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Ehpad : “Certains résidents préféraient mourir”

Photo d'illustration
Photo d'illustration © Clémence Losfeld
Loan Ego , Mis à jour le

Le 15 mars, les employés des Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) manifesteront leur ras-le-bol pour la deuxième fois de l’année : des sous-effectifs chroniques épuisent les soignants, soutenus par leurs directeurs. Quant aux résidents, ils peuvent mourir d’un manque de vigilance médicale. Avec le vieillissement de la population, 2 millions de Français seront concernés en 2025. Qu’ils soient commerciaux, publics ou privés-associatifs, impossible de juger de leur qualité, vu de l’extérieur. Voici le témoignage accablant de Julie, aide-soignante.

« Il a soif ? Il a mal ? Pas le temps ! »

Julie, aide-soignante

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« J’ai exercé dix ans dans un groupe international. La politique était de faire rentrer un maximum de grabataires. Tant pis si nous, aides-soignantes, étions assommées par la charge de travail. J’avais l’impression d’aller à l’usine ! Chaque matin, avant l’heure du déjeuner, j’avais 15 toilettes à faire, ce qui me laissait douze minutes pour laver le résident, le coiffer, le raser, l’habiller et faire son lit. C’était intenable, surtout pour les plus dépendants, qu’il fallait laver dans leur lit. A peine le temps d’un bonjour, et c’est parti ! Que je te lève le bras, que je te retourne… La toilette se résume à un “visage, main, cul” dans le jargon. Imaginez l’humiliation. Certains me suppliaient de ne pas les frotter, ils ne voulaient plus être maltraités.

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S’il manquait des serviettes, on les essuyait avec les draps

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La direction avait mis en place un système de scan, au pied du lit des résidents, afin de contrôler notre temps de présence dans les chambres. Attention aux minutes supplémentaires ! Pour les parties intimes, nous n’avions droit qu’à un gant. Ceux qui souffraient de diarrhée étaient logés à la même enseigne. Et s’il manquait des serviettes, on les essuyait avec les draps. Viennent les repas, cuillère après cuillère, sans leur laisser le temps de déglutir. Des fausses routes et des infections pulmonaires, il y en a eu... Heureusement, les infirmières nous ont toujours ­couvertes, car les familles nous auraient tuées ! La toilette terminée, nous les jetions dans le couloir, à errer. Il a soif, il a mal ? Je n’ai pas le temps ! A 16 heures, tout le monde au lit ! Et si un résident devenait trop bruyant, le médecin te l’assommait à coups de Temesta ou de Valium.

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Lire aussi. Ehpad : fabrique-t-on des grabataires? La ministre Agnès Buzyn répond

Dans ces conditions, l’empathie n’est plus possible. On les force, on les bouscule. J’étais un robot qui s’occupait d’objets. Certains résidents préféraient mourir. La bientraitance, le “bien vieillir” et tout le tralala, c’est de la ­communication. La priorité c’est le profit. »

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Des contrôles pour l’instant peu fiables

Il y a 7 200 Ehpad, publics et privés, qui concernent aujourd’hui 600 000 Français. Les tarifs moyens mensuels varient de 1 615 euros dans la Meuse à 3 155 à Paris. Les trois géants : Korian, Orpéa, Domus Vi.

Aucune maison de retraite n’ayant souhaité nous rencontrer, nous renvoyant toutes vers leur syndicat, nous avons posé nos questions à Florence Arnaiz-Maumé, la déléguée générale du Synerpa. Le plus grand syndicat des opérateurs privés est censé « promouvoir les bonnes pratiques ». Mais, comme l’explique la déléguée, « il n’y a pas de norme, notamment en terme de personnel ». Voilà le problème : il est fixé implicitement par le montant des dotations de l’assurance-maladie et des départements, qui rémunèrent intégralement les soignants et un médecin coordinateur… qui n’a même pas le droit de prescrire du Doliprane. « Nous avons demandé à ce que celui-ci puisse être prescripteur », nous indique Florence Arnaiz-Maumé.

Plus les résidents perdent en autonomie, plus les dotations versées augmentent!

Autre aberration : le mode de calcul de ces dotations publiques. Plus leurs résidents perdent en autonomie, plus les dotations versées aux Ehpad augmentent! Des conditions qui n’inciteraient pas les établissements à maintenir leurs résidents valides… Comment est utilisé l’argent public ? Aucun compte n’est accessible aux familles et aux syndicats. Les Agences régionales de santé (ARS) disposent pourtant de ces chiffres. Mais pas une, de Paris à Bordeaux, Orléans, Toulouse, n’a souhaité répondre à nos sollicitations répétées. Mme Arnaiz-Maumé : « L’Etat recalcule notre bilan, le valide, ou pas, et l’excédent, nous le réinvestissons sur le matériel médical, sur la formation, etc. »

Le tarif élevé et le statut privé ne sont pas une garantie

Les évaluations externes, imposées aux Ehpad, ne tiennent pas compte de leur trésorerie. Pas plus qu’elles n’évoquent le management, la formation du personnel, la qualité de la prise en charge médicale. Quid des dossiers médicaux auxquels les familles n’ont parfois pas accès ? Quid des plaintes, des expulsions et des interdictions de visites par les familles qui « dérangent » ? Concrètement, si votre aïeul nécessite un placement en Ehpad, vous ne saurez que ce qu’il vous en coûtera. Impossible de connaître les qualités respectives de chaque Ehpad. Le Synerpa ne saurait vous répondre. Le tarif élevé
et le statut privé ne sont pas une garantie. Par Loan Ego et Catherine Schwaab

Une pétition initiée par les Drs. P. Pelloux et C. Prudhomme, avec S. Ali Benali sur change.org pour « Respecter la dignité dans nos Ehpad » a recueilli 560 000 signatures. 

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