Éditorial

Mélenchon et le Venezuela : l’inquiétant déni

par Laurent Joffrin, Directeur de la rédaction@Laurent-Joffrin
publié le 27 août 2017 à 17h56

L’insoumission est une belle chose. Elle est fondée sur le refus de l’ordre établi, le refus du pouvoir des oligarchies, le refus du conformisme économique. Fort bien. Mais quand elle s’étend au refus de la vérité, au refus de défendre les valeurs élémentaires de la démocratie, elle devient angoissante. C’est cette inquiétude que suscitent les propos lapidaires tenus par Jean-Luc Mélenchon sur la situation au Venezuela. En tout état de cause, ce ne sont pas les propos d’un démocrate.

«Nous ne perdrons pas notre temps à jeter des pierres à nos amis», a dit le Líder máximo de La France insoumise lors d'un de ses «amphis», tenu samedi à Marseille. «Nos amis», ce sont les responsables du régime chaviste de Nicolás Maduro, dont le pays traverse, depuis des mois, une crise majeure. Or ces «amis» sont lancés dans une politique de répression et de monopolisation du pouvoir qui foule aux pieds, outre les droits de l'homme, tous les principes d'un gouvernement représentatif. Massivement impopulaire, le gouvernement Maduro a privé de son pouvoir le Parlement élu régulièrement - où l'opposition domine - pour lui substituer une Assemblée constituante à sa main, désignée dans des circonstances douteuses.

Aveuglement

Jean-Luc Mélenchon concède que ses «amis», qu'il continue donc de soutenir vigoureusement, présentent «certaines faiblesses». Délicieuse litote. Ces «faiblesses» consistent à mener une répression impitoyable. Les manifestations organisées par la droite vénézuélienne, mais aussi par une partie de la gauche et par d'anciens chavistes, se sont soldées par plus d'une centaine de morts. Certaines violences sont le fait des manifestants. Des responsables chavistes ont été assassinés mais tous les observateurs de bonne foi s'accordent pour les imputer d'abord aux forces de police et aux milices armées qui soutiennent le régime. De nombreux témoignages font état de tortures et de mauvais traitements systématiques perpétrés dans les commissariats du pays. Les leaders de l'opposition sont menacés, malmenés et, pour une partie d'entre eux, emprisonnés. Luisa Ortega Díaz, procureure générale, longtemps chaviste de premier plan, qui a commis le crime impardonnable de dénoncer la captation totale du pouvoir par le régime Maduro, a dû s'enfuir du pays devant les menaces qui pesaient sur sa vie. Tous ces faits sont vérifiables, patents, largement documentés par la presse internationale. Mélenchon préfère les ignorer purement et simplement, dénonçant brutalement ceux qui ont le toupet de venir lui poser des questions sur le Venezuela, alors même que ces questions ont été suscitées, non par la malignité des «médias manipulés», mais tout bonnement par le soutien sans nuances apporté par La France insoumise au chavisme dévoyé de Maduro. Pour justifier cet aveuglement volontaire, Jean-Luc Mélenchon désigne un coupable principal, «l'impérialisme américain», dont les menées nuisibles expliqueraient la crise catastrophique qui s'est installée au Venezuela. Là encore, le dogmatisme d'extrême gauche se traduit par un déni de réalité. Nul ne contestera les innombrables agissements honteux des gouvernements successifs à Washington en Amérique latine depuis au moins un siècle, qui ont abouti naguère, au Chili, en Argentine ou au Brésil, à la mise en place de régimes militaires fascisants et ultra-répressifs. George W. Bush, Barack Obama et aujourd'hui Donald Trump ont témoigné leur hostilité envers le chavisme au pouvoir à maintes reprises, infligeant des sanctions et s'efforçant d'isoler Caracas sur la scène internationale. Mais cette politique hostile ne saurait en aucun cas expliquer à elle seule, ni même principalement, l'enchaînement calamiteux des crises au Venezuela. Celui-ci découle avant tout des erreurs tragiques de politique économique commises par Chávez et Maduro. Car voici le pays qui dispose des réserves de pétrole les plus importantes au monde soudain ramené en arrière par une chute brutale du niveau de vie, qui touche en priorité les classes populaires et moyennes.

Imprévoyance

Au départ, Chávez avait mené une politique sociale remarquable en partageant avec le peuple vénézuélien les revenus de la manne pétrolière. Ce qui avait valu au régime une forte popularité et des résultats précieux dans la lutte contre la pauvreté. Mais les dépenses ont vite été excessives, allant au-delà des ressources du pays, combinées avec une politique monétaire aberrante.

Faute d’investissements, le Venezuela est resté dépendant des revenus pétroliers. Avec une imprévoyance dramatique, le régime n’a pas pris en compte le risque de retournement du marché des hydrocarbures. Quand celui-ci s’est produit, la stratégie chaviste s’est effondrée comme un château de cartes. La pénurie s’est installée, l’hyperinflation s’est déclenchée et les Vénézuéliens ont vu se réduire drastiquement leur consommation tout comme leur accès aux soins les plus élémentaires. Par ses erreurs cardinales, ce régime dédié au social a instauré une austérité cruelle qui frappe les plus défavorisés. Toujours le même schéma de la gauche radicale : on dépense trop, on s’affranchit de toute prudence économique, puis on fait brutalement machine arrière en imputant les difficultés à un ennemi extérieur. Et quand on risque de perdre le pouvoir, la répression commence, justifiée par une rhétorique anti-impérialiste. Celle-là même que Jean-Luc Mélenchon a utilisée à Marseille. Inquiétant…

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