Un million de mètres carrés inutilisés sous les toits de Paris

Un million de mètres carrés inutilisés sous les toits de Paris

    Un million de mètres carrés carrés vides dans les plus beaux quartiers de la capitale. Voilà un gisement que la Ville de Paris ne pouvait laisser passer, elle qui souhaite créer 10 000 logements par an jusqu'en 2020. Selon une étude que vient de réaliser l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), 85% des 114 400 chambres de bonne de Paris seraient inhabitées. Un chiffre obtenu en croisant les données du recensement et celles de la fiscalité locale. «C'est clairement un potentiel très important pour créer des logements privés et sociaux, reconnaît Ian Brossat, l'adjoint (PC) au logement. Mais il faut maintenant travailler au dispositif qui permettra d'en mobiliser le maximum.»L'élu vient de commander une étude d'ingénierie à la Société de requalification des quartiers anciens (Soreqa) qui lui sera remise avant la mi-2016. Car la tâche n'est pas si simple qu'il y paraît. «Si ces chambres sont vides, c'est qu'elles ne répondent plus aux normes de confort d'aujourd'hui et plus de la moitié d'entre elles sont en dessous des 9m2 légaux (lire ci-dessous), souligne Ian Brossat. Cela suppose donc de lourds travaux et des regroupements de logements.»Des micrologements très encadrés par la loi Si les chambres de bonne occupées à Paris sont passées de 66 000 en 1968 à 17 300 aujourd'hui, ce n'est pas seulement dû à une évolution sociologique mais aussi à un durcissement de la loi. Un décret du 30 janvier 2002 sur le logement décent stipule que celui-ci doit disposer d'une pièce principale d'au moins 9 m2 avec une hauteur sous plafond égale ou supérieure à 2,20 m ou d'un volume habitable d'au moins 20 m3. Son locataire doit disposer d'un chauffage, d'un réseau électrique permettant l'éclairage, d'une alimentation en eau potable avec une pression et un débit suffisants, d'un coin cuisine et d'une évacuation des eaux usées. Le WC peut être extérieur s'il est dans le même bâtiment et facilement accessible.Pour y parvenir, la Ville a déjà identifié deux pistes. La première serait d'inciter les propriétaires à rénover leurs biens dans le cadre du dispositif Multiloc' lancé le mois dernier. En échange de subventions et d'une garantie en cas de loyers impayés, les bailleurs s'engageraient à louer l'appartement 20% en dessous du prix du marché. «Cela profiterait notamment aux jeunes actifs et aux classes moyennes», note Ian Brossat. L'autre solution passe par un rachat des chambres par les bailleurs de la Ville de Paris qui les transformeraient ensuite en logements sociaux. «Un bon moyen de faire de la mixité sociale dans les quartiers de l'ouest parisien», souligne l'adjoint. Car ces chambres de service situées dans les étages élevés des immeubles bourgeois construits de 1830 à 1914 et traditionnellement réservées aux domestiques obéissent à une géographie particulière. L'Apur note ainsi qu'elles sont concentrées à 78% dans les sept arrondissements de l'ouest de la capitale et un tiers se trouvent dans le seul XVIe.

    «La plupart des chambres de bonnes sont insalubres» Autour de la place Victor-Hugo (XVIe), l'un des quartiers parisiens qui concentrent le plus de chambres de bonnes, pas facile d'aborder ce sujet quasi tabou. Une gardienne confirme cependant que sur les douze chambres de bonne que compte son immeuble, sept restent inoccupées. « Les copropriétaires ont préféré les laisser vides par souci de tranquillité et pour éviter les ennuis, confie-t-elle. Il y avait trop de bruit, des dégâts des eaux à répétition, des chambres où s'entassaient trois ou quatre personnes. »Ouvrier cordiste spécialisé dans les travaux de grande hauteur. Franck est un familier de ces combles pas toujours reluisants. « Je vois hélas beaucoup de chambres vides car la plupart sont quasi insalubres. Il y a un toilette pour douze chambres, les douches, c'est pareil. Et puis, pour y aller, il faut le vouloir avec ces escaliers de service en colimaçon super étroits. »A deux pas de la place de l'Etoile, Françoise explique qu'elle possède une chambre de bonne vide qui sert occasionnellement à des amis. « Mais elle fait moins de 9 m2, donc je ne peux pas la louer. Et puis franchement, ce n'est pas vivable à l'année. » Reste que la volonté de la Ville de les rénover, voire de les transformer en logements sociaux la fait tiquer. « D'abord, le regroupement de chambres de bonnes, ça existe : j'ai des voisins qui le font. Et pourquoi des logements sociaux ? Des étudiants seraient bien contents d'en profiter. »Dans le quartier, beaucoup doutent aussi du chiffre de 85 % de chambres inoccupées avancé par l'Atelier parisien d'urbanisme. A l'image de Jean-Jacques, 65 ans, propriétaire dans un immeuble de l'avenue Raymond-Poincarré. « Peut-être que certaines servent de grenier car les caves sont petites mais beaucoup sont louées via Airbnb ou autre : dans la cour, on voit passer sans arrêt des touristes avec leurs valises. Au prix du mètre carré, les gens ne sont pas fous. Vous savez, ici, on est grand genre mais petits moyens. »Agent immobilier dans le quartier, Maxime fait la même analyse. « Beaucoup de chambres se louent au black, de la main à la main, sans bail », confie-t-il. Une pratique confirmée par une mère de famille qui reconnaît « prêter une chambre à un jeune homme qui [lui] rend de menus services ».J.D.