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Crédit :LUDOVIC MARIN / AFP - L'EXPRESS

Ces dernières semaines, Bruno Le Maire est devenu le rival d'Edouard Philippe.

LUDOVIC MARIN / AFP - L'EXPRESS

"Bruno Le Maire agace." De l'Elysée, où il ne compte pas que des partisans, à la plupart des ministères, où la moquerie le dispute à la jalousie, en passant par Matignon, qui rigole de moins en moins en entendant le nom du ministre de l'Economie, c'est comme si on s'était passé le mot. Ce côté premier de la classe, cette façon un peu crâneuse avec laquelle il ne manque jamais de souligner que "lui, en a vu d'autres", "qu'il a connu des crises, comme le CPE (contrat première embauche) ou les mouvements agricoles", ce ton littéraire qu'il emploie volontiers... font jaser dans les couloirs de la République.

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La séquence médiatique à laquelle Bruno Le Maire s'est livré fin avril - posant avec des canetons de Bercy et le pied sur son bureau dans Le Figaro magazine ; ou en blouson de cuir, façon Lucky Luke, dans les ascenseurs du ministère sur Instagram -, a suscité quelques quolibets. "On combat une épidémie, il y a plus de 25 000 morts, et il se met en scène, c'est indigne", persifle un conseiller élyséen. Parmi ses collègues du gouvernement, on loue ses compétences en ces temps tourmentés, ses interventions brèves et limpides en Conseil des ministres, "sans esbroufe". Soit tout le contraire de ce qu'ils ont trouvé en feuilletant les journaux ! "On ne pouvait plus ouvrir un canard sans tomber sur une page et demie sur Le Maire, glisse l'un d'eux, entre rire et consternation. Politiquement, c'est très imprudent, surtout quand, en parallèle, on annonce partout que l'on va changer de Premier ministre..."

Comment ne pas voir dans cette autopromotion le signe de son ambition pour Matignon ? Bien sûr, dans son entourage, on botte en touche. Mieux : l'intellectuel serait même au-dessus de tout ça. "Compte tenu de son goût pour la liberté, pour la littérature, pour l'international, non, il n'en a pas envie", jure-t-on, la main sur le coeur. Et pourtant, sans aucune ambiguïté, Le Maire est devenu LE rival d'Edouard Philippe. Au point qu'il ose même prendre de court le Premier ministre.

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Preuve en est, ce jeudi 30 avril, lors d'une visioconférence avec les acteurs économiques et sociaux : les syndicats expriment au locataire de Bercy leur souhait d'être mieux représentés au côté du patronat, dans le comité de suivi des aides publiques. Bruno Le Maire leur répond du tac au tac : "Je comprends votre demande et j'y suis favorable. Je vais proposer au Premier ministre de vous écouter." Ses propos sont rapportés par un participant, qui y voit "une prise en tenailles d'Edouard Philippe puisque, s'il refuse, il passera pour le père tape dur".

Un allié au Palais

L'idée fait en tout cas son petit bonhomme de chemin. Selon un ministre, ils seraient plusieurs au sein du gouvernement à s'être dit "M****, il va peut-être devenir Premier ministre...". "BLM" a même trouvé un allié au Palais : Philippe Grangeon. Le conseiller spécial d'Emmanuel Macron, venu de la gauche, répète à qui veut l'entendre que Bruno Le Maire ferait un excellent successeur rue de Varenne.

Son adhésion très précoce à La République en marche, son programme disruptif et relativement écolo à la primaire de la droite, sa souplesse qui tranchait avec celle d'Edouard Philippe durant le débat sur les retraites et sa proximité avec le patron de la CFDT, Laurent Berger, jouent sans doute en sa faveur. Et c'est sans compter les accents presque bolcheviques pris par l'ancien candidat à la primaire de la droite depuis maintenant plus d'un an et demi. De quoi, d'ailleurs, laisser pantois ses homologues.

Macron, "amusé mais méfiant"

"Bien avant la crise, il avait déjà des montées gauchistes sur l'avenir du capitalisme ! plaisante un membre de l'exécutif. Mais là, c'est vive les nationalisations, la fin des dividendes et la pleine parole aux syndicats !" Comme une légère résonance avec les envolées d'Emmanuel Macron sur le "monde d'après" et le besoin de se "réinventer".

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Le chef de l'Etat, qui n'a pas d'affection particulière pour son ministre des Finances, garde un oeil, "amusé mais méfiant, selon un membre du Château, sur celui qui occupe exactement le même bureau que lui à Bercy, là où il préparait sa campagne présidentielle quand François Hollande était à l'Elysée". En attendant, il ne peut que constater son utilité dans la période, au sein d'une équipe qui ne déborde pas de poids lourds politiques capables de monter au front.

C'est son heure, et Bruno Le Maire le sait. Autant en profiter. Le plan de sauvetage commencé pendant la crise, aligné sur le credo présidentiel "L'Etat paiera quoi qu'il en coûte", lui offre un exercice presque confortable. Tandis qu'Olivier Véran doit gérer les pénuries, les inquisitions, les complotismes, lui aligne les dépenses, au nez et à la barbe des oppositions qui se sont trouvées fort dépourvues quand l'argent magique fut venu.

La réalité, plus compliquée?

Dans l'oeil du cyclone, "BLM" est paradoxalement - et temporairement - à l'abri des vents contraires. "Pour l'instant, l'économie est anesthésiée, comme sous cloche, et Bruno Le Maire se donne le beau rôle : il distribue les milliards d'euros, vole au secours des filières, distribue des primes...", souffle un conseiller. Aussi, beaucoup attendent - non sans une certaine impatience dans la voix - le retour de bâton. "Le plus dur est à venir", dit-il souvent, autant pour le pays que pour son propre sort.

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En septembre, quand il s'agira de déterminer le plan de relance, de tailler à la cisaille dans les aides et de juguler le chômage de masse post-Covid, ses choix seront alors décortiqués et le temps des polémiques pointera inévitablement le bout de son nez. Il sera là, son test du quinquennat. Restent donc quelques mois encore à attendre pour savoir si, véritablement, "le renouveau, c'est Bruno", comme le promettait Le Maire lors de sa campagne de 2016. Ou si la réalité, comme souvent, est plus compliquée.

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