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Non, l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière n'a pas été attaqué par des black blocs, ni dégradé

Des vidéos et témoignages recueillis par «CheckNews» infirment clairement la thèse avancée par le gouvernement d'une «attaque» de l'établissement hospitalier.
par Jacques Pezet, Pauline Moullot et Fabien Leboucq
publié le 2 mai 2019 à 15h44

Question posée par Grunnet le 02/05/2019

Vous avez été nombreux à nous interroger sur les événements de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, mercredi, alors que des manifestants se sont introduits dans l'enceinte de l'établissement. La scène a d'abord été présentée comme une «intrusion» ou une «attaque», notamment par le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner.

Une version démentie par les témoignages et les vidéos que «CheckNews» s’est procurés : des manifestants, cherchant à échapper aux gaz lacrymogènes, ont pénétré dans l’enceinte du complexe hospitalier. Quelques minutes après, fuyant les policiers, ils ont monté un escalier extérieur menant vers la sortie de secours du service de réanimation, où le personnel a fermé la porte.

A 16h20, des manifestants forcent la grille d’une entrée de l’hôpital

Pourquoi des manifestants sont-ils entrés dans l'hôpital ? Selon plusieurs témoignages recensés par «CheckNews», les manifestants ont été bloqués en remontant le boulevard de l'Hôpital en direction de la place d'Italie, où se terminait le cortège du 1er-Mai. Plusieurs personnes présentes font état de charges policières, créant la panique au milieu des manifestants. «Le camion à eau était derrière nous, des lacrymos ont commencé à être lancées. Pour échapper aux gaz, des personnes ont demandé aux vigiles de les laisser rentrer», raconte à «CheckNews» Nathalia, entrée avec les manifestants dans l'enceinte de l'hôpital.

Sur cette vidéo, publiée à 16h21 sur Twitter et filmée devant l’entrée de la faculté de médecine site Pitié- Sâlpetrière, on peut apercevoir la grille du 97, boulevard de l’Hôpital être secouée par des manifestants au fond.

«Des mecs ont commencé à pousser la grille pour que la chaîne cède, un est passé au-dessus et les a aidés. Ça s'est ouvert, on est rentrés pour se mettre à l'abri.» C'est ce que raconte aussi un journaliste du Figaro sur Twitter, dans un thread revenant sur le déroulé des faits :

Selon les SMS que Nathalia a envoyés à ce moment-là pour prévenir une amie qu’elle était à l’abri, il était 16h18. Cette chronologie est corroborée par plusieurs vidéos.

«On ne savait pas où on était, on n'a pas fait attention, il paraît que c'était à côté du Crous», précise-t-elle. Une photo postée ce jeudi par un journaliste du Huff Post corrobore cette version, puisqu'il est uniquement fait mention d'une entrée vers le Crous.

Un autre témoin précise : «On était pris en sandwich. Pas mal de gens se sont engouffrés, ils se sont assis et ont soufflé.»

Une fois la grille franchie, l'ambiance était plutôt calme, selon les témoins et les images disponibles. Nathalia raconte : «Du haut d'un étage, un infirmier nous a lancé une boîte de sérum phy.» «Des gens sans gilets partis pour essayer de sortir de l'autre côté de l'hôpital vers le métro Nationale. Mais je n'ai vu personne forcer quoi que ce soit.»

Des manifestants tentent d’entrer dans le service de réanimation

Quelques minutes après, un peu autour de 16h35, les forces de l’ordre interviennent. Des motards et des policiers arrivent par l'entrée située boulevard Vincent Auriol. Les CRS, eux, entrent au même moment par le boulevard de l'hôpital. C’est ce mouvement des forces de l'ordre qui va pousser les manifestants à chercher refuge dans un escalier extérieur menant au service de réanimation.

Pourquoi dans cette direction ? L'anesthésiste Mathieu Raux, qui finissait sa permanence quand la manif arrive devant l'hôpital, explique à «CheckNews» qu'un membre du personnel se trouvait déjà sur cette passerelle, en train de fumer : «Les manifestants se sont dirigés en courant vers une porte entrouverte, à l'arrière du bâtiment. Cette personne a vu des gens arriver, elle ferme la porte. Elle ne connaît pas leurs intentions. Ils venaient peut-être pour se protéger. Ils étaient 20 sur une plateforme en métal. Je ne préjuge de rien, on ne connaît pas leurs intentions.»

Une vidéo publiée sur Twitter par le journaliste David Dufresne permet de voir les manifestants monter les escaliers de la passerelle pour fuir l’intervention des policiers. On voit très clairement les forces de l’ordre prendre en tenaille les manifestants.

Mieux, une vidéo prise de l'intérieur du service de réanimation montre les manifestants tenter d'y pénétrer. On y voit seulement l'un d'eux essayer de forcer la porte, au début de la scène, dissuadé par le personnel hospitalier. Puis un homme plus âgé, vers la fin, qui sera lui aussi repoussé par le personnel soignant, mais aussi par deux autres manifestants. La scène dure deux minutes et infirme totalement la thèse de l'attaque. On entend d'ailleurs distinctement un membre du personnel dire : «Ils ont pris peur, ils ont juste pris peur», alors qu'un autre lui répond : «Oui, ils [les policiers] les ont pris en tenaille.» On entend aussi : «Ils ne savaient pas [que c'était le service de réanimation] ils ont juste cherché une issue possible.»

Ces images montrent par ailleurs des manifestants non masqués, de tous âges, infirmant, là encore, la version qui avait largement circulé hier, selon laquelle il s’agissait de black blocs.

Du matériel a-t-il été dégradé ?

On a pu comprendre qu'au cours de l'«attaque», des destructions avaient eu cours dans l'hôpital. Ainsi, interrogé par BFM le matin du 2 mai, le professeur Mathieu Raux s'alarme : «On a eu à déplorer deux heures [après l'entrée des manifestants dans la cour], la perte de l'ensemble du matériel, vandalisé, du service informatique du service de chirurgie digestive.» Contacté par «CheckNews», Mathieu Raux évoque la «vandalisation» d'une salle où les chirurgiens du service chirurgie abdominale ont l'habitude de se réunir. Ce service occupe tout le deuxième étage du bâtiment Cordier. La salle où se retrouvent les équipes – et qui aurait été vandalisée – est au nord, à l'opposé de l'entrée du service de réanimation par laquelle des manifestants ont essayé de rentrer.

«Je n'ai pas la preuve que des services ont été vandalisés», tempérait pour sa part, dès le soir du 1er Mai, la ministre de la santé Agnès Buzyn.

Fabrice Ménégaux, chirurgien du service, nuance auprès de «CheckNews» les propos alarmistes de son confrère : «Jusqu'en début d'après-midi, une thésarde occupait la salle en question. A 18 heures, un chirurgien est venu dans la salle.» Il constate qu'un vidéoprojecteur a été arraché du faux plafond. Le vol est donc intervenu entre le début d'après-midi et le soir – et rien ne permet pour l'heure d'affirmer qu'il s'est déroulé au moment où les manifestants étaient présents dans la cour. Ainsi, le docteur Ménégaux répète : «Ne pas faire de lien entre la présence des manifestants et la disparition du vidéoprojecteur.» Il ajoute que durant la durée où des manifestants se trouvaient dans la cour (de 16h18 à 16h45), «la présence de personnes étrangères au service n'a pas été constatée» au deuxième étage du bâtiment Cordier. «A ce stade, aucun lien ne peut être fait entre l'intrusion des manifestants et ce vol», confirme par ailleurs un mail interne envoyé aux personnels de l'AP-HP.

Par ailleurs, quand un journaliste de LCI rapporte qu'à la veille de la manifestation, «deux étages du bâtiment de cardiologie de la Pitié ont été entièrement dégradés avec plusieurs dizaines de tags anarchistes, injurieux, racistes et en soutien aux gilets jaunes», des personnes ont pu y voir un lien avec la manif.

Plusieurs sources internes à l'AP-HP précisent que des «incivilités» ont bien eu lieu, dans la nuit du 30 avril au 1er mai. «Mais elles n'ont rien à voir avec la manif», soufflent de concert nos interlocuteurs. Selon Mathieu Raux, il s'agirait d'un SDF en état d'ébriété. Le service en question, où des tags ont bien été constatés, se trouve par ailleurs loin du bâtiment Cordier, près du métro Chevaleret, sur le boulevard Vincent-Auriol.

32 interpellations et gardes à vue

Selon la préfecture de police de Paris, le 1er mai «à 16h45, 32 interpellations ont été réalisées pour intrusion et dégration à l'intérieur de l'hôpital». Ces 32 personnes avaient été placées en garde à vue jeudi matin, selon le parquet, pour «participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences». En début de soirée, jeudi, le parquet a indiqué à CheckNews que les 32 gardes à vue avaient été levées.

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