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400.000 morts si on "laissait le virus circuler": d'où vient le chiffre évoqué par Emmanuel Macron?

Des soignants prennent en charge un patient atteint du Covid-19 dans l'unité de soins intensifs de l'hôpital universitaire de Strasbourg, le 22 octobre 2020

Des soignants prennent en charge un patient atteint du Covid-19 dans l'unité de soins intensifs de l'hôpital universitaire de Strasbourg, le 22 octobre 2020 - FREDERICK FLORIN © 2019 AFP

Lors de l'annonce du nouveau confinement ce mercredi, le président de la République a rejeté la stratégie de l'immunité collective, en s'appuyant sur une modélisation de l'Institut Pasteur.

C'est l'une des solutions rejetées par Emmanuel Macron pour combattre la deuxième vague d'épidémie de Covid-19, plus menaçante que la première. "Nous pourrions – certains le préconisent – ne rien faire, assumer de laisser le virus circuler. C’est ce qu'on appelle la recherche de 'l'immunité collective' c’est-à-dire lorsque 50, 60% de la population a été contaminée", énonçait-il mercredi soir à la télévision.

Dans la foulée, le président de la République a expliqué qu'à "très court terme", cette immunité collective induirait un "tri entre les patients à l’hôpital". "Et d’ici quelques mois, c’est au moins 400.000 morts supplémentaires à déplorer", a-t-il lâché, affirmant que "jamais la France n'adoptera cette stratégie".

Une étude de deux épidémiologistes

D'où provient cette effrayante projection? Durant son allocution, Emmanuel Macron a indiqué qu'elle avait été étudiée par le Conseil scientifique. Il se trouve en effet que deux de ses membres, Arnaud Fontanet et Simon Caucherez, épidémiologistes à l'Institut Pasteur, ont consacré un billet à ce sujet dans Nature Reviews Immunology, une revue scientifique britannique. Voici ce qu'ils écrivent dans leur article, publié début septembre:

"Pour le Covid-19, dont le taux de mortalité par infection est estimé à 0,3-1,3%, le coût de l’immunité collective par infection naturelle serait très élevé, surtout en l’absence d’une meilleure prise en charge des patients et sans protection optimale des personnes exposées à de graves complications. En supposant un seuil d’immunité collective optimiste de 50%, pour des pays comme la France et les États-Unis, cela se traduirait par 100.000-450.000 et 500.000-2.100.000 morts, respectivement."

Une projection mathématique

Pour atteindre cette fourchette, dans laquelle se situe donc le chiffre évoqué par le chef de l'État, les deux épidémiologistes ont procédé à ce qu'on appelle une modélisation, une méthode qui repose donc sur une projection mathématique. Le Pr Karine Lacombe, infectiologue et cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, estime qu'il faut la prendre au sérieux. Et ne pas, au contraire, réduire le propos d'Emmanuel Macron à de la communication de crise.

"On voit de quelle manière le virus circule, on a un taux de d'infectiosité qui est de tant, un taux de mortalité qui est de tant, et cela nous permet d'obtenir une projection fiable. Il y a toujours un intervalle de confiance, entre une barrière basse et une barrière haute, et la modélisation reste quelque chose de théorique, mais elle donne une idée assez bonne de ce qu'il peut se passer", explique-t-elle auprès de BFMTV.com.

Interrogé par CheckNews, Simon Caucherez en dit un peu plus sur la méthodologie à laquelle lui et son confrère ont recouru.

"Une autre façon d’arriver à ces chiffres serait de considérer qu’il a fallu dans le contexte français 30.000 morts pour obtenir 5% d’immunité collective. Si on applique ce même taux de mortalité pour la suite, on s’attend à 300.000 morts pour atteindre 50% d’immunité collective et 396.000 morts pour atteindre 66%", explique-t-il.

L'illusion de l'immunité collective?

Le chiffre de 66%, qui correspond donc aux deux tiers d'une population, est le plus fréquemment utilisé par les scientifiques pour parler d'immunité collective. Une stratégie un temps défendue en Suède par l'épidémiologiste en chef du pays, où peu de restrictions avaient été imposées, mais qui semble se heurter à la nature même du Covid-19, dont la contraction par l'Homme ne permettrait pas pour autant à ce dernier de développer des anticorps durables. À tout le moins, pas chez les personnes asymptomatiques.

C'est la conclusion d'une récente étude britannique menée sur 350.000 personnes choisies au hasard, qui se sont auto-testées régulièrement à la maison pour voir si elles disposaient d'anticorps au Covid-19. Entre le 20 juin et le 28 septembre, la proportion de personnes testées positives pour les anticorps du Covid-19 a diminué de 26,5%", passant de 6% à 4,4% de la population testée, "ce qui suggère une réduction des anticorps dans les semaines ou les mois suivant l'infection".

"Cela fait neuf mois que le virus circule et les Suédois sont encore très loin de l'immunité collective", note Karine Lacombe. "C'est une stratégie qui peut être intéressante quand elle persiste dans le temps, mais on voit bien désormais que l'on peut être réinfecté par le Covid après l'avoir contracté une première fois. L'immunité collective est donc un concept qui paraît illusoire aujourd'hui."
Jules Pecnard Journaliste BFMTV