Les avions et les bateaux des douanes exaspèrent la Cour des comptes

Un navire paralysé par l'installation d'un four de cuisine ? Des avions neufs inutiles, car incompatibles avec leurs équipements ? Non, vous ne rêvez pas.

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Le Jacques Oudart Fourmentin (DF P1), patrouilleur des douanes françaises.
Le Jacques Oudart Fourmentin (DF P1), patrouilleur des douanes françaises. © SYGAL / Flickr CC by-nc-nd 2.0

Temps de lecture : 6 min

Un simple four peut-il perturber l'action des douanes françaises ? D'après le rapport de la Cour des comptes publié mercredi, oui. Les magistrats racontent comment les douaniers de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) ont exigé « l'installation d'un four de cuisine et de différents équipements de confort supplémentaires » dans leur nouvelle vedette de surveillance maritime, créant un problème électrique dont la résolution a pris 18 mois. « Cet exemple illustre l'absence de contrôle de l'administration centrale » sur « des demandes de pur confort », « sans justification recevable », martèlent les magistrats.

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La gestion des moyens aériens et navals de la douane est au cœur des reproches formulés par la Cour des comptes, qui pointe de « multiples et graves défaillances », ayant entraîné « des échecs répétés et coûteux ». Selon les magistrats, la douane est devenue « incapable d'acquérir, de maintenir et d'opérer seule des matériels complexes ». Et ils fournissent des exemples édifiants.

Des avions incompatibles avec leurs équipements

Spécialisée dans la lutte contre les pollutions en mer (missions dites Polmar), la douane a lancé le remplacement de ses avions bimoteurs Cessna F406 vieillissants par des Beechcraft King Air 350 plus modernes. Ce programme de 130 millions d'euros « n'a fait l'objet d'aucune décision formalisée, que ce soit au niveau ministériel ou interministériel », regrettent les magistrats.

Résultat : les nouveaux engins se sont révélés incompatibles avec les équipements de surveillance devant être installés à bord et sur la carlingue. Le radar, la boule optronique équipée de caméras haute définition et infrarouges, le scanner et les moyens de communication par satellite entraînent notamment des changements importants dans le comportement en vol de l'appareil. En novembre 2016, cinq ans après la réception du premier appareil, aucun des sept nouveaux avions n'était opérationnel pour les missions prévues, selon la Cour. Ils ne servent aujourd'hui qu'à la formation...

Des pilotes formés pour rien

Pire : la douane n'a pas tenu compte des avertissements de l'expert gouvernemental en la matière, la Direction générale de l'armement (DGA), qui avait prévenu dès le début du programme en 2004 que l'intégration des systèmes poserait problème. « Sans attendre les résultats de l'intégration des équipements sur un premier appareil, la douane a acquis la totalité » des équipements, précise le rapport, et « aucune solution viable n'a été trouvée » pour que les appareils modifiés obtiennent leur certificat de navigabilité, sésame indispensable à leur mise en service.

En attendant, les pilotes volent encore sur les quelques anciens appareils restants, qui doivent être entretenus à grands frais. À cela s'ajoute le coût de la formation des aviateurs sur les nouveaux Beechcraft : ces derniers n'étant pas utilisés, trois pilotes sont déjà partis à la retraite sans jamais avoir mis à profit leur très cher apprentissage... Exaspérée, la Cour regrette que la douane n'ait pas eu à « rendre de comptes » au gouvernement, alors que « ces défaillances compromettent la réalisation de missions ».

Les moyens navals prennent un four

Outre l'incident du four électrique que nous évoquions ci-dessus, le renouvellement des navires a posé de nombreux problèmes. Ainsi, la direction régionale des Antilles a commandé deux vedettes à 765 000 euros l'unité qui se sont rapidement révélées inutilisables, car dangereuses. Le chantier naval n'est pas forcément à blâmer : l'administration voulait combiner « une vitesse et une autonomie importantes malgré le poids [...] d'équipements de détection et de navigation, ainsi que des capacités à aborder des navires faisant route, tout en répondant à des exigences de confort (climatisation, cuisine, etc.) », relève le rapport.

Le chantier naval a tenté tant bien que mal de remplir ce cahier des charges absurde en équipant la vedette d'une triple motorisation et d'hélices de surface, la rendant difficile à manœuvrer. Des travaux ultérieurs estimés à 150 000 euros n'ont pas permis de résoudre les problèmes. Après trois ans de vaines tentatives, la douane a retiré ces vedettes du service, les a rapatriées en France, où elles dorment depuis juin 2014. « 1 680 000 euros ont ainsi été dépensés en pure perte », à cause d'un « défaut d'autorité de l'administration centrale », qui aurait, selon les magistrats, dû prendre en main le programme, au lieu de laisser les agents locaux fixer leurs exigences. Deux autres embarcations ont été achetées par la suite, pour un total de 710 000 euros.

Aucune procédure disciplinaire

Toujours aux Antilles, un navire-intercepteur de type go-fast a été commandé, payé, mais jamais livré. Après un imbroglio imputable à la désorganisation des services autant qu'à un montage suspect de la part du constructeur, la douane a payé 307 618 euros pour rien. Et elle aurait déboursé 93 683 euros de plus si une erreur d'identifiant bancaire n'avait pas bloqué un virement, au moment où les agents tentaient désespérément de récupérer le navire. Cerise sur le gâteau, le chantier naval américain aurait depuis mis aux enchères le navire, à son propre profit, considérant que les sommes dues n'avaient pas été payées. « À cause de plusieurs erreurs commises par la douane, la procédure de recouvrement n'a été engagée qu'en mars 2016, après presque quatre ans de tergiversations », laissant croire à la Cour que la démarche a « peu de chances d'aboutir du fait des délais de prescription ».

Très dur pour la douane, le rapport rappelle, en outre, que « la brigade maritime en Polynésie française a été dissoute en 2014, à la suite de l'échouage malencontreux de son unique patrouilleur garde-côte ». « Ces mécomptes n'ont donné lieu à aucune sanction interne, pas davantage qu'à des actions pénales », ajoutent les enquêteurs de la Rue Cambon.

Bercy défend ses douaniers

Face à ce qu'elle qualifie sans ménagement d'« incompétence », la Cour suggère une « profonde transformation » : la douane doit, selon elle, s'appuyer sur les autres moyens de l'État. Pour l'acquisition de ces matériels de plus en plus complexes, elle devrait se tourner vers la Direction générale de l'armement (DGA). Et pour la maintenance, elle devrait mutualiser ses moyens avec les armées (pour les avions et les hélicoptères notamment) et les autres composantes de l'État avec qui elle partage des missions (marine nationale, gendarmerie maritime et affaires maritimes notamment).

Dans sa réponse, le ministère de l'Économie et des Finances regrette un « jugement sévère », mais reconnaît « certaines difficultés ». Dans le cas du navire intercepteur « go-fast » antillais, le ministère de tutelle des Douanes précise qu'une enquête interne est en cours « en vue d'identifier les manquements qui justifieraient des sanctions disciplinaires ». En ce qui concerne les nouveaux avions, Bercy précise que l'installation des équipements de surveillance maritime (missions dites Surmar) se déroule bien et que deux des appareils sont entrés fin 2016 en phase de pré-MSO (mise en service opérationnelle). Mais ces derniers ne sont pas équipés des systèmes Polmar (détection des pollutions maritimes) : l'intégration « se poursuit dans de bonnes conditions », assure malgré tout le ministère, et « les tests menés ont conclu à la stabilité des capacités avioniques ». Une façon de reconnaître que cela avance moins vite qu'avec les équipements Surmar. Pour les missions Polmar, cœur d'expertise de la douane, la mise en service n'est donc pas pour demain...

Le budget annuel de la douane s'élève à 1,6 milliard d'euros. Sur environ 16 000 agents des douanes, 850 font partie du dispositif aérien et naval qui aligne 38 bâtiments de tonnages divers, une quinzaine d'avions et 9 hélicoptères.

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Commentaires (55)

  • Le Beta 75

    Les défenses des prérogatives corporatistes dans les commentaires, le rejet sur les autres, la recherche des coupables, etc.
    Simplement : il y a des faits ; inacceptables pour le contribuable que je suis.
    Un peu de décence s’il vous plait et un minimum de respect pour ceux qui vous finance.
    Vivement la faillite du système.

  • Danielou56

    Il ne faut pas se faire d'illusions ! Tout cet argent perdu, n'est pas perdu pour tout le monde : les enquêtes n'aboutiront pas ou peu ! La cour des compte n'a aucun pouvoir ! Les profiteurs de ces cabales, sont a cout sur des hauts fonctionnaires de l'état protégés
    car le haut fonctionnariat c'est la grande muette (comme l'armée) _

  • LR

    Quand il s'agit d'un accident de mer et non d'une action volontaire, on dit échouement et non échouage.
    La lecture de cet article me fait conclure qu'il serait plus intelligent de confier tout ceci à la marine de guerre, qui en fait déjà tout autant, qui sait y faire, et qui ne fait pas grève de temps en temps.