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« Qui pour arrêter Amazon, le voyou ? »

Le géant  du commerce en ligne agace tout le monde, sauf les internautes, écrit le libraire Renny Aupetit

Publié le 03 septembre 2014 à 12h09, modifié le 03 septembre 2014 à 12h09 Temps de Lecture 5 min.

Le géant américain Amazon.

En 20 ans, Amazon s'est imposé comme un acteur incontournable du commerce culturel. En France, il deviendra bientôt le 1er vendeur de livres. Et pourtant le géant du commerce en ligne agace les marchés financiers, déstabilise les filières culturelles, abuse les responsables politiques et méprise ses salariés sans qu'il soit possible d'apporter une riposte efficace, d'autant qu'il dispose du soutien inconditionnel de millions d'internautes. S'opposer à un tel comportement devient cependant un combat sociétal. Comment y parvenir ?

Amazon agace les marchés financiers. Les marchés financiers s'impatientent de l'absence de rentabilité du géant du e-commerce. Il accumule des déficits et s'est fait sanctionner par une baisse de 10 % à la bourse le 25 juillet dernier à l'annonce de ses derniers résultats, une perte de 94 millions d'euros. Pour convaincre ses actionnaires de continuer à le financer, il s'engage régulièrement dans des innovations ambitieuses : des drones pour la livraison (Prime Air), un système de paiement dédié (Amazon FPS), l'autoédition (Kindle Direct Publishing), le cloud computing (Amazon S3), un smart phone (Fire Phone) qui nécessitent des investissements colossaux quitte à sacrifier la rentabilité à court terme.

Amazon déstabilise les filières culturelles. Les filières culturelles déplorent qu'Amazon ne respecte plus l'écosystème dans lequel il est né et qui lui a permis de se développer. Dans le secteur du livre, les libraires furent les premiers à dénoncer sa politique de conquête de parts de marché en s'affranchissant de la loi sur le prix unique du livre. Ce sont à présent les auteurs, pris en otage dans un conflit avec Hachette sur le prix du livre numérique qui se mobilisent aux États-Unis et en Allemagne. Jeff Bezos adopte désormais une stratégie d'affrontement tout azimut. Ainsi, pour le marché du film où le bras de fer vient de commencer avec Disney, le patron d'Amazon propose aux auteurs et réalisateurs de se passer d'éditeur, de producteur, de publier et diffuser à compte d'auteur sur son site, devenu hypermarché d'une culture où la sélection, l'enrichissement, la promotion seront confiés à des algorithmes.

Amazon abuse les responsables politiques. Aux États-Unis, mécontent de son régime fiscal au Tennessee, Amazon a menacé d'implanter ses entrepôts dans l'Etat voisin de la Georgie, idem en Indiana, en Pennsylvanie… L'État français court après un redressement fiscal pour les années 2006-2010 de 200 millions d'euros. Tous les pays sont concernés par cette pratique d'optimisation fiscale où le chiffre d'affaires est déclaré là où la fiscalité est faible. Ce qui n'empêche pas le fraudeur de bénéficier de subventions : en 2012, le Conseil général de Saône-et-Loire et la région Bourgogne ont accordé 5 000 euros par emploi créé sur le site logistique de Chalon-sur-Saône. Et pour quel résultat ? 14 fois moins d'emplois que dans le commerce traditionnel du livre, des emplois non qualifiés, précaires. Aurélie Filippetti, première responsable politique à agir face « aux pratiques inqualifiables », a fait voter cette année une loi visant à encadrer les conditions de la vente à distance et interdire la livraison gratuite avec laquelle Amazon écrasait la concurrence. Le géant s'est empressé de répondre que la livraison passerait donc à 0,01 euro !

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Amazon méprise ses salariés. Les salariés (5 000 en France, 132 000 dans le monde) de ses nombreux entrepôts logistiques subissent des méthodes de management d'une autre époque. Le journaliste Jean-Baptiste Malet y a travaillé, son témoignage est accablant (En Amazonie : infiltré dans le meilleur des mondes, Fayard, 2012). Au-delà des conditions physiques et psychologiques choquantes, les salariés sont contraints de signer des clauses leur interdisant de pouvoir témoigner. Atteintes à la libre expression, menaces, sanctions, licenciements abusifs, des plaintes puis des procédures prolifèrent en France, en Allemagne, aux États-Unis. L'International Trade Union Confederation (20 000 votants) a désigné cette année Jeff Bezos comme « le pire patron du monde », pour son comportement et ses abus envers ses employés.

Combattre Amazon, un enjeu de société. Cette fronde ne doit pas être perçue comme un combat du passé contre l'avenir. Elle est portée par des acteurs responsables, adeptes des nouvelles technologies et ouverts aux nouvelles formes de commerce. Ils dénoncent une méthode guerrière, un appétit de prédateur, une volonté de dominer le commerce sans que cela soit bénéfique socialement, économiquement, durablement. Lorsque Jeff Bezos dit : « Nous sommes convaincus que rendre les livres accessibles à tous est bon pour la culture », il est populiste, manipulateur et pervers. Il tente de faire croire qu'entre l'auteur et le lecteur, il y aurait des professions inutiles et coûteuses. Amazon en situation de monopole imposera ses conditions, il commence à le faire au Japon, sélectionnera ce qui mérite à ses yeux d'être publié, opérera des choix arbitraires selon ses propres intérêts.

Amazon, l'ami des internautes. Amazon possède néanmoins un capital, une force de frappe, une arme de destruction massive : 200 millions de clients qui plébiscitent l'efficacité et la qualité de sa prestation. Ils obtiennent tout, tout de suite, moins cher. Ils ignorent, bien souvent, ce qui est reproché au géant américain. Jeff Bezos n'hésite pas à les utiliser pour faire pression. Actuellement il encourage ses clients américains à écrire au patron d'Hachette Book Group pour peser dans le conflit commercial : « Nous avons besoin de vous. S'il vous plaît écrivez à Hachette et mettez-nous en copie ». Cette pratique avait déjà été utilisée en France lors du conflit avec le Syndicat de la Librairie Française.

Un autre monde serait possible ? Aucune loi, réglementation, contrainte ne fera plier le voyou qui se déguise en Robin des Bois. Rien ne serait possible alors ? Pas si sûr. Si des clients d'Amazon mieux informés, décidaient pour le même prix d'aller voir ailleurs ? (c'est une chance, le prix du livre étant fixé par l'éditeur, il est donc au même prix partout). S'ils exerçaient leur pouvoir (d'achat) pour privilégier des acteurs responsables, respectueux, vertueux ? Si le mouvement s'amplifiait ? Ils constateraient qu'acheter c'est voter, que cela constitue le seul levier de pression efficace sur l'opérateur rebelle. Ils redécouvriraient qu'au fond c'est le client qui décide, le client-roi, celui qui a le dernier mot. Utopie ? C'est à eux, à vous, de voir.

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