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Pourquoi la croissance revient en Italie et pas en France

OLIVIER MORIN/AFP

FIGAROVOX/ANALYSE - L'économiste Charle Wyplosz compare la situation économique française et italienne. Alors que la confiance revient gentiment en France, c'est un véritable bond que l'on observe en Italie.


Charles Wyplosz est professeur d'économie internationale à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, et directeur du Centre international d'études monétaires et bancaires.

Ses principaux domaines de recherche sont les crises financières, l'intégration monétaire européenne, les politiques monétaires et budgétaires ainsi que l'intégration monétaire régionale. Il intervient fréquemment comme expert auprès d'organisations internationales.


Une des indications les plus fiables indiquant l'évolution future de l'activité économie est fournie par les sondages sur le degré d'optimisme ou de pessimisme des consommateurs et des entreprises. Alors que la confiance revient gentiment en France, c'est un véritable bond que l'on observe en Italie. Le contraste est cruel, tout comme les raisons probables du retour de l'optimisme en Italie.

En Italie comme en France, tout le monde a compris que la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l'euro sont des événements positifs importants et qui vont probablement durer. Mais il a beaucoup plus en Italie. Sur le plan politique, Matteo Renzi démontre que le changement, c'est vraiment maintenant. Il ne propose pas de longues listes de réformettes, il reconnait les tares majeures du pays, mille fois détaillées, et fait des réformes profondes. Les politicards et les lobbies détestent, s'agitent et s'opposent, mais leurs arguments glissent sur les plumes du Premier Ministre. Au sein de son propre parti, la fronde grogne. Mais, avec un taux d'approbation dans les sondages tout à fait décent, et supérieur à celui de son parti, il n'a pas besoin de s'en inquiéter.

En un peu plus d'un an au pouvoir, il n'a vraiment fait que deux réformes, mais quelles réformes! Depuis 1945, l'Italie est connue pour son instabilité politique. Les gouvernements se succèdent et tombent dès qu'ils déplaisent à tel ou tel lobby. La cause est le système électoral, qui favorise le morcellement. En outre, le gouvernement a peu de pouvoir face aux deux chambres du parlement, qui chacune doivent approuver dans les mêmes termes toute loi, et qui ne se privent pas d'être en désaccord. Renzi a proposé de tout changer d'un coup. Un nouveau système électoral devrait assurer l'émergence de majorités stables et le sénat voit ses prorogatives (et sa taille) sévèrement rognées. S'il arrive à ses fins, sans doute début mai, ce sera un tournant historique, tout comme le passage de la Quatrième à la Cinquième République en France.

La réforme adoptée par Renzi consiste à adopter un contrat de travail unique et variable. En gros, tout nouvel employé commence comme avec un CDD et, au fil du temps, la protection augmente et évolue vers l'équivalent d'un CDI.

L'autre grande réforme, c'est celle du marché du travail, avec de nombreuses leçons pour la France. Nos deux pays partagent un marché dual. D'un côté, les employés en CDI, très protégés, de l'autre ceux qui vont de CDD en CDD en passant par la case chômage. En Italie comme en France, les premiers sont la majorité mais, ces dernières années, les embauches en CDD dominent. Les inconvénients de ce marché dual ont été mille fois décrits. Outre la précarité, qui saute aux yeux, les employés en CDD ne peuvent pas développer réellement des compétences professionnelles. Ils restent des marginaux du travail que les entreprises utilisent sans les former. Au taux du SMIC, nombre d'entre eux ne sont pas rentables. De fait, ils ne sont employables en CDI. Cela vaut aussi pour les «petits boulots» dans le service public que tous les gouvernements chérissent car ils permettent de faire baisser les chiffres officiels du chômage et procurent une bonne conscience totalement injustifiée. De plus, pour ne pas fâcher les syndicats qui ne veulent pas de concurrence pour les emplois normaux, ces «petits boulots» concernent souvent des activités sans grand intérêt et constituent un véritable gaspillage. Cette dualité est une cause majeure du chômage de masse.

La réforme adoptée par Renzi consiste à adopter un contrat de travail unique et variable. En gros, tout nouvel employé commence comme avec un CDD et, au fil du temps, la protection augmente et évolue vers l'équivalent d'un CDI. Au lieu d'une dualité brutale, ce système très largement défendu par les économistes en France, établit une continuité dans les relations employés-employeurs. En même temps, Renzi réduit considérablement la possibilité pour les tribunaux d'obliger les employeurs à ré-embaucher les personnes licenciées. On sait que cette juridisation des licenciements a pour résultat de freiner les embauches en CDI. En Italie, les tribunaux ne pourront intervenir qu'en cas de licenciement abusif (discrimination et mesure disciplinaire) avéré. Enfin, les allocations de chômages sont augmentées mais elles décroîtront avec le temps et s'arrêteront au bout de 78 semaines, de manière en encourager les chômeurs à reprendre le travail.

Ce n'est pas la première réforme du marché du travail en Italie. Deux réformes, en 1997 et 2003, avaient déjà amélioré la situation, mais elles étaient partielles. Renzi a conclu que les réformes partielles sont aussi difficiles politiquement que les vraies réformes abouties - l'auteur de la réforme de 2003, Marco Biagi, a été assassiné - mais ne produisent que des effets décevants. Cette fois, c'est la bonne, même s'il reste encore un peu de travail à accomplir. C'est là la première leçon italienne. Quand on pense au drame politique soulevé par les toutes petites réforme Macron, on ne peut éviter de juger sévèrement la méthode Hollande.

La seconde leçon, c'est que la réforme du marché du travail ne peut pas être soumise à l'acceptation des syndicats. Ils ne représentent qu'une minorité des salariés du secteur privé et défendent les intérêts de ceux qui sont en CDI. Comme in contrat unique est forcément moins favorable qu'un CDI, leur opposition est totale. En Italie, les syndicats ont organisé des manifestations gigantesques, Renzi ne semble pas s'en être ému.

La troisième leçon est bien connue. Dans une économie dynamique, les entreprises doivent être agiles. Certaines croissent, d'autres disparaissent, mais le dynamisme est source d'emplois. Il faut protéger les employés qui peuvent être licenciés en leur donnant les moyens de se relancer, pas les emplois qui doivent évoluer en fonction des circonstances.

La dernière leçon est inspirée par l'optimisme retrouvé en Italie. Les réformes sont trop récentes pour avoir déjà déployé leurs effets. Mais les Italiens ont bien compris qu'elles changent la donne. L'optimisme qui en résulte devrait se traduire par une reprise de la croissance suffisamment vigoureuse pour faire baisser le chômage. Une bonne réforme est récompensée par anticipation et crée un cycle vertueux. Autrement dit, le courage paie.

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116 commentaires
  • monaco00

    le

    J'imagine qu'a la base de tout, l'Italie continue a maintenir, envers et contre tout, un secteur industriel et un esprit d'entreprendre qui n'existe pas vraiment en France. Aussi, une convergence d'événements internationaux (l'Expo de Milan, notamment) et d'investissements étrangers qui améliorent l'attractivité du pays a l'international (l'achat de Pirelli par ChemChina, la vente partielle d'Alitalia a Etihad) vont surement apporter de l'argent frais a l'économie. Mais il va falloir faire attention a une dette publique gargantuesque (135% du PIB) et a un chômage des jeunes encore trop élevé (40%).

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