L'Arctique, sentinelle du changement climatique, n'en finit pas de surprendre. Le National Snow and Ice Data Center (NSIDC) américain vient d'annoncer qu'un nouveau record de fonte de la banquise polaire de l'hémisphère Nord devrait être atteint, jeudi 20 septembre, avec une superficie réduite à 3,4 millions de km2. En 2007, le dernier record pointait à 4,2 millions de km2 et avait lui-même, à l'époque, été tenu pour exceptionnel.
De fait, le record de 2007 était déjà très inférieur à la moyenne de 6,5 millions de km2 de surface de mer gelée, mesurée à la mi-septembre entre 1979 et 2000. Le record de 2012 enfonce donc un peu plus le clou.
De manière d'autant plus inattendue que le record de 2007 a été battu dès le 27 août, soit quelque trois semaines avant la mi-septembre, moment auquel la glace de mer passe chaque année par son minimum de fin d'été – avant de croître à nouveau au cours de l'automne et de l'hiver.
"L'ÉTENDUE DE GLACE PERDUE EXCÈDE LES AUTRES ANNÉES"
"La situation actuelle dans l'Arctique est réellement spectaculaire", estime Ralf Jaiser, chercheur à l'Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine de Bremerhaven (Allemagne). "Si nous regardons l'étendue de glace perdue depuis le maximum atteint en mars, cela excède de très loin ce qui s'est produit les autres années", ajoute la glaciologue Julienne Stroeve, chercheuse au NSIDC.
La situation tient en premier lieu à une tendance lourde, qui s'accélère depuis une décennie. Mais aussi, comme le dit le climatologue Thierry Fichefet, professeur à l'Université catholique de Louvain, à "la tempête qui a contribué à disloquer la banquise dans le courant du mois d'août, et aux températures qui, dans certains secteurs, ont excédé de près de 4°C la moyenne relevée sur l'été entre 1980 et 2000".
La rapidité avec laquelle se réduit la banquise arctique est très inattendue. Les modélisations menées pour le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) anticipaient une disparition complète de la banquise à la fin de l'été autour de 2080.
"Avec une sélection des nouveaux modèles, qui seront utilisés dans le prochain rapport du GIEC, nous obtenons une disparition de la glace de mer arctique à la fin de l'été, entre 2040 et 2060, dans un scénario où les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au même rythme", explique M. Fichefet, dont les résultats ont été soumis à la revue The Cryosphere.
Les modèles sont-ils toujours trop optimistes ? Beaucoup le pensent. Le glaciologue Peter Wadhams (université de Cambridge, Royaume-Uni) a ainsi récemment déclaré au Guardian que, selon lui, la glace de mer arctique pourrait avoir disparu à la fin de l'été d'ici à 2016. Cette estimation s'obtient en prolongeant "à la main", l'accélération de la fonte mesurée depuis cinq ans.
Une telle disparition aura des effets d'ampleur. Les grandes étendues de banquise réfléchissent en effet plus de 80 % de l'énergie solaire incidente ; lorsque la glace disparaît, l'océan absorbe au contraire la plus grande part de l'énergie reçue. D'où un excès considérable de chaleur apportée à la machine climatique.
VAGUES DE FROID HIVERNALES
Comment se manifestera ce nouveau déséquilibre ? "Il y a toujours une part de spéculation à parler des conséquences potentielles", avance Mme Stroeve. Les incertitudes sont importantes. Mais des travaux publiés en début d'année dans la revue Tellus A et menés par M. Jaiser ont montré que la circulation atmosphérique de l'hémisphère Nord pourrait être affectée.
Une part de l'énergie additionnelle apportée au système climatique "se diffusera dans l'atmosphère dans les saisons suivantes", explique le chercheur allemand. "D'où des températures automnales et hivernales plus douces au-dessus de l'Arctique", ajoute-t-il.
L'impact de ce changement sur le climat des latitudes moyennes de l'hémisphère Nord est plutôt contre-intuitif. Le réchauffement de l'Arctique en hiver devrait conduire à l'augmentation de la pression des masses d'air au-dessus de l'ensemble de la région.
"Cela va contribuer à réduire les différences de pression entre les zones polaires et les régions des latitudes moyennes, comme l'Europe par exemple, explique Jean-Claude Gascard, chercheur au Laboratoire d'océanographie et du climat (CNRS, université Paris-VI). D'où un ralentissement de la circulation liée aux vents d'ouest, qui amène de l'air doux venant de l'Atlantique. Les échanges Nord-Sud seront donc facilités." Ce qui, en substance, faciliterait l'arrivée de masses d'air polaire sur l'Europe, d'où des vagues de froid hivernales plus probables aux latitudes moyennes.
D'autres effets, plus difficiles à prévoir et à quantifier, sont attendus. M. Gascard cite notamment des changements dans la circulation océanique, mais également des bouleversements biologiques importants comme l'arrivée de nouveaux planctons dans les eaux arctiques et le déplacement progressif vers le Nord des zones de pêche. "Sur ces sujets, déclare M. Gascard. Nous manquons encore de données."
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