La plupart des médecins des Bleuts demandent à sortir du giron de l’association pour rejoindre une autre structure hostpitalière comme Trousseau, qui jouxte leur immeuble.

La CGT, qui gère Les Bluets à travers l'association Ambroise Croizat, a déclenché une fronde au sein de l'hôpital en mettant en oeuvre un plan social '"au rabais" et sans concertation.

NS

Des salariés qui soutiennent la DRH et la direction contre un syndicat, un directeur suspendu de ses fonctions pour avoir refusé de porter le plan social... Le conflit qui anime la célèbre maternité parisienne des Bluets depuis la mi-septembre n'est pas banal. Signe particulier, cette pionnière de l'"accouchement sans douleur" est la propriété historique de la fédération CGT des métallos, qui la gère à travers l'association Ambroise Croizat *, avec trois autres centres de rééducation prioritaires (CRP). Créé en 1937, le dispensaire des métallurgistes est devenu la maternité des Bluets, restée dans le giron de la centrale depuis.

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Ecoutez Nathalie Samson, sur son enquête à la clinique des Bluets, et les relations orageuses du personnel de la maternité avec son "actionnaire", la CGT (sur SoundCloud).

Entre l'hôpital et son "actionnaire", la guerre est déclarée. Le 18 septembre, le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) déclenché par l'association de tutelle sur fond de crise financière est mis en oeuvre sans concertation. La méthode est brutale. "La DRH a découvert que son poste était supprimé dans le projet de réorganisation qu'elle devait envoyer aux instances représentatives du personnel", relate Virginie Gossez, sage-femme aux Bluets et déléguée syndicale Sud Santé. La représentante locale de la CGT elle-même dénonce les mesures "unilatérales" décidées par la maison-mère.

"Dans ses combats contre les plans sociaux, la CGT demande toujours des PSE basés sur un accord d'entreprise, relève un cadre administratif. Elle ne l'a pas fait ici. C'est contre ses valeurs fondamentales de faire un tel forcing." Les conditions présentées aux volontaires au départ ne sont en outre pas folichonnes : trois mois de salaire d'indemnités en plus des indemnités légales. "On pourrait espérer que la CGT fasse a minima ce qu'elle réclame ailleurs", s'étonne un cadre.

Un dialogue social catastrophique

Ce 11 octobre, à 13 heures, le calme règne au 4, rue Lasson, dans le XIIe arrondissement de Paris. Les visites ne sont autorisées qu'à partir de 15 heures.

Deux étages plus bas, le personnel s'entasse dans la salle polyvalente, trop petite pour une telle affluence. Une réunion d'information est organisée par un médiateur, qui doit rétablir la communication entre les différentes parties. A son côté, deux représentants de l'association Ambroise Croizat, la directrice générale Jacqueline Garcia, fraîchement nommée, et le président du conseil d'administration, Yves Audvard, "exceptionnellement venu du Limousin et qui donne de son temps à l'association". Sont aussi présents deux conciliateurs, appelés à la rescousse par la tutelle il y a un an.

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Personnel soignant, du bloc opératoire, administratif, sages-femmes, médecins spécialisés en PMA, pédiatres, gynécologues, pharmacienne... la diversité des métiers de l'hôpital est bien représentée. La DRH et le directeur, qui n'a pas encore appris son éviction, sont assis eux aussi sur les chaises disposées en rang. Les visages sont fermés, la tension est palpable.

Le déficit de l'hôpital a explosé au cours des deux dernières années, pour atteindre près de 1,8 million d'euros en 2017. L'association n'a pas payé ses cotisations sociales pendant quelques mois. En 2018, la situation était en passe de s'améliorer. Mais l'Agence régionale de santé (ARS) souhaite supprimer une partie des subventions, à hauteur de quelque trois millions d'euros, et sans cette perfusion, les comptes plongent dans le rouge.

Depuis septembre, le dossier est entre les mains du Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle), qui, à Bercy, cherche une solution de sauvetage avec les différents créanciers, banques, bailleurs, Urssaf.... S'il veut échapper au redressement judiciaire, l'hôpital doit mettre en oeuvre un plan de retour à l'équilibre. Un accord "consensuel" avec les salariés doit être trouvé d'ici mi-décembre.

Pour regagner de la trésorerie rapidement et sortir de l'ornière, à court terme du moins, l'association a dégainé un plan social pour ses trois établissements parisiens, Les Bluets et deux CRP. Des mutualisations sont prévues - "la tarte à la crème", peste un cadre. 35 postes sont supprimés, dont 15 aux Bluets, sur les 203 CDI qui y travaillent. Elle aurait dit à l'ARS avoir l'accord du personnel, mais c'est loin d'être le cas. D'où la fronde.

Bluets chaises vides ne pas réutiliser

L'association Ambroise Croizat a convoqué le personnel des Bluets le 15 octobre pour leur présenter le successeur de Pacal Bénard, limogé le 12 octobre. Elle a été boycottée.

© / L'Express

Soucieuse de "rétablir un climat social respectueux et apaisé", l'autorité de santé a nommé un médiateur, Dominique-Jean Chertier, qui avait oeuvré lors du conflit à Radio France. Sa mission : "Déterminer si ça vaut le coup de mettre de l'argent dans la timbale ou si on va dans le mur", résume-t-il abruptement face au personnel, précisant que le renflouement des caisses passera par le rétablissement du dialogue social. Pas gagné. La veille, la commission médicale de l'établissement, garante du fonctionnement médical, a demandé le retrait du PSE, "face au risque sanitaire qu'il fait courir", et la mise sous mandat administratif provisoire de l'hôpital.

"On vire, mais on ne prévoit rien derrière"

Les salariés dénoncent la suppression de postes clés pour la bonne marche des soins. Un chef de service technique serait sur la sellette, sous couvert d'une mutualisation. "Mais on a besoin de lui tout le temps pour le bloc opératoire, avec tous ces équipements médicaux qu'il faut pouvoir réparer, faire dépanner ou remplacer rapidement par le fournisseur, déplore Michel Heisert, médecin-chef de l'établissement. On ne va pas attendre que quelqu'un qui n'a aucune connaissance de l'hôpital se déplace d'un CRP !"

Qui a défini la liste des licenciements ? Bizarrement, les membres de l'association Ambroise Croizat, qui ont transmis le plan social, semblent parfois en découvrir les contours. Interpellée sur la suppression du poste de coordinatrice des soins par les soignants, sa nouvelle directrice, Jacqueline Garcia, a avoué sa surprise lors de la réunion d'information. "On s'est interdit de toucher au coeur de métier. On n'en a pas les compétences. D'autant que c'est l'ARS qui avait demandé la création du poste." "De ce que j'en savais, on ne touchait pas à la sécurité et à la qualité des soins", renchérit Yves Audvard, décontenancé.

Des fonctions essentielles seraient amenées à disparaître. Sans plan B. "Nous sommes opposés à ce PSE, car nous allons perdre des compétences spécifiques et essentielles au bon fonctionnement de l'hôpital, les problèmes de recrutement seront aggravés et la situation financière dans quelques mois ne sera pas améliorée, prévoit Michel Heisert. On ne comprend pas que l'ARS soit prête à renflouer de nouveau les caisses alors que ce plan n'est pas satisfaisant."

Un personnel en souffrance

Depuis l'annonce, les arrêts maladie auraient bondi. La médecine du travail a émis une alerte. Une cellule d'écoute a été mise en place par la direction. "Les gens vont mal, souffle l'ostéopathe Anne Cornetet. "On ne dort plus, on y pense tout le temps. Va-t-on revivre la même chose qu'en 2016 ?" s'interroge un soignant.

Ce n'est en effet pas la première crise que traverse la maternité. Il y a deux ans, déjà, le limogeage sans explication du directeur par l'association de tutelle avait profondément ébranlé les troupes. A l'époque, son licenciement entraîne une hémorragie massive du personnel. Dans la foulée, la Haute Autorité de santé (HAS) retire sa certification à l'établissement, qui réalise 3000 accouchements par an. Il garde finalement le droit d'exercer, mais des patientes ont pris la fuite. L'activité chute, creusant encore les pertes.

Cette crise a coûté cher et pèse encore sur les comptes. Le comité de direction a été décimé, des médecins sont partis... Des départs lourds en indemnités, en frais de prud'hommes et qu'il faut remplacer en faisant appel à des consultants spécialisés, qui facturent 15 à 20 000 euros par recrutement.

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Depuis, l'hôpital s'est redressé. "Comme de nombreux établissements de santé, les Bluets sont en difficulté, mais nos efforts ont été récompensés. Les charges salariales sont maîtrisées. On attend notre rapport de certification - passé brillamment en juin ! - et, grâce aux économies réalisées, le déficit devrait être moins important en 2018. Sans la baisse des subventions ARS, on devrait tendre vers l'équilibre des comptes, à moins 200 ou 300 000 euros", se félicitait Pascal Bénard, le directeur général, alors qu'il était encore en poste.

Pour cet homme, passé par le privé et diplômé d'HEC, la recherche d'économies n'est pas un tabou. Il souhaitait surtout s'attaquer aux accords d'entreprise. Trop pour la CGT, qui a combattu la loi El Khomri ? "L'association voulait un accord global d'établissement, beaucoup plus compliqué à mettre en oeuvre, car les accords en vigueur sont très différents à l'hôpital et dans les centres de rééducation prioritaires. Conclusion, rien n'a été fait. On a perdu du temps."

"Un interventionnisme autoritaire, brutal"

Lors des comités de direction du groupe, l'hôpital peine à obtenir gain de cause sur des problématiques sanitaires spécifiques, que l'association connaît mal. Elle aurait voulu inciter la direction à s'équiper d'un échographe ne convenant pas aux médecins.

"Elle a nommé en tant que responsable du service des travaux de maintenance de ses établissements une personne sans expérience de l'hôpital, qui présente pourtant des spécificités techniques particulières, accuse Pascal Bénard. On a des obligations légales. Le traitement de l'air dans un bloc opératoire, c'est plus technique que dans une salle de classe."

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Au sein de l'association Ambroise Croizat elle-même, la vie n'est guère plus rose. Le 20 mars dernier, cinq membres du bureau en claquent violemment la porte. Dans un courrier au vitriol, ils dénoncent le manque d'organisation et de transparence de leur "camarade", Anissa Chibane, directrice générale à l'époque, écartée depuis.

Ils s'inquiètent de ne pas avoir des chiffres essentiels lors des comités de direction. Un cégétiste qui tient à garder l'anonymat dénonce la main de fer de l'association sur l'hôpital : "Il fallait que tout passe par elle (Anissa Chibane). Elle voulait avoir le dernier mot sur tout. On ne peut pas nommer un professionnel et se mêler sans arrêt du fonctionnement de la maternité qu'il dirige sur des questions telles que l'accueil des mamans... Il est compétent ou il ne l'est pas."

Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) commandé par la ministre de la Santé du gouvernement Valls, Marisol Tourraine, après la crise de 2016, étrille la direction de l'association. Les auteurs parlent de "défaillance de la gouvernance des Bluets [par l'association Ambroise Croizat]". Cette dernière a "échoué dans le pilotage de ses missions, écrivent-ils. [Son] management oscille entre une méconnaissance des contraintes métiers d'un hôpital et un interventionnisme autoritaire, brutal." Selon eux, il ne s'agit pas d'un phénomène passager. "Les causes profondes de la crise sont systémiques et il est vraisemblable que les nouveaux acteurs recrutés récemment se heurteront aux mêmes obstacles si les conditions ne changent pas."

La recherche d'une solution pérenne

Une grande partie du personnel estime qu'ils avaient vu juste. "Si l'ARS donne encore sa chance à une équipe comme ça, on est morts dans quelques années, constate deux ans après une gynécologue... On veut une solution pérenne."

"L'association a ses propres objectifs, les déficits ne sont pas un souci pour elle, disait il y a une semaine Pascal Bénard. Dès qu'elle fait un courrier, elle paie un consultant car elle ne sait rien faire par elle-même et dès qu'il manque des sous, elle dit que c'est la faute du gouvernement qui serre la vis. Moi, je n'ai pas la prétention de changer le système de financement de la santé en France." Sous-entendu, le syndicat mène des combats politiques.

maternité Bluets ne pas réutiliser

La maternité des Bluets réalise plus de 3000 accouchements par an, une FIV sur cinq à Paris et dispose d'un planning familial reconnu.

© / NS

La plupart des médecins demandent à sortir du giron associatif. "Un hôpital fonctionnant sur une activité monothématique mal rémunérée, comme la santé de la femme, ne peut pas tenir, estime le docteur Michel Heisert. Un rapprochement avec une autre structure comme Trousseau permettrait de mutualiser les ressources humaines et, par exemple, de pallier les difficultés de recrutement des médecins tels que les anesthésistes ou pédiatres."

Cette piste était déjà ouverte en 2016 par l'Igas, qui proposait d'"adosser les Bluets à un autre établissement ou service. Une option que la dette, commune avec les deux CRP, rendrait difficile à réaliser. L'association tient par ailleurs à ce qu'elle appelle "son bijou", soupire un médecin.

Les autorités de santé ont demandé aux équipes de plancher sur des projets. "Des idées nouvelles, il y en a, mais on ne peut pas les mettre en oeuvre avec les coupes du PSE, réplique la pédiatre, Florence Minier. Ça demande une réorganisation des soins. Les compétences nécessaires sont importantes en ressources humaines et en logistique. Le travail à l'hôpital est spécialisé et nécessite un complément de formation pour des personnes venant d'un autre secteur et donc à travers la mutualisation." "On a plein de projets en PMA, en préparation à la naissance... Mais aujourd'hui, on est suspendus à la décision", déplore un médecin. Contacté, le ministère de la Santé dit ne pas avoir suivi le dossier.

"Si l'association s'était penchée sur la situation avant, on n'en serait pas là, a reproché le médiateur lors de son entrevue avec les équipes. Il aurait fallu tirer la sonnette d'alarme." "Ça fait des années qu'on le fait, mais on n'est pas associés à la gouvernance !" lui a rétorqué un membre de l'équipe de santé. "Il aurait fallu tirer plus fort", a répondu le médiateur, du tac au tac. En manifestant sous les fenêtres du ministère, par exemple ?

* Contactée, l'association Ambroise Croizat n'a pas répondu à notre demande d'entretien.

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