L’histoire fait chaud au cœur. Chaque jour, dans la petite gare de Kami-Shirataki, sur l’île japonaise d’Hokkaido, un train s’arrête pour une unique passagère afin de lui permettre de mener ses études dans les meilleures conditions. Si cela fait deux ans que l’article de Franceinfo sur le sujet a été publié, il a connu, ces derniers jours, un succès nouveau avec le conflit à la SNCF sur fond de réforme et de crainte de fermeture des petites lignes.
POURQUOI C’EST FAUX
Louée sur les réseaux sociaux comme un bel exemple du service public, où il n’est « pas question de rentabilité », la compagnie japonaise de chemin de fer gérant la gare en question est… une entreprise privée.
En effet, JR Hokkaido (Hokkaido Japan Railway) est une compagnie de droit privé responsable du transport ferroviaire dans la région depuis la privatisation du secteur, en 1987.
Lorsque la JNR, l’ancienne compagnie nationale de transport ferroviaire, a atteint un déficit de 25 billions de yens, soit 191 milliards d’euros, elle a choisi de disparaître pour céder sa situation de monopole à sept nouvelles compagnies distinctes. Le gouvernement japonais, qui possédait toutes les actions de ces entreprises à leur création, a choisi de vendre progressivement ses parts au fur et à mesure qu’elles devenaient rentables, afin d’achever le processus de privatisation.
JR Hokkaido est l’une des compagnies qui peinent à devenir rentables, car l’île a une faible densité de population. Elle est donc toujours contrôlée par l’Agence de construction, transport et technologie ferroviaire, laquelle dépend du gouvernement. JR Hokkaido reste, cependant, une entreprise de droit privé et obéit à une logique financière en cherchant la rentabilité de ses lignes.
Hokkaido comptait 3 176 kilomètres de voies ferrées en 1987, elle en compte moins de 2 500 aujourd’hui. Le président de JR Hokkaido a annoncé, en novembre 2016, vouloir fermer toutes les lignes avec moins de deux cents passagers quotidiens, ce qui correspondrait à près de la moitié de son réseau ferré actuel. C’est dans ce contexte que la petite gare Kami-Shirataki a fermé ses portes en mars 2016.
Des faits très romancés
L’histoire de la station à « l’unique passagère » trouve ses racines dans une publication Facebook (supprimée depuis) de la chaîne de télévision chinoise CCTV, en janvier 2016. Aucun élément de preuve n’est apporté, mais la publication rencontre une très grande popularité, jusqu’à devenir une légende urbaine. Celle-ci donne, en effet, une image positive des transports en commun japonais, dans une période de désertification des zones rurales, et où les petites lignes ferment en conséquence, remplacées par le Shinkansen (le train à grande vitesse) reliant les pôles urbains.
Le quotidien taïwanais Apple Daily, cité par le Straits Times de Singapour, est le premier à remettre en question l’exactitude de cette histoire. Malgré son charme qui évoque les chefs-d’œuvre du Studio Ghibli, celle-ci est très exagérée, affirme le quotidien. La jeune fille en question, Kana Harada, prendrait en réalité le train à la station Kyu-Shirataki (et non Kami-Shirataki), à deux arrêts de là. L’Apple Daily rapporte aussi qu’il y aurait en réalité une dizaine d’élèves de la même école dans ce train chaque jour, et non une seule étudiante.
Ces informations coïncident avec un article publié en 2015 par un média local d’Hokkaido, six mois avant la publication de l’histoire sur Facebook. « Suivant la stratégie de rationalisation de JR Hokkaido », la compagnie annonçait dès 2015 « la fermeture de quatre stations sans personnel », faute de trafic suffisant. Les stations concernées étaient Kami-Shirataki, Kanehana, Shimo-Shirataki et Kyu-Shirataki, toutes étant sur la même ligne au nord-est de l’île.
Le calendrier des fermetures étant le même pour toutes les stations de la ligne amenées à fermer, et celui-ci ayant été rendu public bien avant la publication de l’histoire, rien ne suggère que la gare est restée ouverte spécialement pour faciliter la scolarité de Kana Harada.
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