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Bilan sévère des effets de la loi de 2016 sur la prostitution

L’enquête de la chercheuse Hélène Le Bail, rendue publique jeudi, montre que la diminution du nombre de clients contraint les prostituées à baisser leurs tarifs et à se mettre en danger.

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Publié le 12 avril 2018 à 10h02, modifié le 13 avril 2018 à 06h33

Temps de Lecture 3 min.

Une opération antiprostitution dans le bois de Boulogne, à Paris, en 2012.

Le constat est cinglant : « La loi sur la prostitution met en difficulté les personnes qu’elle était censée protéger mieux », résume Hélène Le Bail, chercheuse au CNRS et au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). Cette dernière a effectué, depuis le vote de la loi le 13 avril 2016, et pour le compte d’une douzaine d’associations, une enquête fouillée auprès des personnes prostituées, rendue publique jeudi 12 avril.

Ces associations – parmi lesquelles Médecins du monde, les Amis du bus des femmes, le planning familial, le Syndicat des travailleurs du sexe (Strass) – ont toujours été opposées au texte, en particulier à la pénalisation des clients, redoutant ses conséquences.

« Nous sommes partis sur des hypothèses d’impacts négatifs de la loi sur la santé et la sécurité des personnes, rapporte Hélène Le Bail, elle-même bénévole à Médecins du monde. Ces hypothèses se sont malheureusement confirmées. La réalité va même au-delà. »

Au total, soixante-dix entretiens individuels ont été menés, trente-huit personnes supplémentaires ont été interrogées au cours de réunions ciblées, une enquête quantitative a permis de recueillir l’opinion de 583 personnes prostituées et vingt-cinq associations ont été interrogées. Un échantillon non représentatif, mais significatif, en particulier pour une population qu’il n’est pas facile de contacter.

Des clients moins nombreux

L’un des principaux enseignements de l’enquête est que les clients, visés par une amende d’un montant maximal de 1 500 euros, sont moins nombreux – cela en dépit du faible nombre de verbalisations, puisqu’un peu plus de deux mille ont été sanctionnés. C’était l’objectif de la loi : lutter contre la prostitution en décourageant la demande.

Cependant, l’effet est moins net sur la prostitution qui passe par les annonces en ligne. En outre, la diminution de cette clientèle de rue s’accompagne d’une dégradation importante des conditions de vie, déjà très précaires, des prostituées (des femmes dans 85 % des cas) : revenus en baisse, difficultés à se loger, voire à se nourrir, etc., selon l’enquête.

Des problèmes que confirment les témoignages rapportés, comme celui de Yacine*, un travesti algérien. « Il demande : “Combien c’est ?” Je lui dis : 30 euros. Il me dit : Ah non je n’ai que 10. Moi, avant, je n’acceptais pas. Même mes copines n’acceptaient pas 10 euros. Mais maintenant je l’accepte. » Ou celui de la Nigériane Grace : « C’est différent parce qu’ils savent qu’il n’y a pas beaucoup de clients. Ils prennent des risques en venant me voir, donc ils veulent que je baisse les prix. »

Certaines prostituées font donc beaucoup plus d’heures et les demandes de rapports sans préservatif sont plus nombreuses et plus acceptées pour tenter de combler la perte de revenus dans la rue.

Faute d’argent, « on prend quand même le risque » 

Les « bons clients », qui respectent les règles établies au départ, se raréfient. « On n’a pas d’argent, donc si on rencontre des mauvais clients, on prend quand même le risque », témoigne Min, une Chinoise. La Française Marie a réfléchi à « peut-être accepter à nouveau des gens de [s]a black list ». Afin de rassurer leurs clients, les prostituées interrogées attendent dans des lieux plus isolés, plus sombres, ce qui augmente les risques de violence.

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L’abrogation du délit de racolage, qui faisait partie de la loi, n’a pas amélioré la situation. Beaucoup restent inquiétées par la police, soit parce qu’elles n’ont pas de papiers (la grande majorité est étrangère), soit parce que les municipalités où elles travaillent ont pris des arrêtés antiprostitution.

Dernier volet de la loi, les parcours de sortie de la prostitution, qui permettent d’octroyer une indemnité et un titre de séjour temporaire si la personne arrête son activité, ont mis longtemps à démarrer. Ils apparaissent pour l’heure peu attractifs pour la majorité des personnes interrogées, notamment en raison du faible montant de l’indemnité (330 euros par mois). Une cinquantaine de procédures seulement ont été lancées ; certains dossiers ont été refusés en raison de réticences à délivrer des titres de séjour.

Les associations favorables au texte (Mouvement du nid, collectif Abolition 2012) continuent à défendre sa philosophie, et ont prévu des rassemblements, jeudi, pour réclamer « son application pleine et entière ».

* Les prénoms ont été modifiés.

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