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Interview

Michel Sapin  : « Ce n’est pas le moment de bloquer la reprise »

EXCLUSIF - Le ministre des Finances Michel Sapin réagit, dans une interview aux « Echos », aux mouvements sociaux liés au projet de loi El Khomri, « un très bon texte » selon lui.

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Michel Sapin, ministre des Finances, assure que le déficit public sera « nettement en dessous » de 3 % de PIB en 2017

Par Frédéric Schaeffer, Dominique Seux, Grégoire Poussielgue, Ingrid Feuerstein

Publié le 5 juin 2016 à 17:22

Dans une interview aux « Echos », le ministre des Finances Michel Sapin estime que le projet de loi El Khomri est « un très bon texte ». Réagissant aux mouvements sociaux, « ce n’est pas au moment où la croissance reprend et le chômage diminue qu’il faut mettre des bâtons dans les roues de la reprise de l’économie », juge-t-il.

Vingt-trois ans après la première loi Sapin, vous présentez à l’Assemblée un nouveau texte sur la lutte contre la corruption. Quelles mesures retiendra-t-on de cette loi Sapin 2 dans 25 ans ?

Je veux lutter contre l’argent qui corrompt ! Si des entreprises françaises sont coupables de faits de corruption à l’étranger, c’est grâce à cette loi que la justice aura enfin les moyens non seulement de les poursuivre, mais aussi de les punir. Je vous rappelle que, depuis 2000, aucune entreprise n’a été condamnée en France pour corruption. Alors que ces mêmes entreprises ont pu être condamnées à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. C’est cette mesure qui marquera les esprits, parce qu’il y a bien sûr un enjeu moral, d’égalité de concurrence mais aussi de développement pour les pays qui peuvent être victimes de ces pratiques.

Le dispositif de « convention judiciaire d’intérêt public », proposé par les parlementaires pour remplacer la « transaction pénale », répond-il à cet enjeu ? Les entreprises sont soucieuses de ne pas se retrouver en situation de concurrence défavorable face à leurs concurrents ...

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Globalement, les amendements votés en commission constituent des modifications bienvenues. S’agissant de la « convention judiciaire », la commission des lois a trouvé là une proposition bien ciblée – pas trop large-, conforme aux canons de la justice française en laissant une place importante au juge d’instruction, avec les plages de publicité nécessaires. Le gouvernement s’en remettra à la sagesse de l’Assemblée. Par ailleurs, les parlementaires ont réalisé un très bon travail sur la définition et la protection des lanceurs d’alerte. Nous nous alignons là sur des dispositions déjà en vigueur en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne.

Quelle est la position du gouvernement sur le reporting « pays par pays » public ?

C’est un complément apporté par les parlementaires dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale et d’une forme de contrôle citoyen. Les grandes entreprises doivent aujourd’hui transmettre un certain nombre de données, comme les montants d’impôts payés dans tel ou tel pays, à l’administration fiscale. J’ai toujours dit que j’étais favorable à ce qu’elles les rendent publiques, à condition que cette obligation s’impose dans le cadre d’une directive européenne. Si nous le faisons de manière isolée, nous allons pénaliser nos entreprises. Les propositions de Pierre Moscovici sur le sujet me paraissent équilibrées, nous les discuterons dans les prochaines semaines, et je pense que la directive européenne sera prête pour l’année prochaine.

Soutenez vous l’amendement Denaja sur la rémunération des dirigeants ?

Il me paraît nécessaire de renforcer la transparence sur la rémunération des dirigeants, notamment en donnant aux assemblées générales la capacité de s’opposer à cette rémunération. Le conseil d’administration devra alors en tenir compte. Cela ne se passera plus comme chez Renault, où la réaction du conseil d’administration, qui a tout simplement ignoré l’avis de l’AG, est choquante. En revanche, le gouvernement n’est pas favorable à un encadrement législatif de leur montant, ce qui serait d’ailleurs censuré par le Conseil constitutionnel. Nous serons défavorables également aux amendements alourdissant la taxation des actions gratuites, dans la mesure où celle-ci a été allégée dans la loi Macron, et que nous devrons d’abord faire un bilan, après une année de mise en oeuvre.

Pour vous, quel devrait être l’écart maximal entre la rémunération la plus faible et la plus élevée au sein d’une entreprise ?

L’Etat applique une règle pour les entreprises publiques. Nous pensons que pour une entreprise aussi importante qu’EDF, l’écart doit être au plus de 1 à 25. Voilà qui parait légitime. Mais nous ne pouvons pas imposer de telles règles au secteur privé.

Pourquoi le gouvernement tient-il autant à l’article 24, très controversé, sur la protection des biens des Etats étrangers ?

Il faut éviter les mauvaises interprétations sur cet article. Nous cherchons à protéger des biens strictement diplomatiques de l’appétit de fonds d’investissement qui veulent essayer de récupérer les dettes dues par un Etat. Ce que j’ai vu de plus choquant n’a rien à voir avec la Russie. Ce sont des fonds vautours qui ont pu obtenir des biens d’Etat soient saisis pour rembourser la dette. Nous avons assisté à des actions de cette nature, envers l’Argentine notamment, et nous souhaitons l’éviter, conformément à nos engagements internationaux.

Comment voyez-vous le retour de la loi Travail à l’Assemblée nationale après son examen par le Sénat ?

Le débat tourne beaucoup autour du fameux article 2 sur le développement de la négociation d’entreprise avec, parallèlement, des moyens supplémentaires donnés aux organisations syndicales pour peser dans le débat et obtenir des contreparties nécessaires. Cet article est décisif et fondamental. Nous faisons confiance aux organisations syndicales majoritaires pour négocier des accords favorables à l’entreprise, à l’emploi et donc aux salariés.

Ce dispositif, qui est au coeur du conflit social actuel, restera donc inchangé ?

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Il ne bougera en aucun cas dans ses principes. Il faut en garder la teneur. Le projet de loi va beaucoup évoluer au Sénat, ce qui permettra aux Français de voir ce que ferait la droite si elle était au pouvoir. Chacun pourra voir les vraies différences et arrêter les faux procès.

Faudra-t-il utiliser de nouveau le 49-3 ?

La décision appartient au Premier ministre et au président de la République. Je le répète, ce texte est un très bon texte, car la négociation est mise au cœur des relations dans l’entreprise, et le compte personnel d’activité apporte une sécurité aux salariés, dans des conditions favorables inédites.

Estimez-vous que les mouvements sociaux touchent à leur fin ?

C’est très difficile à dire. Il faut faire attention. Il y a des améliorations dans un certain nombre d’endroits, mais aussi des opérations plus spectaculaires dans d’autres. Chacun doit retrouver le sens du dialogue. Les rapports de force créés sur le terrain ne sont pas la bonne manière d’avancer.

Les négociations à la SNCF ont-elles été sacrifiées pour mettre fin aux conflits ?

Pas du tout, et des commentaires étonnants ont été faits. Les discussions portant sur l’organisation de la branche sont terminées depuis un certain temps. Celles au niveau de l’entreprise se poursuivent. Il faut savoir les conclure.

Ces mouvements sociaux ne vont-ils pas finir par enrayer la reprise ?

S’ils étaient longs, puissants et bloquant beaucoup de secteurs d’activité, ce pourrait être le cas. Mais ils sont restés sectoriels et partiels. Naturellement, il y a beaucoup d’images frappantes, mais je ne vois pas d’effet économique substantiel sur l’activité. Et ce n’est pas au moment où la croissance reprend et le chômage diminue qu’il faut mettre des bâtons dans les roues de la reprise de l’économie.

Emmanuel Macron a déclaré il y a deux semaines qu’il faudrait aller plus loin que la loi El Khomri. Est-il dans son rôle en tant que ministre de l’Economie ?

Tout homme politique a le droit d’exprimer une opinion, mais le devoir de tout membre du gouvernement est d’expliquer et de soutenir le projet de loi Travail. Il doit être adopté, et chacun doit jouer l’apaisement.

Le lancement de son mouvement En Marche ! Est-il compatible avec son maintien au gouvernement ?

Je souhaite qu’il soit pleinement membre du gouvernement. Les combats qui sont les nôtres, la croissance, l’emploi, la loi El Khomri, requièrent que le temps ministériel soit bien utilisé.

Chercheurs, fonctionnaires, collectivités locales, etc. Français Hollande multiplie les dépenses nouvelles. Est-ce conciliable avec un retour du déficit public sous les 3% en 2017 ?

La France a non seulement respecté ses engagements en 2015 mais a même fait mieux. Pour cette année comme pour l’année prochaine, il n’est nullement question de remettre en cause nos objectifs de réduction du déficit public. Je veux être très clair sur ce point : la France sera nettement en dessous de 3% de déficit en 2017. Notre volonté est inébranlable. C’est parce que nous menons une politique de sérieux budgétaire que la voix de la France est à nouveau forte et entendue en Europe.

Mais comme allez-vous financer toutes ces dépenses ?

Pour cette année, les mesures qui n’étaient pas prévues lors de l’élaboration du budget 2016 se montent à un peu plus de 4 milliards d’euros. Cela ne remet absolument pas en cause notre capacité à réduire le déficit comme prévu. Nous avons gelé plus de 11 milliards d’euros de crédits, que nous avons placés dans la réserve de précaution. Comme chaque année, une partie d’entre eux sera annulée pour financer les dépenses exceptionnelles. J’observe d’ailleurs que la Commission européenne n’a exprimé aucune inquiétude sur notre capacité à tenir notre objectif

C’est surtout pour 2017 que les choses se compliquent…

L’élaboration du budget pour 2017 commence à peine. Mais je peux vous assurer que les lois de Finances qui seront présentées à la rentrée permettront de faire face et d’être en mesure de ramener le déficit à 2,7% du PIB. Nous ferons les économies nécessaires.

Mais où ? Sur votre plan de 50 milliards d’économies pour 2015-2017, il en reste encore presque 20 milliards à trouver…

Nous les trouverons. Il n’y a pas d’alternatives si l’on veut à la fois continuer à réduire les impôts et continuer à réduire le déficit. Nous allons commencer à en discuter dans les prochains jours avec l’ensemble des ministères. La sécurité sociale et les collectivités locales continueront aussi à faire des efforts. Qu’on ne se trompe pas : il n’y a aucun guichet ouvert. La Commission européenne pourra en juger dès l’automne prochain quand elle examinera notre projet de budget.

Reste-t-il de la marge pour baisser l’impôt des ménages ?

Tout le monde s’accorde à dire que la conjoncture s’améliore. Il est légitime d’en faire profiter les Français par une nouvelle mesure favorable aux ménages, en fonction des marges dont nous disposerons. Elle sera calibrée de manière à ne pas remettre en cause l’objectif de réduction du déficit.

Ciblera-t-elle uniquement les ménages modestes ?

Cela n’est pas encore défini. Le sujet reste très ouvert à ce stade.

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