Des policiers sont postés à proximité de véhicules incendiés, le 28 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois

10 ans après les émeutes d'octobre 2005, à Clichy-sous-Bois, la situation dans les banlieues a en partie empiré.

afp.com/Joel Saget

Le 27 octobre 2015, à Clichy-sous-Bois, deux jeunes de 15 et 17 ans entrent dans un transformateur électrique pour échapper à des policiers et meurent électrocutés. Ils s'appelaient Zyed et Bouna. Leur mort va provoquer pendant trois semaines une vague de violences urbaines et embraser les banlieues françaises.

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Dix ans après les émeutes, les maux des quartiers dits "sensibles" n'ont pas disparu, ni le sentiment d'abandon. Pire, par endroits, la situation semble avoir empirée. Etat des lieux avec un spécialiste, le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS et auteur notamment de Quand les banlieues brûlent: retour sur les émeutes de novembre 2005.

Cet anniversaire politique et médiatique a-t-il du sens?

Faire un bilan, dix ans après, est intéressant. Mais les approches pseudo-commémoratives sont ridicules. Le problème, récurrent, c'est que l'on ne s'intéresse aux banlieues que lors d'événements ou de fait-divers, et pas au quotidien. C'est lié au fonctionnement événementiel des médias, mais aussi au fait que les gens qui ont le pouvoir dans les médias appartiennent à l'élite politique et économique. Ils portent un regard teinté d'anxiété, de suspicion, voire de mépris sur les quartiers populaires, qu'ils considèrent comme une jungle dangereuse.

"Pauvres" (79%), "mal entretenues" (79%), "communautarisées"(78%), "dangereuses" (71%), c'est ainsi que sont définies les banlieues dans un sondage récent. Regard biaisé de la population ou réalité?

Inextricablement, les deux. Bien sûr qu'il y a de la délinquance, du chômage, du communautarisme. Comment pourrait-il en être autrement? Ce sont ces discours négatifs qui dominent malheureusement. Mais le fait de décrire ainsi les banlieues contribue à enfoncer les gens des quartiers populaires, qui sont clairement les boucs-émissaires de tous nos problèmes et nos peurs. Chaque phrase d'Eric Zemmour sur un plateau de télévision, c'est un coup de marteau de plus.

Les banlieues sont loin d'être un tout homogène, mais s'il y a bien une chose sur laquelle les habitants s'accordent, c'est le sentiment d'abandon. L'écrasante majorité d'entre eux estime que personne ne s'intéresse à eux. Et une minorité développe même une théorie du complot, pensant qu'on leur en veut et que c'est fait exprès, qu'on les maintient dans cette misère pour qu'ils meurent à petit feu.

Où en est-on dans les quartiers, 10 ans après les émeutes?

La situation a en partie empiré. D'un point de vue statistique, le nombre de personnes vivant dans des zones urbaines sensibles est un peu moins important qu'en 2005. Mais ces personnes se trouvent dans une situation encore plus mauvaise qu'il y a dix ans. Dans certaines cités des quartiers Nord de Marseille, le taux de chômage des jeunes comme le taux d'échec au brevet s'élèvent à plus de 50%.

La sphère des élites parisiennes ne se rend pas compte de l'ampleur de ces inégalités. Le problème du chômage, les habitants, jeunes ou vieux, en parlent massivement. Certains vont s'accrocher et accepter de galérer, d'apprentissages en contrats courts. Mais d'autres tombent dans la délinquance et le trafic de drogue. Quand on leur demande pourquoi, ils répondent qu'ils n'ont pas leur place dans le système et qu'ils l'ont donc trouvé en dehors. C'est devenu leur plan B, comme il y a 30 ans, le fait de compter sur son père pour vous faire entrer à l'usine.

Quelles sont les autres difficultés qui pèsent sur les habitants des banlieues au quotidien?

Les expériences de discriminations diverses et variées pour obtenir un travail, entrer en boîte de nuit ou avoir une place au restaurant. La dramatisation de la question de l'islam s'est encore renforcée. En France, être regardé comme un immigré est quelque chose de dévalorisant. Surtout que, pour certains, immigrés depuis plusieurs générations, c'est faux.

Nous étions nombreux à remarquer en 2005 que les émeutiers visaient notamment les établissements scolaires. Ils exprimaient une colère, un sentiment d'injustice vis à vis de l'école. Or, l'échec scolaire, qui commence dès la maternelle, n'est pas devenu la grande cause nationale qu'il devrait être. Heureusement que la politique de la ville existe. Sans elle, ce serait pire. Pour autant, si ce que l'on fait est bien, c'est insuffisant pour changer la donne. L'argent public est saupoudré.

Et les relations avec la police?

Les relations avec la police, dénoncées lors des émeutes de 2005, ne se sont pas améliorées. Il n'y a pas de police au quotidien, mais une police d'intervention, qui débarque en force quand elle est appelée et repart aussitôt après. L'image des forces de l'ordre dans les quartiers n'est pas bonne, mais cela ne signifie pas pour autant que les habitants n'en veulent pas. C'est cette police-là qu'ils rejettent. Des émeutes ont lieu régulièrement, en France, même si, pour l'instant, elles n'ont plus connu l'ampleur de 2005. Car s'il y a une chose qui a changé depuis, c'est la capacité de la police à intervenir plus rapidement.

Malek Boutih, député PS de l'Essonne, a estimé dimanche que les quartiers "ne produisent plus des émeutiers, mais des terroristes". C'est le cas?

Il y a une part de vrai: il existe un problème djihadiste dans les banlieues pauvres. Mais ce genre de petites phrases ne fait qu'augmenter les problèmes et donner des idées à ceux qui n'en avaient pas encore en jetant de l'huile sur le feu. Ces discours contribuent à entretenir les problèmes qu'ils entendent dénoncer. Plus on répète aux jeunes qu'ils sont horribles et effrayants, plus ils finissent par se dire qu'ils ont un pouvoir et vont s'en servir.

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