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L’argent privé menace-t-il notre modèle culturel ?

Aurélie Filippetti et Jean-Jacques Aillagon, anciens ministres de la culture, en débattent le 17 septembre au Monde Festival.

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Publié le 07 septembre 2016 à 17h00, modifié le 27 décembre 2017 à 13h42

Temps de Lecture 5 min.

Les entreprises investissent de plus en plus dans la culture. Comment garantir à l’Etat sa mission de service public ? Deux anciens ministres de la culture, Aurélie Filippetti et Jean-Jacques Aillagon, en débattent le 17 septembre au Monde Festival (inscription et billetterie sur lemonde.fr).

Tout ou presque les oppose. Elle est socialiste, tendance frondeuse. Il est chiraquien et libéral. Elle aime la bataille, il préfère les mots arrondis. Ils partagent une affection pour leur Lorraine natale. Un goût pour la culture, surtout, dont ils sont des anciens ministres. Ils ont souffert à ce poste, elle à cause d’un budget rabougri, lui à cause du conflit des intermittents du spectacle. Le samedi 17 septembre, entre 10 heures et 11 h 30, Aurélie Filippetti et Jean-Jacques Aillagon vont se retrouver sur la scène du Théâtre des Bouffes du Nord dans le cadre du 3e Festival du Monde.

12 millions pour la galerie des Glaces

Ils vont débattre autour du thème : « Public-privé : quelle politique culturelle pour demain ? » Les échanges peuvent faire des étincelles, car c’est un des enjeux pour la création, les créateurs, le public. La France a inventé un Etat culturel, mais ce modèle vacille. Parce que l’argent privé occupe depuis dix ans une place comme il n’en a jamais eu auparavant. Dans ce secteur. Pour le meilleur disent certains, le pire craignent d’autres. Résumons l’évolution.

Longtemps, la règle fut du mécénat discret. Une entreprise ou un particulier sortent le chéquier pour contribuer à monter une exposition, aider un festival, financer un opéra, soutenir une compagnie de danse. Les choses changent il y a une quinzaine d’années, quand les pouvoirs publics, par manque d’argent, incitent les musées, monuments ou salles de concerts à augmenter leurs ressources propres – billetterie, mécénat, produits dérivés, location d’espaces, etc. Au même moment, en 2003, le ministre Jean-Jacques Aillagon fait voter une loi qui encourage le mécénat : entreprises et particuliers peuvent déduire de leurs impôts autour de 60 % du montant de leurs dons. Résultat ? La loi Aillagon libère les dons, les ressources propres des grosses institutions passent de 20 % à 50 % et plus. En 2007, Vinci offre 12 millions d’euros pour restaurer la galerie des Glaces, à Versailles. Tout un symbole.

La dernière étape voit des entreprises, souvent actives dans le luxe et l’art, créer leur propre fondation culturelle dans des bâtiments flamboyants ouverts au public. A la suite du pionnier Cartier, il y a plus de trente ans, citons Louis Vuitton, Jérôme Seydoux-Pathé, bientôt les Galeries Lafayette, Pinault – dont la collection est promise à l’ancienne bourse du commerce à Paris –, ou Luma à Arles. D’autres fondations d’entreprises font parler d’elles sans avoir de bâtiment repéré, comme Google, Hermès ou Culture et Diversité, lancée par Marc Ladreit de Lacharrière, il y a dix ans.

Des expositions contre un chèque

Cette offensive du privé est stimulante pour un Etat culturel qui manque de moyens et qui a pu s’ériger en patron du goût. Mais elle pose question. Déjà le privé voit bien que l’Etat souffre, et il en profite pour être plus intrusif. S’immisce dans les programmations de centres d’art ou musées en échange d’argent. Au début des années 2000, Total voulait financer la rénovation de la salle de La Joconde, au Louvre, et lui donner son nom. Le musée a dit oui, le ministère de la culture a refusé. Ce verrou a sauté à Londres, où la National Gallery a baptisé ses salles de peinture primitive italienne « Aile Sainsbury », du nom d’une chaîne de supermarchés.

L’autre question est liée aux fondations : l’argent qu’elles consacrent à leurs expositions ou spectacles, elles ne le donnent plus aux autres. Du reste le mécénat est en chute libre – 975 millions d’euros en 2007, 500 millions aujourd’hui. Bercy considère surtout que les fondations et le mécénat, par le biais de la défiscalisation, sont de l’argent public perdu.

Que cet argent ne sert pas vraiment à la culture, mais qu’il est le moyen pour des marques de se faire de la pub tout en se soustrayant à l’impôt. Pas d’accord, ont répondu nos responsables politiques, de gauche comme de droite. Ainsi, en 2012, on pensait que la ministre Aurélie Filippetti ferait la peau à la loi Aillagon. Fille de mineur, elle avait déclaré à propos du mécénat du groupe Wendel au Centre Pompidou à Metz : « Quand je vois le nom de Wendel sur les murs, cela me fait mal. » Finalement elle a sauvé la loi Aillagon des griffes de Bercy et s’en expliquera lors de notre débat.

Garantir la mission de service public

Autre question : public et privé jouent de plus en plus sur le même terrain. On va le voir à partir du 22 octobre quand Vuitton exposera cent trente tableaux de la mythique collection Chtchoukine – Monet, Cézanne, Gauguin, Matisse, Picasso, Degas, Renoir, Van Gogh – loués à deux musées russes. Un événement considérable, qui pourrait détourner les visiteurs des musées parisiens et les fragiliser un peu plus. Nombre de conservateurs s’en inquiètent, ajoutant que l’opération Chtchoukine coûterait autour de 10 millions d’euros à la Fondation Vuitton, et qu’à ce niveau, ils ne peuvent lutter.

Ce qui compte, dira-t- on, c’est que ces tableaux magnifiques viennent en France. Sauf que les entreprises du luxe ont des intérêts stratégiques qui peuvent diverger des missions de service public de l’Etat. Et qu’il faut en peser les conséquences. Jean-Jacques Aillagon est bien placé, lui qui a fait des allers-retours entre public et privé : il quitte le ministère de la culture en 2004, devient conseiller de François Pinault et l’accompagne dans l’installation de la collection d’art de l’industriel à Venise en 2005, retourne en 2007 dans le public en prenant la présidence du château de Versailles, fait entrer l’art contemporain au château un an plus tard avec l’exposition Jeff Koons, dont six œuvres appartiennent à M. Pinault, redevient son conseiller en 2011 –, il l’est toujours, comme il conseille la ville de Nice.

Plus largement, avec lui et avec Aurélie Filippetti, qui a toujours défendu un service public fort dans la culture, avec aussi les questions de la salle, nous cernerons les atouts et les limites d’un mouvement qui ne cesse de bousculer l’Etat culturel.

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