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Prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu : les agents de Bercy s'inquiètent
A 6 mois du prélèvement à la source, le ministère de l'Economie semble toujours patauger quelque peu, inquiètant jusqu'à ses propres agents…

Prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu : les agents de Bercy s'inquiètent

Pas prêts !

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Le 1er janvier 2019, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu entrera en vigueur. Mais à moins de six mois de cette révolution, les agents des finances publiques, qui seront chargés de la mettre en œuvre, pointent leur propre manque de préparation et les improvisations du gouvernement.

Le compte à rebours final a commencé. Après avoir été reporté d'un an, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu s'apprête à entrer en vigueur dans moins de six mois, au 1er janvier 2019. Concrètement, vos impôts seront désormais directement piochés sur vos fiches de paie. Dès la fin du mois d'août, la réception de votre fiche d'imposition devrait vous rappeler l'échéance et vous informer de votre taux de prélèvement.

Plus rien ne semble donc pouvoir perturber le lancement de ce que le gouvernement fait valoir comme une révolution fiscale. Mais les syndicats des agents des finances publiques (DGFIP), qui seront chargés de la mise en place du dispositif, s'inquiètent du "bazar" en vue. Selon eux, de nombreux cas complexes n'auraient pas été anticipés et beaucoup de questions restent actuellement sans réponse, même pour eux qui devront répondre aux inquiétudes des contribuables en détresse…

Le "flou artistique" de la formation des agents

Au total, 40.000 agents du fisc ont été formés par Bercy pour répondre aux personnes éprouvant des difficultés avec le changement de système. Ces agents sont répartis entre les guichets des centres d'impôts et les centres d'appel du numéro d'assistance créé pour l'occasion. Sont-ils prêts ? "Du point de vue de la technique, de l'échange des informations entre les entreprises et l'administration fiscale, tout semble au point, relève Sandra Demarcq, syndicaliste Solidaires Finances publiques. Mais du côté des agents et des moyens mis à leur disposition pour aider les contribuables dans leurs difficultés ou leur incompréhension du système, c'est autre chose...".

La syndicaliste, qui est aussi fonctionnaire dans un centre des finances publiques de la région parisienne, a pu elle-même participer à ces formations. Elle y a constaté un certain "flou artistique", nous dit-elle. "Les formateurs nous ont dit d'emblée de ne pas trop poser de questions compliquées, tout simplement parce qu'ils n'avaient pas toutes les réponses", détaille-t-elle. Bien sûr, le cadre de cette évolution est clair et connu : en fonction de vos revenus, un taux vous est communiqué. Et chaque mois, votre employeur collectera, en fonction de ce taux, l'impôt directement sur vos revenus pour transmettre la somme aux services fiscaux. Le problème n'est pas là : ce qui risque de poser problème, ce sont les cas complexes, par exemple les personnes disposant de sources de revenu multiples.

"A partir du moment où nous devrons examiner des cas atypiques de personnes qui mélangent plusieurs catégories, ça va se gâter, confirme à Marianne Olivier Vadebout, secrétaire général de la CGT Finances publiques. Imaginons qu'une personne soit intermittente du spectacle, qu'elle fasse quelques heures de ménage et qu'elle bénéficie d'un crédit d'impôt pour l'embauche d'une nounou… Ce sera difficile de lui dire ce qu'il va se passer pour elle".

"Il va bien nous falloir une année ou deux pour pouvoir rôder tous les cas de figure possible"

D'autres zones d'ombre subsistent. Comment seront appliquées les différentes réductions d'impôt (pour des travaux énergétiques, de l'investissement locatif…), qui étaient jusqu'ici mensualisables ? Et quid des revenus perçus à l'étranger ou des revenus fonciers ? Qui collectera, et de quelle manière, les revenus issus des rentes ? Autant de questions pour lesquelles les agents du fisc n'ont que peu de réponses à l'heure actuelle. "Toutes les instructions fiscales sont publiées", se défend Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics, auprès du Parisien. Ce que contestent les agents.

"Pour le moment, on ne se base que sur nos propres suppositions, nous confie François-Xavier Ferrucci, secrétaire général de Solidaires Finances publiques. Mais quand la vague de sollicitations viendra, quand les contribuables nous poseront des questions claires, notamment sur le calcul du taux, j'espère que nous disposerons d'éléments concrets". Des annonces ont pourtant été faites par le gouvernement afin de rassurer les contribuables et de clarifier cette évolution du système. Comme le report d'une année du prélèvement à la source pour les employés à domicile, ou le fait que leurs employeurs bénéficieront d'un acompte de 30% de leur crédit d'impôt "service à la personne" dès le mois de janvier 2019 plutôt qu'en mars, comme initialement prévu. Une possibilité étendue aux personnes vivant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

"C'est tout le problème, s'offusque Sandra Demarcq. Nous découvrons dans la presse les modifications à l'étude ou apportées au système, avant même de recevoir la note de Bercy nous expliquant les règles du jeu… Et on sent bien que tout est improvisé et précipité pour calmer une gronde". Exemple le plus criant : la rumeur d'une année blanche accordée aux employés à domicile. "Rien n'est arrêté à quelques mois du lancement, on le voit bien", regrette-t-elle. Conséquence : les agents fiscaux, dont les effectifs sont sans cesse revus à la baisse, se sentent "démunis" en plus d'être mis en difficulté par la "complexification" du système.

Dans ces conditions, l’argument du choc de simplification fait bien rire dans les couloirs de Bercy… Pour eux comme pour les contribuables, ils craignent plutôt l'inverse : "On risque de se perdre dans les détails. Il va bien nous falloir une année ou deux pour pouvoir rôder tous les cas de figure possibles, estime Olivier Vadebout, inquiet de la capacité des équipes à affronter le lancement du nouveau mécanisme. En quinze ans, nous avons perdu plus de 35.000 agents dans de nombreuses réductions d'effectif. Alors même avec un système que l'on maîtriserait, nous ne pourrions pas répondre à toutes les attentes. Alors avec un système bien plus complexe et aux nombreuses inconnues, difficile d'être optimiste…".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne