Pourquoi Bercy assigne Amazon en justice

Une enquête de la Répression des fraudes pointe les pratiques abusives du géant américain envers ses fournisseurs, des TPE et PME soumises à forte pression. Le ministre, Bruno Le Maire, a porté plainte.

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a assigné Amazon devant le tribunal de commerce de Paris. En cause, les conditions imposées aux entreprises vendant leurs produits sur sa plate-forme commerciale.
Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a assigné Amazon devant le tribunal de commerce de Paris. En cause, les conditions imposées aux entreprises vendant leurs produits sur sa plate-forme commerciale. LP/FRÉDÉRIC DUGIT

    Bruno Le Maire face à Amazon, c'est un peu David contre Goliath. Pour autant, Bercy se pousse du col, car le ministre de l'Economie a assigné le géant américain devant le tribunal de commerce de Paris. « C'est un acte fort et inédit », lance fièrement un haut fonctionnaire. Et cela pourrait coûter très cher au géant américain. Selon nos informations, Bercy aurait demandé une amende de 10 M€ pour remettre Amazon sur les rails. Une sanction record, si elle est validée.

    Pendant deux ans, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enquêté sur toutes les plates-formes Internet. Les agents de Bercy ont épluché les contrats de Cdiscount, Rue duCommerce, Fnac.com, Amazon... Ils ont scruté les clauses imposées aux vendeurs et multiplié les échanges avec les différents acteurs. Le verdict : Amazon abuse largement de sa position dominante.

    « La plate-forme impose un rapport déséquilibré avec ses vendeurs, explique Loïc Tanguy, directeur de cabinet de la DGCCRF. Cela ressemble beaucoup aux relations qui existent entre la grande distribution et ses fournisseurs. » En clair : pour vendre sur la plate-forme et profiter de ses 3,5 millions de visiteurs par jour en France, les plus de 10 000 entreprises hexagonales inscrites sur le site ont intérêt à se plier en quatre. Selon l'enquête de la DGCCRF dévoilée dans nos colonnes, les TPE et PME subissent de nombreuses clauses abusives jusqu'à, parfois, « les pousser à la faillite ». En voici quelques exemples.

    Les modifications de contrat unilatérales

    Amazon peut changer les contrats quand bon lui semble. Concrètement, la plate-forme peut imposer du jour au lendemain des délais de livraison plus courts, exiger des vendeurs des bilans plus fréquents ou bien leur demander des vérifications de toutes sortes qui bloquent alors complètement leurs ventes. Sur le forum d'Amazon réservé aux vendeurs, les coups de gueule sont nombreux. « Cela fait plus d'un an que mon compte est en instance de vérification, dénonce l'un d'entre eux. J'ai demandé que l'on me rappelle pour que l'on me dise concrètement quels documents je dois renvoyer. Je n'ai que des messages de robots. En attendant, je ne peux rien vendre et je me retrouve avec un stock invendu. »

    La garantie de A à Z, coup de massue financier aux vendeurs

    Si, en façade, cela signifie que le client est roi sur Amazon, toute la responsabilité retombe sur les petits vendeurs. En cas de problème de livraison, de paquet abîmé, de délais non tenus, le géant américain ne pourra en être tenu pour responsable. A chaque fois, c'est au fournisseur de gérer et de payer la note, immédiatement. Sinon ? C'est dehors !

    La possibilité de suspendre le contrat à tout moment

    Voilà ce qui maintient une pression permanente. Car, si les vendeurs doivent répondre aux exigences d'Amazon, ils doivent aussi être parfaits vis-à-vis des clients. Si un fournisseur enregistre, par exemple, des avis négatifs, Amazon risque automatiquement de fermer son compte. Un patron de PME dénonce ce système sur le forum des vendeurs. Il y a quelques semaines, un e-mail automatique lui a été envoyé : « Je vous informe que votre taux de commande défectueuses est supérieur à l'objectif, qui est de 1 % », mentionne le courriel. « Mon compte risque d'être suspendu à cause d'une réclamation qui a finalement été enlevée par l'acheteur », proteste le vendeur, agacé d'être traité comme un « vulgaire subordonné ». Le géant américain, qui n'a pas répondu à nos questions, a également botté en touche lorsque Bercy lui a demandé de se remettre dans le rang.