Mehdi Meklat : Internet est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes

Cap^ture du compte Twitter de Mehdi Meklat
Cap^ture du compte Twitter de Mehdi Meklat
Cap^ture du compte Twitter de Mehdi Meklat
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Retour sur les tweets antisémites, racistes, homophobes et violents, que Mehdi Meklat publiait sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps.

Mehdi Meklat n’a pas encore 25 ans. Passé par le Bondy Blog, il a avec Badroudine Saïd Abdallah, et sous le nom de “Les Kids”, été chroniqueur sur France Inter, auteur de deux livres (dont le dernier vient de paraître au Seuil), réalisateur d’une web-série sur Arte. Tous les deux ont fait l’objet de nombreux articles et portraits, et faisaient encore récemment la couverture des Inrockuptibles en compagnie de Christiane Taubira avec laquelle ils s’entretenaient. Mehdi et Badrou étaient les jeunes de banlieue intelligents, drôles, poétiques et fins. Jusqu’à ce week-end, où il est apparu que Mehdi Meklat tenait depuis 2011 un compte Twitter sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps, compte Twitter dans lequel il a publié pendant des années des milliers de propos antisémites, homophobes, sexistes, violents et insultants. Depuis donc, ces tweets ressortent. Ceux qui les découvrent sont déçus, en colère, atterrés. La fachosphère saute sur l’occasion. Ceux qui étaient manifestement au courant de l’existence de ce compte sont faits les complices de ces propos. Christiane Taubira estime nécessaire de se justifier de l’entretien donné aux Inrockuptibles. Quant à Mehdi Meklat, il a publié hier un long texte sur Facebook, dans lequel il commence par s’excuser avant d’expliquer qu’il avait créé ce compte ce compte en 2011, que Marcelin Deschamps n’était pas lui, mais qu’il était devenu “un personnage de fiction maléfique”, avec lequel il testait des “limites”.

Cette histoire n’est pas une anecdote. Parce qu’elle est atterrante, triste et compliquée. Parce qu’elle nous place face à une sorte de mystère qui interroge à la fois les formes d’expression qui ont cours dans les réseaux sociaux, et l’âme humaine.

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Peut-être peut-on commencer par éliminer les deux hypothèses les plus extrêmes. La première consistant à considérer que s’exprimait sur ce compte Twitter un autre, un personnage de fiction complètement détaché de son auteur. Car cela irait à l’encontre du fait que Mehdi Meklat n’a cherché à effacer ces messages que quand des internautes les ont exhumés, et cela contredirait ce qu’il a lui-même écrit dans son post Facebook : “ Nous partagions peut-être parfois une certaine colère mais je la transformais en art quand Marcelin n'avait que la haine en lui.” Si on élimine cette première hypothèse, il faut éliminer sa stricte réciproque, celle sur laquelle se sont jetés beaucoup, et qui consiste à considérer que Mehdi Meklat y disait ce qu’il pense vraiment, que ce compte Twitter révélait le vrai Mehdi Meklat, qu’il serait donc, au fond de lui, antisémite, homophobe, anti-blanc. Car, dans ce cas, ce serait considérer que ce qu’un pseudonyme dit sur Twitter est plus important que ce qu’on fait dans le reste de sa vie, ce qu’on a construit pendant des années, je ne le crois pas.

Reste donc une question : quel lien peut-on établir entre ce que dit un pseudonyme sur Twitter et ce qu’on dit et fait dans le reste de la vie, quand la contradiction est aussi flagrante ? Cette question, on peut tenter d’y répondre à deux niveaux, qui sont sans doute complémentaires.

Le premier niveau, c’est celui de la situation de communication propre au réseaux sociaux. Dernièrement, l’université de Stanford publiait une étude tout à fait intéressante sur les trolls - ces gens qui passent leur temps sur Internet à insulter, à dire des horreurs, à pourrir les conversations - une étude qui montrait que “ tout le monde peut devenir troll” (c’est le titre donné à cette étude), l’idée étant que la situation de communication propre des réseaux sociaux peut affecter le registre de parole et amener quiconque à tenir des propos excessifs, méchants, odieux… et à attaquer avec plus d’acharnement encore les tabous sociaux. C’est intéressant. Mais est-ce suffisant ?

Sans doute pas. Le problème est que les autres explications - qui viendraient compléter ce premier niveau - nous sont inaccessibles car elles relèvent de la psyché de Mehdi Meklat. Pourquoi Mehdi Meklat avait-il besoin de ce défouloir ? A quoi correspondait-il ? Pourquoi détruire d’un côté ce qu’il construisait de l’autre ? Hier, dans Rue89, l’écrivain Pacôme Thiellement disait une chose assez intéressante :”"Cela ne veut pas forcément dire qu’on attaque le monde dans lequel on évolue parce qu’on le déteste, au contraire, cela peut être le contentement qu’on ressent qui n’est pas gérable.” Oui, peut-être… Il y a sans doute chez Mehdi Meklat une complexité qui nous échappe, et lui échappe aussi. Mais voilà, qui d’autre que lui peut le savoir, à condition que lui-même le sache ? Une seule chose est certaine dans cette histoire : avec sa capacité de mémorisation, avec les possibilités qu’il offre de jouer avec les identités, avec ce qu’il permet de cette parole mi-privée mi-publique, avec le sentiment d’impunité qu’offre cette parole, Internet est un lieu compliqué. Mais c’est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes.

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