Interview

Morlaix : «On sentait monter l'exaspération depuis un moment»

Le président du premier groupement français de producteurs de légumes revient sur les raisons qui ont poussé des exploitants à mettre le feu au centre des impôts de Morlaix vendredi.
par Pierre-Henri Allain, (envoyé spécial à Morlaix)
publié le 21 septembre 2014 à 10h19
(mis à jour le 21 septembre 2014 à 15h41)

Une grande façade entièrement noircie et menaçant de s'effondrer, quelques artichauts traînant encore sur la voie publique, des habitants incrédules : la consternation était encore palpable à Morlaix samedi après le saccage du bâtiment de la Mutualité sociale agricole et l'incendie du centre des finances publiques de la ville, perpétrés par des producteurs de légumes en colère.

«A quoi ça sert de tout casser ? Ils feraient mieux de proposer des solutions», s'indignait samedi un commerçant. Plus compréhensif, un producteur d'échalotes évoquait la détresse dans les campagnes avec son lot de suicides d'exploitants.

Jean-François Jacob, président de la Société d’intérêt collectif agricole (Sica) de Saint-Pol-de-Léon, le premier groupement français de producteurs de légumes, revient sur les raisons de la crise.

Comment expliquez-vous la flambée de violence à laquelle on vient d’assister ?

On sentait depuis un moment monter l’exaspération et la colère des producteurs. On a tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme mais rien n’y a fait. Il y a à la fois des causes conjoncturelles et une grande inquiétude face à l’avenir. Les producteurs sont sous pression, leurs trésoreries ne peuvent plus faire face aux périodes difficiles et ils doivent affronter des contraintes administratives et fiscales toujours plus fortes qui les empêchent de travailler.

Pouvez-vous revenir sur ces causes conjoncturelles ?

Il y a eu d’abord un hiver doux qui a permis à nos concurrents directs, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas de produire à un moment où la consommation est plutôt basse. Les prix se sont effondrés et ont entraîné des stocks d’invendus. A cela s’est ajouté l’embargo russe à la suite du différend avec l’Ukraine. Pour notre seul groupement (1 500 producteurs NDLR) , les légumiers ont perdu sur une année 25% de leur chiffre d’affaires.

La Commission européenne a cependant décidé de dégager des compensations…

C’est exact mais les critères d’attribution sont inadaptés. Nos exportations vers la Russie qui transitent pour beaucoup dans un premier temps par les Pays-Bas et l’Allemagne, ne sont pas prises en compte. Après le déblocage d’une première enveloppe, nous avons reçu à la Sica (société d’intérêt collectif agricole) un chèque de 353 euros, soit 23 centimes par producteur ! Ce n’est pas sérieux ! Alors qu’avec la fermeture du marché russe, pour lequel nous nous sommes battus pour faire face à la concurrence des autres pays européens, ce sont des années d’efforts qui sont foutus en l’air ! Nous avons là encore un bel exemple de la bêtise administrative à laquelle nous sommes confrontés.

Quelles sont selon vous les contraintes administratives les plus pénalisantes ?

Dans la région de Morlaix, nous avons surtout des petites exploitations familiales avec quelques salariés. Les exploitants n’y arrivent plus, ils ont beaucoup trop de charges alors qu’il y a déjà de grands écarts de compétitivité avec nos concurrents européens dans un secteur où la main-d’œuvre représente 60% des coûts de production. Il y a aussi une suradministration de l’activité avec des normes toujours plus exigeantes et des coûts de fonctionnement qui n’ont cessé d’augmenter.

Autrefois, les bonnes années pouvaient compenser les années plus difficiles. Désormais, après le paiement des cotisations sociales et les impôts, il ne reste plus rien. Certains se retrouvent avec à peine le Smic pour des semaines de 80 heures de travail. Les producteurs doivent aussi supporter tous les jours une incompétence administrative qui nous fait perdre des marchés.

Des exemples ?

En 2013 les horticulteurs ont fait comme chaque année des démarches pour pouvoir travailler davantage dans la période qui précède la Toussaint, qui représente un pic d’activité, les autorisations sont arrivées trois jours après ! Un autre exemple : alors qu’on expédiait depuis des dizaines d’années de l’oignon à la Réunion, ce marché a été pris par les Hollandais à la suite de problèmes administratifs qui bloquaient les conteneurs en métropole.

Nos projets se heurtent aussi à des blocages incessants. On attend depuis dix ans des autorisations pour restructurer et moderniser deux stations de conditionnement à Saint-Pol de Léon alors que ça prend en moyenne 18 mois dans le reste de l’Europe !

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il faut d’abord régler les problèmes à court terme en allégeant la pression sur les trésoreries. C’est tout à fait possible avec des mécanismes que l’on connaît déjà. Ensuite, il faut revoir la fiscalité sur le secteur des fruits et légumes, qui est soumis aux aléas météorologiques, pour que les bonnes et les mauvaises années s’équilibrent. En Allemagne, la fiscalité est beaucoup mieux adaptée, c’est sans doute une des raisons, avec la main-d’œuvre à bas coût, pour lesquelles leur production a été multipliée par cinq en sept ans et qu’ils sont devenus les leaders européens.

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