut essayer de passer en force comme le fait un premier ministre Français bien connu .

  • Assez effrayant, déjà qu’un juge progressiste n’a pas sa place à la court suprême, une majorité enlèverait toute protection aux américains face aux abus de pouvoir.
    L’avenir s’annonce assez sombre pour le pays.

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