Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Le jeu de go, paroxysme de la guerre entre Facebook et Google sur l’intelligence artificielle

Facebook et Google travaillent tous deux sur des technologies capables de battre l’humain au go. Avec le succès de son programme AlphaGo, Google porte un coup dur à son rival.

Par 

Publié le 28 janvier 2016 à 16h16, modifié le 28 janvier 2016 à 19h41

Temps de Lecture 5 min.

Le « deep learning » a permis de grandes avancées dans le domaine de l'intelligence artificielle.

En annonçant mercredi 27 janvier la première victoire d’un programme informatique contre un joueur professionnel de go, Google a marqué une étape dans l’histoire de l’intelligence artificielle (IA). Et a gagné une importante bataille dans la guerre de communication qui l’oppose à un autre géant du Web, Facebook, qui travaille lui aussi sur un programme capable de battre les meilleurs joueurs de go au monde.

Si ces grandes entreprises s’intéressent tant à ce jeu ancestral, c’est que le go est un symbole dans la recherche en intelligence artificielle, qui planche sur le sujet depuis des décennies. « C’est le graal de l’intelligence artificielle, un des objectifs les plus durs à atteindre », estime Tristan Cazenave, professeur à l’université Paris-Dauphine, spécialiste de la programmation des jeux et notamment du go. « Tous les chercheurs en intelligence artificielle dans les jeux ont le même but : battre le meilleur humain au go. » Un objectif que Google n’a pas encore réussi à atteindre : son programme, baptisé AlphaGo, a battu le champion d’Europe en titre, le Français Fan Hui, mais doit encore affronter le meilleur joueur au monde, le Sud-Coréen Lee Sedol, pour définitivement remporter la guerre du go.

Mark Zuckerberg tente d’occuper le terrain

Cependant, l’annonce de mercredi représente déjà une immense victoire pour Google sur ses rivaux, et notamment sur Facebook, qui a tenté, tout au long de la journée, d’exister sur le plan médiatique en communiquant abondamment sur ses progrès en intelligence artificielle. Comme tous ceux qui travaillent sur l’IA dans les jeux, Facebook savait que Google allait annoncer sa grande avancée dans la revue Nature. Ce n’est donc pas un hasard si, quelques heures plus tôt, Mark Zuckerberg, patron de Facebook, publiait sur son réseau social un message… consacré au go.

« L’année dernière, l’équipe de recherche en IA de Facebook a commencé à créer une IA qui apprenne à jouer au go. Les scientifiques ont tenté pendant vingt ans d’apprendre aux ordinateurs à gagner au go. Nous nous en approchons, et en six mois nous avons construit une IA capable d’effectuer des coups en 0,1 seconde seulement, et être aussi douée que les précédents systèmes qui ont pris des années à voir le jour. »

Une manière de montrer ses muscles et de bénéficier de quelques retombées médiatiques avant l’annonce de Google. Avec succès : « L’intelligence artificielle joueuse de go de Facebook devient de plus en plus intelligente », titrait le magazine Venture Beat, « L’IA de Facebook “s’approche” d’une victoire contre les humains au Go », pouvait-on lire, entre autres chez Wired. De quoi brouiller le message reçu par le grand public à l’issue de cette journée agitée.

Mais cela n’a visiblement pas suffi puisque Mark Zuckerberg a récidivé, moins de deux heures avant la publication de Nature. Dans un très long billet consacré à l’intelligence artificielle, Mark Zuckerberg joue la surenchère, expliquant que Facebook s’attaque à « un important défi pour toute la communauté de recherche en IA (…), peut-être le plus important problème de ce siècle et peut-être même du millénaire » : comprendre comment fonctionne l’apprentissage chez les humains, et s’en servir pour enseigner le « sens commun » aux machines. Une manière de relativiser l’exploit que Google s’apprête alors à annoncer, en mettant en évidence les défis, bien plus importants, que l’IA doit encore relever.

Des avancées compréhensibles du grand public

Car au-delà du go, les grandes entreprises du Web se livrent une guerre sur le terrain plus large de l’intelligence artificielle, à grand renfort d’annonces plus impressionnantes les unes que les autres.

En plus de représenter une innovation conséquente, l’annonce de Google sur le go a notamment pour intérêt d’être intelligible pour le grand public, contrairement à de nombreux progrès de l’IA qui, faute d’être compréhensibles de tous, restent cloîtrés dans la labos et les colonnes des publications les plus pointues. Qui plus est, étant donné la popularité du go en Asie, Google s’assure une énorme couverture médiatique dans cette partie du monde. Tout en faisant écho, dans l’imaginaire collectif, à une étape majeure de l’histoire scientifique : la victoire, en 1997, de l’ordinateur d’IBM Deep Blue aux échecs contre le grand maître Garry Kasparov.

Dans la même veine, Google avait annoncé dès 2012 avoir mis au point un programme capable de découvrir, par lui-même, le « concept » de chat – en analysant dix millions d’images aléatoires issues de YouTube, la machine avait fini par reconnaître d’elle-même la forme du félin. Une avancée qui, là aussi, avait le mérite d’être une prouesse scientifique parlante pour le grand public.

Du côté de Facebook, Mark Zuckerberg a annoncé en janvier à son milliard « d’amis » que son défi personnel de l’année serait de construire une intelligence artificielle ressemblant à « une sorte de Jarvis dans Iron Man ». En évoquant le majordome virtuel du célèbre super-héros, le patron de Facebook cherchait, là aussi, à faire rêver le grand public. Il y a six mois, Facebook avait ouvert un laboratoire d’intelligence artificielle à Paris, mettant à sa tête l’un des plus grands noms de l’IA, Yann LeCun, un des inventeurs du « deep learning » – une méthode à la base d’AlphaGo et d’autres avancées majeures. Et Facebook indique aussi travailler sur un assistant personnel, baptisé M, qui ambitionne de répondre à toutes les questions posées par son utilisateur et de l’aider, par exemple, à réserver des billets d’avion ou trouver une idée de cadeau pour quelqu’un.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Yann LeCun, l’intelligence en réseaux

Prestige et recrutement

Mais ces grandes entreprises ne se contentent pas de faire rêver le grand public : elles s’adressent aussi aux développeurs et chercheurs intéressés par l’intelligence artificielle. Ces dernières semaines, Google, Facebook, Microsoft et même le chinois Baidu ont toutes, s’imitant les unes et les autres, annoncé la mise à disposition de certaines de leurs technologies d’IA les plus pointues. En rendant ces outils « open source », ce qui signifie que n’importe qui peut s’approprier, utiliser et modifier leur code source, ces entreprises tentent de se positionner en leader dans le secteur de l’IA.

Car c’est bien tout l’enjeu de cette guerre de communication : devenir la figure de proue de l’intelligence artificielle, un secteur dans lequel les investisseurs misent massivement. Pour Rémi Coulom, ancien maître de conférences à l’université Lille-III, et développeur de CrazyStone, un des programmes de go les plus avancés, ces entreprises ont deux objectifs :

« Facebook et Google font ça pour le prestige, c’est un moyen pour eux de se faire de la pub, mais aussi de recruter des talents. Ces entreprises dépensent une quantité d’énergie folle pour recruter les meilleurs spécialistes du domaine. Et ce genre d’annonce leur donne envie de les rejoindre. »

Malgré les efforts désespérés de Facebook, la star du jour reste incontestablement Google… Jusqu’à la prochaine annonce de l’entreprise de Mark Zuckerberg. Et celui-ci n’a pas dit son dernier mot. Car le véritable « graal » reste, pour AlphaGo, de battre le meilleur joueur au monde. Un affrontement prévu pour mars, et qui est loin d’être gagné, tant la différence de niveau entre Fan Hui et Lee Sedol est importante. Si la machine l’emporte, Google marquera l’histoire de l’intelligence artificielle comme IBM en son temps. En cas d’échec, Facebook, toujours en course, pourra se dire qu’il a perdu une bataille – mais pas la guerre.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.