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La loi Avia contre la haine en ligne largement retoquée par le Conseil constitutionnel

Les obligations pesant sur les réseaux sociaux de retirer en vingt-quatre heures les contenus illégaux n’ont pas été jugées compatibles avec la liberté d’expression.

Par  et

Publié le 18 juin 2020 à 16h15, modifié le 20 juin 2020 à 07h26

Temps de Lecture 4 min.

C’est une gifle. Le Conseil constitutionnel a censuré, jeudi 18 juin, la proposition de loi contre la haine en ligne, portée par la députée La République en marche (LRM) de Paris, Laetitia Avia, et soutenue activement par le gouvernement. Adoptée le 13 mai, le texte controversé devait entrer en application au 1er juillet, mais il est privé de l’essentiel de sa substance.

Le juge constitutionnel a censuré sa disposition-phare, l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer, dans les vingt-quatre heures, sous peine de lourdes amendes, les contenus « haineux » qui leur sont signalés sur Facebook, Twitter, Snapchat, YouTube… Pour le Conseil constitutionnel, ce mécanisme risquait de porter « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ». Or, c’était « le cœur du texte », comme l’affirmait Mme Avia, en mai 2019.

Risque de « surcensure »

Comme les détracteurs de la loi, le Conseil constitutionnel craignait que les plates-formes « surcensurent », car les réseaux sociaux étaient censés se prononcer sur un contenu sans l’intervention d’un juge. Ils étaient amenés à évaluer les propos signalés, une opération qui pouvait revêtir une « technicité juridique » ou dépendre du « contexte » de publication. Le tout dans un « délai extrêmement bref ». Avec de lourdes sanctions prévues dès la première erreur.

Selon les juges, le texte incitait « les opérateurs de plate-forme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ». Ce versant répressif du texte était proche de l’esprit de la loi allemande NetzDG sur les réseaux sociaux, adoptée en janvier 2018 et elle aussi contestée. L’autre dispositif répressif de la loi Avia a aussi été retoqué : il demandait aux réseaux sociaux de supprimer en une heure tout contenu pédopornographique ou terroriste signalé par les autorités. Or, la catégorisation était « soumise à la seule appréciation de l’administration » et le délai bref empêchait toute intervention judiciaire, note le Conseil.

Le volet préventif également retoqué

Outre ces dispositions répressives, la loi Avia comportait un volet plus préventif. Mais il était imbriqué dans les deux dispositions censurées et il a donc été, de facto, annulé. Ce volet visait à imposer aux plates-formes des obligations de moyens : être transparent sur l’activité de modération, le nombre de contenus retirés, le motif ou le taux d’erreur ; coopérer avec la justice ; permettre à l’internaute de contester les décisions… Autant de devoirs dont l’application était confiée au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), doté d’un pouvoir de sanction.

Il ne reste finalement du texte que des dispositions mineures : la création d’un parquet spécialisé dans les messages de haine en ligne ; la simplification du signalement d’un contenu ; ou la création d’un « observatoire de la haine en ligne », auprès du CSA.

Sans surprise, la censure de la loi a réjoui les sociétés concernées : « La décision rappelle le rôle essentiel du juge pour qualifier et apprécier les contenus en ligne », s’est félicité Jean-Sébastien Mariez, avocat représentant Tech in France – une association d’entreprises numériques dont sont membres Facebook ou Google.

« Véritable camouflet »

C’est un « véritable camouflet » pour le gouvernement, a savouré Bruno Retailleau. Le président du groupe Les Républicains au Sénat a raillé « un texte aussi liberticide que mal ficelé qui donnait aux GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon] un véritable pouvoir de censure ».

« Lourde défaite pour [Nicole] Belloubet, la garde des sceaux, a exulté sur Twitter Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise. La volonté liberticide en échec. » Philippe Latombe (MoDem), seul député de la majorité opposé au texte, a dénoncé « un dispositif législatif mort-né ». Très mobilisée, l’association de défense des libertés en ligne La Quadrature du Net a estimé, par le biais de son juriste Arthur Messaud, que « le Conseil constitutionnel a désavoué le gouvernement dans l’ensemble de sa stratégie numérique, qui est complètement dépassée ».

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Malgré cela, pour Mme Avia, « il ne s’agit pas de renoncer à ce combat pour la protection des internautes, victimes ou témoins de la haine en ligne ». La décision doit être « une feuille de route pour améliorer un dispositif que nous savions inédit et donc perfectible », a assuré la députée dans un communiqué.

« Retravailler ce dispositif »

« Dans un contexte où la lutte contre la haine, notamment en ligne, constitue une préoccupation sociale et sociétale de premier ordre, le gouvernement étudiera la possibilité de retravailler ce dispositif », ont ajouté Mme Belloubet et Cédric O, le secrétaire d’Etat au numérique, dans un communiqué commun.

Cela pourrait se traduire par un rétablissement des obligations de moyens : « Le Conseil constitutionnel ne se prononce pas sur leur conformité à la Constitution », notent-il. Les ministres mentionnent aussi le projet de texte européen Digital Services Act, lui aussi orienté sur les obligations de moyens. Mais dans tous les cas, cela ne fera qu’atténuer une lourde défaite politique.

Mise à jour du 18 juin, 18 h 30 : contrairement à ce que nous écrivions initialement, le deuxième volet, plus préventif, de la loi Avia a également été censuré par le Conseil constitutionnel.

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