Au micro de Victoire Tuaillon, des femmes et des hommes féministes déconstruisent les mythes de la masculinité.
Des féministes qui se penchent sur la question du masculin ? C’est le boulevard emprunté par le podcast Les couilles sur la table, lancé sur Binge Audio au mois de septembre dernier. La journaliste Victoire Tuaillon y accueille des femmes et des hommes pour interroger les mythologies, les représentations, les constructions liées au fait de se définir en tant qu’homme aujourd’hui. Un jeudi sur deux, depuis une dizaine d’épisodes maintenant, Les couilles sur la table réfléchit à des choses comme « la crise de la masculinité », que les Zemmour et compagnie adorent agiter, mais aussi à des questions plus proches comme le harcèlement au travail ou les violences conjugales. Tout ça sur fond d’intellectualisation finement posée sur chaque thématique.
Victoire Tuaillon fait partie du collectif de journalistes indépendantes Les Journalopes. Elle est diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, est passée par la rédaction de France 2 et l’émission littéraire La grande librairie, puis s’est lancée dans l’effervescence du podcast avec cette idée de se pencher sur les masculinités. (Depuis, MadmoiZelle a également investi le format et le sujet avec The Boys Club.) Entrée dans le thème lors d’un échange universitaire aux Etats-Unis, où elle suit des cours au département de gender studies de sa fac, Victoire Tuaillon a vite trouvé un écho à sa lecture adolescente de King Kong Théorie, le classique de Virginie Despentes qui a « planté la graine » dans son esprit, dit-elle.
Sujet encore de niche dans le paysage féministe, la question des masculinités apparaît comme une évidence à l’écoute du podcast Les couilles sur la table. On en discute avec sa créatrice.
En quoi les masculinités sont-elles devenues un sujet en soi ?
Victoire Tuaillon – La question des masculinités, quelque part, c’est comme celle de la blanchité : c’est interroger notre regard sur le monde en prenant conscience que ce regard n’est pas neutre. Le monde est si androcentré qu’on ne réalise pas forcément qu’on pense d’un point de vue masculin. Les sciences sociales interrogent ce point de vue, mais ça met toujours du temps à infuser dans la société. C’est peut-être plus rapide dans des pays comme les Etats-Unis, où quasiment chaque fac a son département de gender studies. Ce n’est pas le cas en France.
« Masculinisme », « virilisme », « les masculinités »… Ce sont des termes qu’on n’entendait pas il y a encore quelques années.
C’est vrai, d’ailleurs il y a souvent une confusion entre ces termes. Jusqu’à maintenant, les seuls mouvements qui s’occupaient de la question des hommes étaient issus du masculinisme politique, dit de « défense du droit des pères ». Ou encore des courants mytho-politiques comme les Nouveaux Guerriers, qui disent, en gros, qu’il y a une essence masculine et qu’il faut renouer avec elle. Beaucoup d’hommes se sentent menacés, voire attaqués par le féminisme. Ils ressentent parfois le besoin de se définir en réaction à ça. Ce qui a généré ce vocabulaire nouveau.
Comment expliquer, selon toi, ces réactions de repli autour d’une vision figée de la masculinité ?
Parce que c’est difficile. Tout travail de déconstruction est difficile. Prendre conscience qu’une partie de la situation dont tu jouis dans la vie est due au simple fait d’être un homme, ce n’est pas agréable pour l’ego. Pour beaucoup d’hommes, le patriarcat est une fiction… Ces hommes-là n’aiment pas se poser de questions sur leur masculinité.
Contrairement à celles directement liées au féminisme, ces questions sont encore très absentes médiatiquement.
Il y a encore beaucoup d’incompréhension. Quand je préparais le lancement des Couilles sur la table, j’avais beau dire que j’allais parler des hommes et des masculinités, les gens ne voyaient pas de quoi j’allais bien pouvoir parler deux fois par mois – pour eux, le sujet n’était pas assez riche ! Même au sein des féministes, beaucoup restent méfiantes face à tout projet qui s’intéresse aux hommes. Vu qu’on ne parle pas assez des femmes, elles ne comprennent pas qu’on parle une nouvelle fois des hommes, même d’un autre point de vue. C’est par ailleurs un argument que j’entends.
Que vises-tu avec ce podcast ?
Je veux parler des hommes d’une autre façon, plus en tant que référent neutre et impensé, mais comme le résultat de constructions sociales. Je sens qu’il faut parler des hommes d’un point de vue féministe, en étant ni hostiles ni dogmatique, mais en considérant qu’il n’y a quasiment rien de naturel dans la masculinité, que tout ça est construit socialement et que si on veut changer notre rapport à ça, il va falloir l’interroger d’abord. Les féministes militent pour une égalité réelle entre les hommes et les femmes ; ça implique forcément des prises de conscience et des changements du côté des hommes.
Propos recueillis par Maxime de Abreu