Au tribunal de proximité, on prend ses distances

Être convoqué à la barre pour un faible dépassement de vitesse laisse perplexe sur la détermination de certains juges. Expérience vécue.

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Les palais de justice en France (ici celui de Grenoble) disposent de tribunaux de proximité habilités à juger les contestations des PV de sécurité routière.
 
 
Les palais de justice en France (ici celui de Grenoble) disposent de tribunaux de proximité habilités à juger les contestations des PV de sécurité routière.     © AFP

Temps de lecture : 6 min

Vous pensiez que la justice s'est lancée dans l'automatisation des peines et que l'allègement des tribunaux des petites affaires qui les encombrent leur permet d'aller à l'essentiel ? Erreur. Pour avoir été, à titre personnel, convoqué pour un faible dépassement de vitesse sur l'autoroute A8 (116 km/h retenus au lieu de 110), j'ai pu assister au ballet de la justice qui, ce jour-là à Avignon, a allègrement mélangé les genres. Le tribunal de proximité a eu à juger tour à tour de mauvais traitements sur animaux, de querelles de voisinage entre chiens irascibles, de tapage nocturne par un établissement de nuit désinvolte et, enfin, de contraventions aux règles du Code de la route.

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Ce dernier point entre dans son domaine de compétence dans deux cas, lorsque le contrevenant n'a pas réglé l'amende dans le délai imparti ou quand celui-ci a contesté l'amende et le retrait de points éventuellement associé. Le tribunal de proximité a ainsi à apprécier tous les cas qui ne relèveraient pas de l'amende forfaitaire, en d'autres termes les contestations par les usagers des faits reprochés. Ceux-là l'ont déjà fait lors d'une audition à la gendarmerie, mais ce compte rendu servira de base à la réflexion de la Cour.

Vieux routiers du barreau

Dans le palais de justice sans âme que contemplent les remparts de la cité papale se croisent là quelques citoyens « bons pères de famille » désemparés de se trouver convoqués pour une faute d'apparence vénielle. Faisant, pour la plupart, leurs premiers pas dans un tribunal au milieu de vieux routiers qui, manifestement, connaissent les us et coutumes, ils vont assister au déploiement de la mécanique implacable des lois. Une dizaine d'avocats, avec les égards dus à la cour, papillonnent là en attendant l'expédition de leur affaire. Une certitude se dégage aussitôt, ce sont leurs dossiers qui seront traités en premier. On ne fait pas attendre un avocat qui a d'autres affaires à traiter. Dépourvu de cette assistance, on comprend assez vite qu'on va faire longuement antichambre.

Le président ayant amené une énorme pile de dossiers commence par faire l'appel et ne semble pas s'étonner que trois noms sur quatre restent sans réponse. Parfois, un avocat se lève et demande, pour une obscure raison, le renvoi des débats. Les micros pourtant en place ne sont pas sollicités ou ne fonctionnent pas et la clarté des propos échangés s'en ressent assez vite en dépit de l'ambiance studieuse que fait régner une cour autoritaire. Une personne tuant le temps en feuilletant un magazine se fera rabrouer sèchement, tandis que l'officier du ministère public reprochera un peu plus tard à un prévenu d'avoir passé beaucoup de temps sur son smartphone avant d'être appelé à la barre.

Handicapé sans carte

Dans la salle, personne ne sait vraiment qui est qui, mais les premières affaires se décantant, on comprend bientôt que les dossiers de la vie courante priment sur ceux de la route. L'éleveur négligeant gravement ses animaux, au point que la SPA l'a assigné devant le tribunal, se prend une série de petites amendes mais multipliée par le nombre d'animaux avec, en prime, une leçon de comportement et de respect du genre animal par le procureur. Au cumul, plus de 2 000 euros d'amende… mais d'interdiction d'exercer le métier d'éleveur, point. On reste interdit par les plateaux de la balance qui oscillent ce jour-là, de façon aléatoire. Affaire suivante.

Une dame jusque-là effacée, assise au premier rang, s'avance doucement à la barre. D'un air hautain et sentencieux, il lui est aussitôt reproché d'avoir occupé, sur le parking de la grande surface du coin, un emplacement handicapé. Honte à elle, direz-vous ? D'une faible voix, elle argumente qu'elle est en effet handicapée et que, au moment des faits, elle ne s'explique pas l'absence de son panneau parking sur le tableau de bord. Soit il a glissé, soit elle l'a oublié.

« Mais Madame, vous ne vous rendez pas compte, les gendarmes sont passés et n'ont pas vu votre panneau. Sachez qu'une bonne quinzaine d'occupations illégales des emplacements handicapés surgissent chaque semaine et qu'il faut que cela cesse », tonne le procureur. Le juge songeur suit les réquisitions et condamne, devant une assistance médusée, à une amende certes symbolique, mais à une amende tout de même. Avec un commentaire du genre : « N'y revenez pas. » On croit cauchemarder.

Amende réinsertion comprise

Un jeune gaillard un poil fanfaron, manifestement issu des quartiers, s'avance à son tour. Surpris par une patrouille à faire du slalom en moto entre les voitures, il a été arrêté. La moto lui a été prêtée, ce n'est pas un délit, il a son permis provisoire depuis une semaine, on ne peut pas lui en vouloir. En revanche, le comportement est très dangereux. « Je vous connais bien, vous. Vous habitez toujours la même cité, vous avez trouvé un boulot ? » s'enquiert le procureur. Le prévenu, plusieurs fois condamné a priori pour de petits faits, n'est pas en terre inconnue. Le procureur se sent tout à coup une grandeur d'âme et, favorable à la réinsertion, demande 50 euros d'amende, trois fois moins que la personne handicapée. La justice est passée.

Les premières affaires de dépassement de vitesse limite arrivent enfin. Une dizaine tout au plus parmi la quarantaine de dossiers traités ce jour-là avec des prévenus incrédules, se demandant ce qu'ils font là. En général, pas de quoi fouetter un chat avec des excès tous inférieurs à 20 km/h. Mais le procureur ne va pas rater l'occasion de donner la leçon, renvoyant aux cours d'éducation civique du primaire pour ceux qui les ont connus. C'est frappé au coin du bon sens, irréfutable mais tellement sentencieux que cela contourne le but recherché. Et nous avons tous la sensation que ce tribunal a sorti un gros marteau pour écraser des mouches sur des affaires qui n'auraient jamais dû mobiliser à ce point le temps et l'argent du contribuable.

Délation et dénonciation

Les sanctions pleuvent, mais elles ont pour la plupart un dénominateur commun : la non-dénonciation du conducteur qui aurait entraîné un retrait de points. Faute d'une photo faite de face ou, mieux, une interception du véhicule afin de relever l'identité du contrevenant, la justice en est réduite à impressionner les prévenus pour leur faire admettre qu'ils étaient bien au volant.

À défaut, c'est donc le propriétaire de la voiture qui est convoqué et sanctionné par une lourde amende. Le procureur, pour la fixer, prend soin au préalable de connaître les revenus de l'intéressé. Si c'est beaucoup selon son échelle de valeur, l'amende sera salée. À mon argumentation qui consiste à dire « que je ne souhaite pas faire de la délation à l'égard du conducteur », le président s'offusque et puise dans ses papiers la définition de délation : « Action qui consiste à dénoncer quelqu'un afin de lui porter préjudice. » On ne peut pas mieux dire. Grand adepte du mot juste, le président me tance en me disant : « Vous auriez dû utiliser dénonciation. » Va pour dénonciation, c'est le synonyme de délation, la connotation 1942 en moins.

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Commentaires (4)

  • micquer

    Et je pese encore mon vocabulaire face a de telles co... Ries administratives !

  • LYONNEL

    On reste sur notre faim ! Quid de la suite ? Belle narration (un minimum pour un pro) mais quelle est la suite ?
    C'était pour nous faire voir qu'il savait écrire ?
    Nous eussions apprécié qu'il nous fut narré par le menu l'issue fatale, à savoir quel fut l'ampleur de la sanction...

  • IGOR.DESILES

    Le compte rendu est criant de vérité. La répression routière (rentière) est de plus en plus ridicule. Il y a 10 000 suicides par an 15 000 morts par accidents domestiques 12 000 morts par accidents du travail et 3500 morts sur les routes, cherchez l'erreur...