La Cour de cassation donne à nouveau de la voix face à l’exécutif
Les représentants de la juridiction suprême demandent à Bernard Cazeneuve de s’expliquer sur une réforme qui les place, selon eux, « sous le contrôle direct » du gouvernement.
Par Joël Cossardeaux
A peine en fonction et déjà en délicatesse avec l’institution judiciaire. Bernard Cazeneuve, le tout nouveau locataire de l’hôtel Matignon , s’est vu réclamer mardi des « explications » sur la publication du décret instituant une inspection générale de la justice. Dans un courrier daté du jour même, Bertrand Louvel, premier président, et Jean-Claude Marin, procureur général, indiquent qu’avec ce texte la plus haute juridiction judiciaire « est placée sous le contrôle direct du gouvernement » et ce « en rupture avec la tradition républicaine observée jusqu’à ce jour ».
Le décret signé par Manuel Valls, la veille de son départ de Matignon, et Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux, a été découvert le jour même de sa publication, soit mardi, par les deux hauts magistrats. Il se substitue au décret de 1958 qui avait créé une inspection générale des services judiciaires avec, entre autres missions, celle de mener des contrôles sur les juridictions de l’ordre judiciaire du « premier et du second degré ». Cette précision incluait les tribunaux de grande instance et cours d’appels, mais excluait la Cour de cassation. Un distinguo dont le décret paru au « Journal officiel » ne s’embarrasse pas.
Une « incursion supplémentaire du pouvoir exécutif »
D’où l’ire des magistrats de cette juridiction suprême dont la demande d’audience auprès de Jean-Jacques Urvoas est restée sans réponse. Ceux-ci ne croient pas à une maladresse dans la rédaction du nouveau décret. « Les juristes qui travaillent dans les cabinets ministériels ont l’habitude de peser la moindre virgule », indique un expert, n’hésitant pas à dénoncer une « incursion supplémentaire du pouvoir exécutif depuis l’état d’urgence » dans l’appareil judiciaire.
De fait, le climat est loin d’être au beau fixe entre ces deux sphères. Rompant avec la discrétion passée de son institution, Bertrand Nouvel, qui préside la Cour de cassation depuis juillet 2014, n’hésite pas à en faire connaître les positions quand l’exécutif prend une initiative qui l’agrée peu. Début 2016, celui-ci s’était interrogé sur le projet de réforme de la procédure pénale, revisité par Jean-Jacques Urvoas après les attentats terroristes et qui, sur plusieurs points, a donné la primauté à l’autorité administrative sur les juges judiciaires. « Pourquoi l’autorité judiciaire est-elle ainsi évitée », s’était-il ému. Au début de l’automne, le torchon s’était mis à brûler avec l’Elysée après la polémique déclenchée par les propos de François Hollande confiés aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme sur les magistrats, qualifiés d’ « institution de lâcheté ».
Les représentants de la haute juridiction française font valoir que celle-ci se contrôle elle-même, sous la forme d’un rapport sur son fonctionnement, dévoilé à l’occasion de sa rentrée solennelle. De quoi donner le sentiment d’être au-dessus des autres institutions. Sauf que la Cour de cassation peut faire l’objet de contrôles de la Cour des comptes sur l’utilisation de ses ressources, comme cela a été le cas l’an dernier. « C’est la garantie de la séparation des pouvoirs », estime un juriste.