PAUVRETÉ - Que la pauvreté progresse, ce n'est hélas pas une surprise pour tout le monde, tant le chômage reste élevé après des années de croissance molle. En revanche, que de grandes proportions de personnes pauvres ne fassent pas valoir leurs droits aux aides sociales, voilà qui est plus inattendu.
Selon le rapport annuel du Secours Catholique publié ce jeudi 9 novembre, 31% des ménages français ou étrangers éligibles aux allocations familiales n'en touchent pas. Il y a également 40% de non-recours au Revenu de solidarité active (RSA) en 2016, contre 38% en 2015.
Ces données sont confirmées par l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), co-fondée par Philippe Warin, directeur de recherche au CNRS. "Nous avons évalué à 5,3 milliards d'euros non versés pour le RSA en 2011, contre une fraude évaluée à 4 à 5 milliards pour l'ensemble des aides sociales. Cela confirme des études britanniques selon lesquelles il existe un rapport de 1 à 10 entre les sommes liées à la fraude et celles non réclamées."
Le non-recours à la couverture maladie universelle (CMU) complémentaire et à l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) représenterait 800 millions d'euros non versés.
Complexité, ignorance, ou renoncement intentionnel
"L'ACS concerne des revenus légèrement supérieurs à ceux qui ouvrent droit à la CMU. Au moins de 60% des gens éligibles n'y ont pas recours", ajoute Philippe Warin, du CNRS. Compte tenu du nombre de gens concernés, et de la variété de leurs profils, les raisons de non recours sont très variées, et souvent difficiles à quantifier avec précision.
Pour le RSA, les embarras administratifs sont un frein certain. "Une partie estime que les sommes sont trop faibles pour monter un dossier complexe, alors qu'ils espèrent se relancer en quelques mois", explique notre expert. Même son de cloche pour l'ACS, d'autant que ce dispositif laisse un reste à payer dissuasif pour les plus précaires.
La méconnaissance des aides concerne aussi beaucoup de monde, avant tout les immigrés récents. Quant à ceux en situation irrégulière, ils peuvent même s'en méfier, de peur de se signaler aux autorités. "Contrairement à l'Aide médicale d'Etat (AME), il n'y a pas d'association pour faire tampon avec les institutions", déplore Philippe Warin.
Plus surprenant, des motivations politiques et religieuses peuvent parfois détourner des systèmes d'aides. Pour le RSA, certains ayants droits justifient leur refus de cette aide parce qu'elle est vue "comme une institutionnalisation de la précarité et des bas salaires."
Combattre les clichés sur la pauvreté
Dans certains quartiers, une défiance cultuelle envers les services publics peut s'installer parfois. "L'accès au service public devient plus difficile quand l'organisation sociale est modifiée, avec des associations cultuelles fortes", témoigne Philippe Warin.
Enfin, le maillage du territoire par les associations est loin d'être homogène. Ainsi, la pauvreté des centres-villes est souvent moins bien identifiée que dans les quartiers pauvres des périphéries.
Pour le Secours Catholique, cette étude doit briser les clichés sur les personnes pauvres. "Ces pourcentages extrêmement élevés, et préoccupants, battent en brèche les préjugés et idées reçues colportées sur les personnes en situation de précarité. Une partie d'entre elles, importante, n'a pas accès à ses droits; par méconnaissance, par difficulté d'accès à l'administration mais aussi par honte et autocensure", explique le Secours catholique.
Cette constatation est faite alors que la CAF a annoncé la veille vouloir utiliser son dispositif anti-fraude pour repérer les cas de personnes éligibles aux allocations, mais qui, pour des raisons diverses, n'en font pas la demande.
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