Ruptures de stock dans les pharmacies

Les ruptures d'approvisionnement explosent cette année. Des dysfonctionnements sont parfois à l'origine du problème.

Ruptures de stock dans les pharmacies

    Ruptures de stock organisées ou pénurie de médicaments ? Malgré une réglementation très contraignante, les pharmaciens de France ont de plus en plus de mal à remplir leurs rayons. Apparu en 2008, ce phénomène prend une ampleur inédite. A tel point que les ruptures d'approvisionnement ont, selon l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), été multipliées par dix en l'espace de sept ans . Et encore, cette agence n'a qu'une vue partielle de la situation.

    Sur le terrain, les pharmaciens, eux, sont nettement plus alarmistes : « Tous les jours je reçois au moins un patient auquel je ne peux fournir un des médicaments qui lui a été prescrit », constate ainsi Issam Bouha, pharmacien à Clamart (Hauts-de-Seine). « Depuis mai, 300 médicaments s'affichent en rupture de stock sur les listings des fournisseurs », assure-t-il en s'appuyant sur un constat dressé par les pharmaciens de sa commune et de son groupement. Et de citer l'Inspira, l'Exforge et Rasilez (contre l'hypertension), Embrel (immunosuppresseur), et encore des vaccins tels que Infanrix et Priorix parmi les molécules qui manquent à l'appel. « Tous les fabricants sont concernés », souligne-t-il.

    Une gêne réelle pour les malades

    Issam Bouha vient d'adresser une alerte sanitaire à l'ANSM, et a mis en demeure à la fois son fournisseur (appelé grossiste répartiteur) et plusieurs laboratoires pour qu'ils règlent le problème. Car si nombre de ruptures de stock sont dues à des pénuries ponctuelles de matières premières, une poussée de la demande, des incidents dans la chaîne de fabrication et de distribution... la plupart relève d'un « dysfonctionnement organis?, insiste ce professionnel. La faute à une pratique aux effets pervers : le contingentement. Les laboratoires, qui veulent empêcher les grossistes de vendre leurs médicaments à l'étranger, limitent le nombre de boîtes mises à leur disposition. Ce qui entraîne des pénuries.

    Pour les patients, la gêne est réelle, et les mesures mises en Å?uvre pour lutter contre le phénomène sont restées sans effets. La future loi de santé ambitionne de régler le problème. Mais uniquement pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur.

    Pour expliquer les pénuries, laboratoires et grossistes ont des arguments bien huilés. Le Leem (pour les Entreprises du médicament), qui représente les labos, s'appuie ainsi sur des graphiques. Et de préciser que 28 % des ruptures de stock sont dues à une capacité de production insuffisante, 16 % à une pénurie de matière première, 33 % à un problème de production...

    Côté grossistes, la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) explique que « sans nous et notre obligation d'avoir un stock de quinze jours, il y aurait trois fois plus de rupture de stock ».

    Mais en insistant, la question du contingentement arrive vite sur la table. Cette pratique des laboratoires qui consiste à limiter les livraisons aux grossistes existe, c'est de notoriété publique, accuse Emmanuel Déchin, président de la CSRP : « 500 à 600 médicaments, sur les 10 000 présentations disponibles, font l'objet d'un contingentement. »

    Et si les labos contingentent, c'est pour empêcher les grossistes d'exporter. En effet, ces derniers vendent des médicaments dans des pays où ils sont mieux remboursés : l'Allemagne, l'Italie... A la clé, des marges plus importantes pour les grossistes et un manque à gagner pour les laboratoires. « Cette activité est légale, défend Emmanuel Déchin. Mais cela se fait dans le respect des obligations de service public, à savoir disposer d'un stock de quinze jours et donner priorité au marché domestique. »