Analyse

Antiracisme : un plan Valls qui ne fait pas l’union

Evolution vers le droit pénal, renforcement de la lutte sur le Web, actions de groupe… Les mesures annoncées par le Premier ministre divisent les associations.
par Sylvain Mouillard et Sofia Fischer
publié le 17 avril 2015 à 20h06

Prise de conscience salutaire ou énième plan gadget pour lutter contre le racisme ? Le Premier ministre, Manuel Valls, a présenté vendredi 40 mesures censées réveiller une «France travaillée par le populisme». Le contexte est morose : après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, le nombre d'actes antimusulmans a explosé. La semaine passée, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) s'alarmait dans son rapport annuel d'une résurgence des vieux préjugés antisémites. Avant même les attentats, lors de ses vœux aux Français, François Hollande avait érigé en «grande cause nationale» la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Un objectif répété quelques semaines plus tard, avec une matérialisation concrète : permettre des «sanctions plus rapides et plus efficaces» contre «les propos de haine». C'est à Créteil (Val-de-Marne) que Manuel Valls a détaillé le plan gouvernemental, qui s'est longtemps fait attendre. Le lieu est symbolique : en décembre, un jeune couple avait été victime, à son domicile, d'une agression antisémite particulièrement violente.

Le «sursaut» souhaité par le Premier ministre s'appuie d'abord sur une évolution juridique controversée. La répression des discours de haine ne relèvera bientôt plus de la loi sur la presse de 1881, mais sera insérée dans le droit pénal. Aujourd'hui, toute injure ou incitation à la haine raciale est jugée comme un abus de liberté d'expression. Concrètement, cela signifie qu'elles ne peuvent pas être jugées en comparution immédiate, que les délais de prescription sont raccourcis et que les suspects ne peuvent pas être mis en garde à vue.

«Nouveau souffle». En délocalisant ces abus vers le droit pénal, le gouvernement souhaite les traiter comme n'importe quel délit de droit commun. Hormis la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), qui défend ce projet de longue date et s'enthousiasme pour un plan qui «apporte enfin un nouveau souffle», selon son président, Alain Jakubowicz, les juristes et associations s'inquiètent d'une justice expéditive. Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, émet un souhait : que les comparutions immédiates, des procédures accélérées, soient «radicalement exclues» de ce nouvel arsenal juridique. Une requête partagée par Julie Launois-Flacelière, spécialiste du droit des minorités au barreau de Bobigny (Seine-Saint-Denis) : «Le risque de passer en comparution immédiate avec ce type de délit, c'est qu'on devient dépendant de la politique du parquet, illustre l'avocate. En fonction des tribunaux, le procureur peut choisir de réprimer plus fortement certains délits que d'autres et pourrait porter atteinte à la liberté de la presse.»

Le plan, piloté par le délégué interministériel Gilles Clavreul, déroule ensuite un catalogue de mesures variées. «Il marque une rupture avec les précédents, dans la mesure où il additionne plusieurs volets», salue Pierre Tartakowsky, le président de la Ligue des droits de l'homme. Même satisfaction chez Christine Lazerges : «C'est une bonne chose d'affirmer que la République se mobilise sur tous les champs.» Internet, où Manuel Valls ambitionne de mettre fin à la «passivité» des autorités, est particulièrement ciblé. Les hébergeurs de contenus (comme Facebook et Twitter) auront l'obligation de «disposer d'une représentation juridique en France». Pharos, la plateforme de signalement des contenus illicites sur le Web, verra ses effectifs doubler, passant de 13 à 28 personnes. Un renfort «dérisoire», selon Samuel Thomas, président de la Fédération nationale des maisons des potes, puisque la plateforme doit gérer les publications racistes comme les contenus pédopornographiques ou encore les sites de vente de drogue.

Enveloppes. L'aide aux victimes fera l'objet d'un effort particulier. Les «actions de groupe» (un dépôt de plainte commun) seront autorisées pour «mieux lutter contre les discriminations», notamment à l'embauche, et une enquête de victimation sera réalisée tous les ans. «Une très bonne idée», juge Christine Lazerges, qui considère que les chiffres des actes racistes fournis par le ministère de l'Intérieur sont largement sous-estimés. Ce dispositif sera financé à hauteur de 100 millions d'euros sur trois ans. «Pas de quoi faire danser dans les rues», selon Pierre Tartakowsky. Déjà parce qu'une partie des fonds devrait provenir de la réallocation d'enveloppes existantes. Ensuite, parce que «le budget de la grande cause nationale va en manger au moins la moitié cette année en campagnes de pub et d'affichage». Le président de la LDH s'avoue aussi «frappé» par les accents «martiaux» de Manuel Valls : «Le gouvernement semble considérer que c'est en cognant sur les comportements racistes qu'on va régler les problèmes, explique-t-il. Il y a des racines profondes, sociales, économiques, identitaires.» Il redoute que le plan ne se «fracasse sur la propre politique du gouvernement». Et de citer les discours politiques ambigus sur les Roms, «l'hystérie totale autour du voile», et «l'obsession du contrôle de l'islam», ainsi que les rapports «tendus» de la police avec la population.

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