L’Arctique, un pari crucial pour Rosneft et ExxonMobil
Les deux pétroliers ont découvert du pétrole dans une région jugée clef pour la production russe.
Par Anne Feitz, Benjamin Quénelle
Rosneft a réalisé en fin de semaine dernière en Arctique une découverte qui, à terme, pourrait aider la Russie à assurer la pérennité de sa production de pétrole. Reste néanmoins à transformer l'essai, car aussitôt après la réalisation du forage, le géant russe a entrepris de fermer sa plate-forme sur place...
Cette campagne d’exploration est en effet au cœur des tensions entre Moscou et Washington. Le forage offshore a été mené avec l’américain ExxonMobil dans l’Arctique, l’une des régions visées par les mesures américaines qui, pour punir le Kremlin dans la crise ukrainienne, interdisent tout transfert de technologies. « Un échantillon époustouflant de pétrole léger ! Au-delà de nos attentes », s’est exclamé Igor Setchine, le PDG de Rosneft qui, proche du président Vladimir Poutine, figure à titre personnel sur les sanctions américaines. Symboliquement, Igor Setchine a nommé ce premier puits d’exploration « Victoire » . Mais d’autres forages doivent suivre avant de confirmer la possibilité d'une exploitation commerciale. La mer de Kara pourrait abriter jusqu’à 100 milliards de barils. « L ’Arctique est, avec le pétrole de schiste en Sibérie, l’une des meilleures pistes de la Russie pour assurer son avenir pétrolier », explique Elena Telegina, de l’Institut de l’énergie et de la géopolitique. Car si la production de brut bat son plein, le long terme est loin d’être assuré du fait du déclin des champs sibériens. La Russie doit donc lancer de nouveaux champs. Rosneft, qui au prix de coûteuses acquisitions est devenu un géant mondial compte doubler sa production en vingt ans grâce à de nouveaux gisements.
Un coup dur
Mais, pour se donner les moyens de ses ambitions, Rosneft a comme toutes les compagnies russes besoin de coopération occidentale. Il s’est associé à ExxonMobil et, pour divers autres projets, au britannique BP (actionnaire du groupe), au norvégien Statoil et à l’italien Eni. En empêchant les entreprises occidentales de participer à la prospection et à la production en eaux profondes, dans l’offshore en Arctique et dans les schistes, les sanctions des Etats-Unis, suivis partiellement par l’Union européenne, ciblent directement ces projets clefs. « Mais il existe des portes de sortie… Car ces mesures ne sont pas toujours claires et peuvent être interprétées. Par exemple, où commence l’Arctique ? », s’interroge un pétrolier à Moscou.
Pour ExxonMobil, confrontée comme les autres majors au lourd défi du renouvellement de sa production, l’arrêt de cette campagne d’exploration représente un coup dur. La géant américain a parié gros sur la Russie pour ses ressources futures, que ce soit en Arctique, en mer Noire, ou dans le bassin de Bajenov pour les hydrocarbures de schiste. Il a pour cela conclu en 2011 un accord de coopération avec Rosneft, prévoyant des programmes d’exploration communs. Lancée en février 2013, la campagne en Arctique représente à elle seule un budget de 3,2 milliards de dollars pour sa phase initiale. Depuis quelques années, ExxonMobil peine à maintenir sa production d’hydrocarbures, qui atteignait 4,5 millions de barils équivalent pétrole par jour (Mbep/j) début 2006. Elle a même chuté à 3,84 Mbep/jau deuxième trimestre 2014, son plus bas niveau depuis mi-2009.