#PasDeVague : pourquoi les profs n’ont pas parlé des violences avant

La parole des enseignants victimes de violence se libère, notamment sur les réseaux sociaux. Avec un cri de désarroi, #PasDeVague. Mais pourquoi l’omerta a tant duré ?

 La libération de la parole des enseignants montre à quel point l’école est gangrénée par la violence et les incivilités. (Illustration)
La libération de la parole des enseignants montre à quel point l’école est gangrénée par la violence et les incivilités. (Illustration) Andia.fr/Soudan E.

    C'est le #Metoo de l'Éducation nationale. Les profs osent crier leur mal-être, ulcérés par les images du pistolet factice braqué sur la tête d'une de leurs collègues à Créteil (Val-de-Marne), jeudi. Sur les réseaux sociaux via le hashtag #PasDeVague, ils ne cessent de témoigner, dénoncer, raconter leur quotidien.

    Évidemment, la France ne découvre pas aujourd'hui qu'ils peuvent être victimes de violences. Mais pourquoi la parole a mis autant de temps à se libérer de manière aussi vaste ? Explications de la fin d'une sorte de chape de plomb.

    Parce qu'on leur a demandé de se taire

    Le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, l'a reconnu dans une interview accordée au Parisien, dimanche. « Des conseils de discipline doivent avoir lieu dès que nécessaire. Trop longtemps, on a considéré que leur nombre était le reflet de la qualité de l'établissement, au risque de mettre des événements sous le tapis », a-t-il admis.

    Une réalité confirmée par les nombreux témoignages d'enseignants qui nous sont parvenus. « Des proviseurs ne veulent pas que des affaires viennent entacher leur image et celle de l'établissement, lâche Yann, prof dans le Nord. Donc, ils l'étouffent. »

    Le chef d'établissement est également seul juge de ce qu'il doit détailler ou non au rectorat, via le logiciel « Faits établissement ». « Il n'y a pas de seuil de violence, les remontées se tranchent au cas par cas », admet Philippe Vincent, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN).

    Parce que ça peut leur nuire

    La recette se refile en salle des profs. « Tu as des difficultés avec cette classe ? N'en parle pas trop, tu vas attirer l'attention sur toi. L'année prochaine, tu auras des élèves plus calmes si tu ne dis rien », raconte Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et des collèges (SNALC).

    Souvent, les profs victimes de violence se sentent culpabilisés par les retours de leur hiérarchie. « Quand j'ai parlé des insultes d'un élève, on m'a dit qu'il fallait que je me montre plus sévère », raconte Charline, prof de maths. « On vous fait comprendre que c'est vous le problème, estime Jérémy Destenave, enseignant de SVT en Dordogne et membre du Syndicat national des enseignements de second degré (SNESS). Et que vous pratiquez mal votre métier si vous subissez ça. »

    « La parole de l'enseignant n'a pas davantage de valeur que celle de l'élève dans un contexte disciplinaire, explique Sébastien Volpoët, proviseur du lycée Fernand-Léger à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et secrétaire académique du SNPDEN. C'est ce qui peut expliquer le ressentiment de certains profs qui y voient du laxisme. »

    Parce qu'il y a une part d'autocensure

    La peur de se faire agresser par des parents d'élèves si l'on fait remonter que leur enfant se comporte mal ? La crainte existe, mais elle est « marginale », de l'aveu des syndicats. « La plupart des parents sont aussi dépassés que nous », glisse Éva, qui enseigne les lettres classiques en Charente.

    Ce silence vient aussi de la culture du milieu éducatif. « Je suis prof, pas flic », lance Yann. « Parfois, on connaît les problèmes sociaux que peut connaître un gamin, on sait ce qu'il peut se passer avec tel ou tel membre de sa famille, décrit Jean-Rémi Girard. Si on l'exclut, ça n'arrangera pas les choses et ça ne fera que l'enfoncer. Ça peut expliquer qu'on puisse passer certaines choses sous silence. »

    * Le prénom a été modifié.