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Libération
Récit

Airbnb : les proprios pris la main dans le palier

La mairie de Paris mène campagne contre la prolifération des meublés touristiques illégaux, qui réduisent l’offre de logement.
par Tonino Serafini
publié le 20 mai 2015 à 20h06

La jeune touriste, tee-shirt-caleçon, a les yeux encore plein de sommeil quand elle entrouvre la porte de l'appartement qu'elle occupe depuis quelques jours rue des Ecouffes dans le Marais, à Paris. Face à elle, des inspectrices du «bureau de la protection des locaux d'habitation de la mairie de Paris» : ils ont lancé mercredi au petit matin une opération coup-de-poing contre les meublés touristiques. Trois équipes sont à l'œuvre, chargées de contrôler 80 immeubles dans ce quartier situé au cœur du Paris historique. «When did you arrive ? [quand êtes-vous arrivée, ndlr]» demande l'une des inspectrices à la jeune touriste surprise par cette visite matinale. Elle répond qu'elle est «arrivée le 15 mai et va repartir le 11 juin». On devine l'angoisse d'une personne qui se demande ce qu'il lui arrive. Les agents de la ville la rassurent : elle «n'est pas concernée». Le «contrôle vise uniquement les propriétaires». Leur mission consiste à constater que l'appartement est effectivement loué pour de courtes durées, de manière récurrente à des touristes.

Tous ces logements sont ainsi soustraits au parc d’habitat ordinaire, ce qui est illégal et donc interdit dans une ville où sa population peine déjà à se loger. Le phénomène devient numériquement préoccupant. Selon des estimations des services municipaux, entre 25 000 et 30 000 logements jadis loués à des personnes travaillant et vivant à Paris sont devenus des meublés touristiques à plein temps. Les arrondissements du centre de la capitale sont particulièrement concernés. Dans certains immeubles du Marais, un appartement sur quatre a été transformé en meublé touristique.

«Assermentés». La tentation de franchir le pas est très forte pour les propriétaires : un deux-pièces bien situé, peut se louer jusqu'à 1 000 euros par semaine. Les contrôleurs de la ville sont «assermentés, habilités par le tribunal de grande instance, et titulaires d'un ordre de mission», qui les autorise à entrer dans les immeubles et dans les logements.

Au 7 rue des Ecouffes, ils se sont fait présenter le contrat de location de quatre semaines de la jeune femme. Elle  leur a précisé qu'elle avait «loué l'appartement par le biais d'Airbnb». Avant de repartir, ils lui remettent une fiche type estampillée «mairie de Paris», assurant en caractère gras au touriste-locataire qu'il n'a «rien à se reprocher et évidemment rien à craindre», et lui souhaitant «un très bon séjour à Paris».

Pour le propriétaire qui lui a loué ce meublé, c'est une tout autre affaire. Quand un constat de location meublée touristique illégale est établi, la ville de Paris «entre en contact avec le propriétaire pour qu'il régularise en remettant le logement sur le marché locatif ordinaire», indique un des agents. S'il ne le fait pas, les tribunaux sont saisis. En 2014, 20 propriétaires détenteurs de 56 meublés illégaux ont été condamnés à 567 000 euros d'amende. C'est en passant au peigne fin les annonces sur les divers sites internet spécialisés comme Airbnb, Paris Holidaydays, Housetrip, ou Wimdu, ou grâce au signalement de voisins que les services municipaux repèrent en amont les immeubles méritant une inspection. Pour engager des poursuites contre les bailleurs, la publication d'une ou plusieurs annonces ne suffit pas. La mairie doit démontrer que l'infraction a été commise, autrement dit que l'appartement est effectivement loué pour de courtes périodes à des touristes. D'où ces missions de contrôle confiées à un corps qui compte 20 inspecteurs. Ce qui est peu comparé au nombre de meublés illégaux.

Cette politique est plébiscitée par les habitants des copropriétés et des arrondissements touchés par le phénomène. «Il faut arrêter ça. C'est une catastrophe pour les immeubles et pour le quartier», affirmait mercredi matin aux inspecteurs Henri Tordjman, président de l'Association des commerçants de la rue des Ecouffes et de la rue des Rosiers. «Il y a des va-et-vient incessants à toute heure de la nuit. Les voisins ont perdu leur tranquillité. Le quartier se vide de ses habitants. Les commerces de bouche ont de moins en moins de clients. Les touristes ne font pas de courses. Ils vont au restaurant ou mangent des sandwichs.» Henri Tordjman est intarissable face aux fonctionnaires qui viennent lui demander le code d'accès à l'immeuble au pied duquel se trouve sa boucherie. Dans ce bâtiment, ils suspectent deux meublés. Dans l'un d'eux, ils trouveront effectivement la jeune touriste.

Même scénario un peu plus loin, au 12 rue des Ecouffes. Dans une mansarde au quatrième étage, les inspecteurs réveilleront une jeune Brésilienne. Elle dit être «arrivée il y a quelques jours». Elle aussi «a loué par Airbnb et n'a eu qu'un contact par mail avec le propriétaire».

Epinards. Au cours de la seule matinée de mercredi, les trois équipes de contrôleurs établiront dans le Marais «trente présomptions d'infractions», selon Ian Brossat, l'adjoint (PCF) au maire de Paris en charge du logement. Avant qu'ils ne lancent leur opération coup-de-poing, l'élu a rappelé que les Parisiens «qui louent leur propre appartement pendant leur absence [vacances…]» ne sont en rien concernés. «On est en période de crise. Si les gens peuvent mettre un peu de beurre dans les épinards en louant leur appartement quand ils partent en vacances, tant mieux, ajoutait-il. Seuls les multipropriétaires qui achètent des appartements pour les transformer en cash machine» sont visés par la ville.

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