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Najat Vallaud-Belkacem joue son avenir politique à Villeurbanne

REPORTAGE L’ancienne ministre de l’Education doit non seulement lutter contre les vents contraires au niveau national mais également contre l’hostilité locale du maire de Lyon, Gérard Collomb.

Par Elsa Freyssenet

Publié le 4 juin 2017 à 16:04

« J’ai un peu l’impression d’une double peine » Un lundi soir à Villeurbanne, Najat Vallaud-Belkacem laisse tomber cette expression si lourde symboliquement. Il est 20 heures, elle a déjà passé de longues heures en conférence de presse, déambulations dans la ville, débat avec ses concurrents aux législatives dans la 6e circonscription du Rhône, et la journée n’est pas finie. Dans l’appartement d’un militant socialiste, elle répond aux questions d’une dizaine de voisins pas encore fixés sur leur vote. Ces électeurs-là lui parlent surtout de la division de la gauche et de la « déchéance » du PS.

Je suis en situation de fragilité ici ,parce que j’ai fait le choix d’être loyale à mon parti. Et en plus, on vient me reprocher le choix des autres !

Quand une musicienne ironise sur les anciens ministres socialistes (Manuel Valls, Marisol Touraine) qui s’inscrivent dans le sillage d’Emmanuel Macron, Najat Vallaud-Belkacem semble soudain lasse : « Je suis en situation de fragilité ici ,parce que j’ai fait le choix d’être loyale à mon parti. Et en plus, on vient me reprocher le choix des autres ! Je prends tous les inconvénients de toutes les situations », soupire-t-elle. Un peu plus tôt dans la journée, elle a glissé à l’un de ses soutiens  : « Les électeurs de gauche ne savent plus quoi faire. » Ils ont en effet de quoi être circonspects : dix-neuf candidats, dont au moins cinq se réclamant de la gauche, sont en lice à Villeurbanne pour le premier tour de scrutin le 11 juin.

Bruno Bonnell, un adversaire sérieux

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Quand Najat Vallaud-Belkacem a quitté Lyon, il y a trois ans, pour préparer son atterrissage dans cette ville limitrophe, la presse locale avait conclu à « une solution de facilité ». Elle s’implantait avec l’appui du maire PS de Villeurbanne, Jean-Paul Bret, et de la députée sortante Pascale Crozon, élue avec 62 % des suffrages en 2012. Mais la présidentielle a tout changé.

Ici comme ailleurs, Benoît Hamon (9,15 %) a été largement devancé par Emmanuel Macron (27,7 %), Jean-Luc Mélenchon (26,5 %), François Fillon (16,6 %) et Marine Le Pen (13,1 %). Ici davantage qu’ailleurs, les réseaux Macron ont l’ancienne ministre de l’Education dans leur viseur. En marche a désigné face à elle un candidat sérieux, Bruno Bonnell, apôtre de la révolution robotique – « la robolution », dit-il – et dirigeant de trois entreprises qui emploient 170 personnes à Villeurbanne.

A travers eux s’opposent deux conceptions de la politique. Elle en a gravi les échelons un à un depuis quinze ans ; lui porte en étendard le label société civile _ « Je ne m’engage pas en politique, je vis un moment politique de ma vie », dit-il. Le « marcheur » assure que « la gauche et la droite, c’est vintage » ; la socialiste ironise sur la tentation du « parti unique » puis ajoute : « La fin du clivage droite-gauche, c’est n’importe quoi. Car la réalité, c’est qu’il existera toujours des intérêts divergents dans notre société entre les mieux lotis et les plus précaires. »

Elle est assaillie de demandes de selfies

Elle a le contact facile, il a un bagou certain. Bruno Bonnell a été un grand patron médiatique. Au tournant des années 2000, il incarnait même la success-story française avec Infogrames, son entreprise de jeux vidéo qu’il avait hissée au deuxième rang mondial. Après une boulimie d’acquisitions qui a plombé les comptes et plusieurs restructurations, il est débarqué en 2007… puis il rebondit grâce à la robotique. Moins haut mais toujours avec la même force de conviction qui a conduit Arnaud Montebourg à lui confier en 2013 la responsabilité d’un des 34 plans de la nouvelle France industrielle.

« Les robots aspirateurs, c’est moi et ça vient de Villeurbanne », dit-il pour se présenter à des électrices à la sortie d’une école maternelle. Face à Najat Vallaud-Belkacem, assaillie de demandes de selfies partout où elle va, il met les bouchées doubles pour combler son déficit de notoriété auprès du grand public. Il sillonne les quartiers à bord de sa « BrunoMobile », un minibus à son effigie… déjà repéré par les caméras de TF1 et d’Arte.

 Je me suis toujours construite dans l’adversité 

La campagne aurait pu se résumer à une compétition opposant la bonne élève de la présidence Hollande, figure de la nouvelle génération socialiste (elle a 39 ans comme Emmanuel Macron) et une étoile montante d’En marche, possible ministrable. Cet enjeu seul aurait suffi. L’entrepreneur à la carrure de rugbyman n’aime rien tant que les défis et l’ancienne ministre de l’Education joue son avenir politique. Si elle perd, elle n’aura plus aucun mandat électif. Elle se bat pied à pied : « je me suis toujours construite dans l’adversité ».

Enjeux nationaux et rivalités locales

Au fil des semaines, Villeurbanne est devenue le théâtre d’un affrontement où la géographie et l’histoire se mêlent aux enjeux politiques nationaux et à des rivalités locales qui dépassent les candidats eux-mêmes. En témoigne le pataquès autour de l’engagement du basketteur Tony Parker, propriétaire du club de Villeurbanne, l’Asvel. Un soutien accordé à Najat Vallaud-Belkacem mercredi dernier puis retiré le lendemain : « Je pensais que c’était une sollicitation personnelle, en aucun cas politique », a déclaré la star de la NBA.

Immédiatement, le suppléant de la candidate PS a évoqué « des pressions », orientant les regards vers Gérard Collomb, nouveau ministre de l’Intérieur et maire de Lyon (Parker est lié à la métropole pour l’ouverture prochaine d’un centre de formation). Réalité, écran de fumée ou fantasme ? Quoi qu’il en soit, l’anecdote dit tout du climat local.

C’est qu’à Villeurbanne on lutte depuis le XIXe siècle contre une absorption par la métropole lyonnaise. Longtemps industrieuse et peuplée d’ouvriers venus du monde entier, la commune s’est toujours défiée de l’ingérence de sa voisine, plus grande et plus bourgeoise. Ici, Gérard Collomb est à la fois salué comme un élu « de qualité » et critiqué pour son « attitude impériale » et son fonctionnement « autocratique ». C’est l’édile de Villeurbanne qui parle.

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Tendue depuis longtemps, la relation entre les deux hommes est devenue éruptive. Jean-Paul Bret a pris comme « un acte agressif » l’investiture de Bruno Bonnell, alors qu’ En marche a épargné d’autres anciens ministres . « Gérard Collomb, c’est Don Corleone. Il règle ses comptes à la manière d’un parrain », a-t-il asséné dans « Lyon Capitale ». Aux « Echos », il confie : «  Najat a été l’oisillon qu’il a couvé et dont il n’a pas supporté qu’elle devienne un oiseau. Collomb a le souci qu’autour de lui cela ne pousse pas. »

Il est jaloux à un degré assez peu imaginable. C’est typiquement un baron local

Entrée en politique en 2003 au cabinet du maire de Lyon puis poussée par lui au devant de la scène (il l’avait recommandée comme porte-parole de Ségolène Royal en 2007), Najat Vallaud-Belkacem a effectivement vu leurs relations se détériorer lorsqu’elle est devenue ministre et pas lui. « Elle n’est pas reconnaissante envers ceux qui lui ont mis le pied à l’étrier », nous confiait Gérard Collomb il y a quelques mois.

Mais lui la privait de parole lors des inaugurations et distillait des petites phrases assassines sur une ministre « séductrice qui devrait se méfier des paillettes »...« Il est jaloux à un degré assez peu imaginable. C’est typiquement un baron local », peste un socialiste lyonnais. « C’est un despote éclairé, mais c’est un despote », assure un autre élu de gauche. Toujours sous couvert d’anonymat.

Pygmalion puis Tonton flingueur

Car, c’est un fait : à soixante-dix ans, Gérard Collomb, dont le bilan à Lyon est incontesté, tient ses troupes d’une main de fer, tour à tour Pygmalion et « tonton flingueur ». Au siège d’En marche, un membre de la commission d’investiture reconnaît : « Macron a laissé à Collomb le choix des candidats dans le Rhône ».

Résultat : beaucoup d’affidés parmi les seize investis, et seulement trois candidats novices en politique (dont Bruno Bonnell). Au passage, un autre ancien ministre, le lyonnais Thierry Braillard, a été récusé. Il avait beau avoir rallié Emmanuel Macron avant le 1er tour de la présidentielle , il avait fait l’erreur d’avouer, il y a quelques années, son intérêt pour la succession de Gérard Collomb à Lyon puis de se fâcher avec l’épouse du maire, Caroline.

Ils sont entrés au gouvernement et sont restés ministres de Hollande jusqu’au bout, ils en assument les conséquences.

L’intrigue ne serait pas complète sans l’influence, prêtée par ses adversaires, à cette ancienne camarade de promotion de Najat Vallaud-Belkacem (à Sciences Po). « On m’impute tout le temps plein de choses. Mais si seulement… », soupire Caroline Collomb. Très investie dans En marche, elle ajoute néanmoins: « Ils sont entrés au gouvernement et sont restés ministres de Hollande jusqu’au bout, ils en assument les conséquences. » Façon de remettre le débat sur le terrain politique. Partiellement.

S’agissant de l’élection de Villeurbanne, les rivalités locales ne sont pas seules en cause. Personne, même dans l’entourage parisien d’Emmanuel Macron, n’avait envie d’épargner une ancienne ministre qui avait critiqué « l’aventure personnelle » du leader d’En marche et activement soutenu Benoît Hamon. Personne à part… Bruno Bonnell qui déclarait entre les deux tours de la présidentielle : « Il faut créer des passerelles, avec elle comme avec d’autres ». Désormais, il le jure : « Collomb ne m’a jamais demandé d’aller à Villeurbanne. Je ne me suis jamais fait manipuler. » Trop conscient que ce soupçon peut constituer un handicap dans une ville si sourcilleuse de son autonomie.

Attaches villeurbannaises en vidéo

Même s’il considère le maire de Lyon comme « un ami » et le soutient depuis 2001, Bruno Bonnell met davantage en valeur sa rencontre avec Emmanuel Macron, en 2015 à Bercy, et sa révélation lors de son premier meeting à Lyon en juin 2016 : « J’ai vu Bonaparte franchissant le pont d’Arcole. Je l’admire, un peu comme mes parents admiraient de Gaulle », raconte-t-il fort sérieusement.

Le candidat a aussi mis un soin touchant à mettre en scène sur son site Web ses attaches villeurbannaises. Issue d’une famille de « sept générations de pieds-noirs », il a débarqué en métropole à huit ans. Aujourd’hui âgé de cinquante-neuf ans, il a tourné des vidéos devant tous les bâtiments de Villeurbanne qui ont marqué sa jeunesse : son école, son lycée, son église, son coiffeur, le siège de sa première entreprise… Parce qu’il habite désormais à Lyon.

On a ici un mix de toutes les vieilles méthodes avec l’opportuniste et la parachutée

La candidate LR Emmanuelle Haziza, avocate et conseillère municipale d’opposition depuis 2008, en fait d’ailleurs son premier angle d’attaque : « On a ici un mix de toutes les vieilles méthodes avec l’opportuniste et la parachutée ». Avec ses 38 % recueillies aux législatives de 2012, elle pouvait espérer l’emporter cette fois-ci, si son camp avait gagné la présidentielle. Mais aujourd’hui, elle peine à se faire entendre. Tout comme le candidat de La France insoumise, l’ingénieur Laurent Legendre : lui a davantage de chances sur le papier mais il souffre d’un manque de notoriété.

NVB soigne son profil social

Bruno Bonnell et Najat Vallaud-Belkacem peuvent avoir intérêt à une triangulaire. Mais pas la même. Que La France insoumise soit qualifiée au second tour et le candidat d’En marche pourrait l’emporter grâce aux suffrages de la droite. Si c’est la candidate LR qui passe la barre du 1er tour, l’ancienne ministre espère des reports de voix des « insoumis ».

La raison pour laquelle, elle soigne son profil social et fait feu de tout bois contre la réforme du Code du travail voulue par le chef de l’Etat : « il veut introduire le droit de licencier à très bas prix », « il s’attaque aux chômeurs, pas au chômage »… Les électeurs l’interpellent peu sur le bilan Hollande ; elle le regrette, impuissante à contrer la colère silencieuse.

Notre parti a failli, il s’est perdu dans le billard à douze bandes

Quand elle imagine l’après, Najat Vallaud-Belkacem « souhaite participer à la reconstruction du PS ». « Notre parti a failli, il s’est perdu dans le billard à douze bandes. » Elle voudrait reprendre le flambeau, avec d’autres mais en première ligne. « Je me suis fait connaître comme la porte-parole de Ségolène Royal, de François Hollande, puis du gouvernement. Une page s’est tournée, je ne suis la porte-parole de personne sauf de moi-même », dit-elle.

Encore faut-il convaincre les électeurs que le PS a toujours une utilité. Et le positionnement « constructif mais vigilant » à l’égard du chef de l’Etat n’est pas le plus simple à expliquer. En témoigne ce plaidoyer de l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve lors de son récent passage à Villeurbanne : « Voter pour des candidats socialistes, ça sert à faire réussir Emmanuel Macron, sinon il serait obligé de mener une politique de droite. » Subtil ou alambiqué ?

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