Le lycée Arago, dans le XIIe arrondissement de Paris, fait partie de la vingtaine d'établissements bloqués ce jeudi en hommage à Rémi Fraisse.

Le lycée Arago, dans le XIIe arrondissement de Paris, fait partie de la vingtaine d'établissements bloqués ce jeudi en hommage à Rémi Fraisse.

J.P-L / L'Express

"Toi tu t'en fous, tu ne veux juste pas aller en cours!" Assis sur une montagne de poubelles et de caddies Carrefour, trois jeunes hommes se charrient. Maxime, Elie et Ilian, tous trois 15 ans, sont les "gardiens" de l'aile principale du lycée Arago, à Paris. L'établissement, comme une vingtaine d'autres dans la capitale, a été bloqué ce jeudi matin en guise de protestation contre la mort de Rémi Fraisse, ce militant tué par une grenade de gendarme sur le site du barrage contesté de Sivens (Tarn). Et plus généralement, contre les violences policières.

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"On est venus dès 6 heures ce matin pour cadenasser toutes les entrées", se félicite Elie, le visage un peu rougi par le froid. "Mais on s'est fait avoir: la direction nous a demandés de laisser passer quelqu'un en fauteuil roulant et a créé une brèche. Notre barrage n'est que filtrant."

Derrière lui, une pancarte donne le ton: "Ni oubli, ni pardon." Quelque mètres plus loin, un graffiti rappelle les éléments de langage utilisés par les "zadistes" de Sivens, les compères de Rémi Fraisse: "Flics assassins." Les trois lycéens expliquent que la mobilisation est née sur les réseaux sociaux, un peu dans la précipitation. Elle est 100% citoyenne et "apolitique", précise Maxime, pour répondre aux accusations d'instrumentalisation par l'extrême gauche, très virulente à l'égard des forces de l'ordre ces derniers jours. Mais pourquoi les lycéens alors que Rémi Fraisse avait 21 ans et était étudiant? "Il n'avait pas 18 ans?", répond Maxime, étonné. "De toutes façons, tout le monde a un souci avec les forces de l'ordre. Il n'y a pas que les délinquants. Cela concerne tout le monde, que vous soyez blanc ou asiatique. Les contrôles au faciès, tout ça", argumente Elie.

"Il y a de la diabolisation"

De l'autre côté de ce lycée aux façades grises, qui compte 670 élèves, la proviseur observe le spectacle d'un oeil noir. Sur son visage se lit l'agacement. L'affaire Rémi Fraisse et les violences policières, pas question de les commenter. "Un blocus, c'est illégal. Les élèves ont une responsabilité", se contente-t-elle de grincer avant de tourner les talons.

Antoine, professeur d'histoire-géographie, est, lui, bien plus conciliant. Il a 27 ans et c'est la première année qu'il enseigne. "Un jeune est tué, c'est normal que les lycéens se sentent concernés", souffle-t-il, entre deux bouffées de cigarette. Dans ses prochaines heures de cours dédiées aux sujets de société, il a d'ailleurs prévu de revenir sur la mobilisation avec ses élèves. "C'est inévitable que l'on en parle. Mais attention, le barrage de Sivens et la politique d'aménagement, c'est un thème citoyen. Les dérives policières, il faut prendre avec des pincettes. Il y a de la diabolisation."

"La police réprime, la police assassine"

Comme toutes les mobilisations lycéennes, il y a ceux qui se sentent vraiment impliqués et ceux qui en profitent pour prendre du bon temps. Les "fayots" fusent lorsque l'un décide d'aller en cours. La rentrée ne date que de lundi et un petit parfum de vacances enivre les discussions. Assis en tailleur dans l'herbe près de la place de la Nation, deux amis écoutent du dubstep émis depuis un smartphone. Le premier sort de son sac une bouteille de gin qu'il verse dans un verre de Coca. Aucun des deux ne semblent convaincus par la mobilisation. "J'en profite vu que je n'ai pas cours. Mais je suis réticente, toute cette affaire, cela ne nous ne concerne pas trop. On m'a parlé d'expulsions de lycéens pour me convaincre", lance l'une. "Pour eux, Rémi Fraisse est un symbole, comme l'était Leonarda. Il représente la violence policière et Leonarda l'expulsion abusive", observe l'autre.


Des cris interrompent leur discussions. Les bouches de métro crachent des milliers d'élèves venus des autres établissements perturbés de Paris. Une manifestation en hommage à Rémi Fraisse est prévue, histoire de dire que la mobilisation ne se limite pas à des blocages bêtes et méchants. Qu'il y a une vraie action politique. "On va être adultes, c'est à cet âge-là que l'on doit fonder notre opinion et éveiller notre conscience. Les armes sont trop violentes", lâche Juliette, 17 ans, venue du lycée Voltaire avec une pancarte "Police partout, justice nulle part". Un autre, venu du lycée hôtelier, hurle dans son haut parleur: "La police réprime, la police assassine!" Parmi les revendications entendues dans le défilé: l'arrêt définitif de l'usage des grenades offensives voire le démantèlement de la Brigade anti-criminalité (BAC).

La police, justement, est mobilisée, ce qui rend la situation quelque peu étrange. Elle observe attentivement ce cortège qui lui est hostile. Mais aucun heurt ne viendra ternir cette manifestation, qui finalement est restée bon enfant.



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