L'eurodéputée allemande Julia Reda, membre du Parti Pirate.

L'eurodéputée allemande Julia Reda, membre du Parti Pirate.

flickr/juliareda

Depuis mi-janvier, l'exception culturelle française s'est trouvée une nouvelle ennemie. Elle a 28 ans et s'appelle Julia Reda. Cette députée allemande au Parlement européen a remis un projet de rapport très controversé sur le droit d'auteur, devant servir de base à la grande réforme du droit d'auteur qui doit être proposée par le commissaire européen à l'économie numérique Günther Öttinger en septembre 2015. La dernière réforme date de 2001, avant la création de YouTube ou Facebook. Le rapport a été inondé par un déluge de 550 amendements, et fait l'objet d'un lobbying de première classe.

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La France fait figure d'adversaire le plus offensif au projet de résolution Reda, qui sera soumis au vote en mai. Gouvernement, eurodéputés, ayants droit sont furieux. "Les députés européens français se distinguent de leurs collègues européens sur la question du droit d'auteur par leur ralliement pour le non changement", tacle Julia Reda sur son site, ajoutant que l'influence du gouvernement français à Bruxelles, sur le sujet, est "palpable". "La mobilisation de nos partenaires européens à nos côtés montre bien qu'il ne s'agit pas d'une position chauvine", s'est défendue la ministre de la Culture Fleur Pellerin, lors de la signature de la charte des bonnes pratiques dans la pub en ligne contre le piratage.

Il n'y a pourtant pas, dans ce que propose la résolution, de mesure explosive pour le marché français. Si la situation est si tendue, c'est que le secteur anticipe déjà le coup d'après : le marché unique numérique, qui emporterait avec lui une harmonisation - par le bas, présume le secteur - des standards de protection. Voici ce qui pose problème.

Ce qui est dans le rapport...

  • Aligner à 50 ans la durée de protection des droits

Le rapport propose que les droits soient protégés pendant 50 ans (post mortem pour les auteurs, à partir de l'enregistrement ou de l'interprétation pour les producteurs et les interprètes), au lieu de 70 ans actuellement en Europe. La France y perdrait encore davantage, car elle applique des bonus dans certains cas. C'est ainsi que Le Petit Prince est tombé dans le domaine public en Europe le 1 janvier dernier, sauf en France car Saint-Exupéry est mort pour la France, ce qui offre une rallonge de 30 ans à ses héritiers.

  • Rendre obligatoire les exceptions au droit d'auteur optionnelles

Le rapport propose de rendre obligatoire les exceptions aujourd'hui facultatives. Une exception au droit d'auteur (ex : droit à la citation, à la parodie, copie privée), c'est un cas particulier dans lequel une oeuvre peut être "exploitée" sans avoir à négocier directement avec ses ayants droit, parfois en échange d'une compensation forfaitaire. Cela ne changerait pas grand-chose pour la France, qui les applique déjà et dans des conditions plus favorables aux auteurs qu'ailleurs (la rémunération pour copie privée, par exemple, est élevée en France). Mais les ayants droit défendent une position de principe. "Une exception dépossède l'auteur de son droit exclusif. C'est une expropriation, décode Hervé Rony, de la Scam. Pour les démultiplier, il faut prouver qu'il y a un problème d'exploitation. Or, le rapport ne le fait pas."

  • Créer de nouvelles exceptions au droit d'auteur

Le rapport propose de créer de nouveaux droits adaptés aux nouveaux usages : droit de publier des photos ou des vidéos sur internet comportant la représentation d'une oeuvre d'art ou d'un monument (normalement, c'est interdit sans demander l'accord à l'artiste ou à l'architecte), prêt de livres numériques dans les bibliothèques, extension du droit de citation aux GIF animés...

  • Faire disparaître la territorialité

C'est un des points les plus critiques. Julia Reda souhaiterait que les droits se négocient au niveau européen, et non plus national. Pour l'audiovisuel, cela signifierait la remise en cause des fenêtres de chronologie des médias, différentes selon les pays. Ce qui déstabiliserait le système de financement du secteur.

...Moins important que ce qui n'y figure pas

  • Un rapport signé du Parti Pirate

Julia Reda est membre du Parti Pirate allemand, et rien que pour cette raison, cette résolution est mal partie. "Julia Reda a une vision qui vient du Parti Pirate, qui ne se positionne que par rapport à l'accessibilité de l'oeuvre. Elle est totalement étrangère à la préservation de la chaîne de valeur", estime Hervé Rony. Ayants droit et officiels français voient dans l'empreinte du Parti Pirate la volonté de placer le consommateur au centre, et plus l'équilibre de la filière. "Il ne faut pas la diaboliser mais en même temps, il ne faut pas être dupe : il y a une volonté extrêmement ferme de changer de paradigme", résume-t-il.

  • Rien sur le piratage

Le monde de la culture ne supporte pas que l'on puisse produire un rapport sur le droit d'auteur sans traiter de son adversaire le plus dangereux à ses yeux, le piratage. Dans une note, la France souligne qu'il vaudrait mieux mettre l'accent sur la "régulation des plateformes" et la lutte contre la "contrefaçon commerciale".

  • Rien sur les GAFA

Deuxième bête noire de la culture après le piratage, les "GAFA" (Google, Apple, Facebook, Amazon...). Le projet de Bruxelles, en voulant créer un marché unique, aboutirait paradoxalement à renforcer la domination américaine. Cet argument fait partie des éléments de langage repris par tous les adversaires de la réforme.

"On ne va tout de même pas affaiblir la richesse culturelle de l'Europe pour faire plaisir à des tuyaux !", s'emporte Jean-Marie Cavada, député européen en pointe dans le combat contre le rapport Reda. "L'économie européenne s'est déjà faite siphonner son industrie des télécoms. La prochaine bataille aura lieu sur les contenus", prévient Pervenche Beres, eurodéputée socialiste, fondatrice de l'Intergroupe Industries culturelles au Parlement européen, contactée par L'Express. "Cela aboutira à renforcer (...) les géants du Net qui bénéficient d'une hyper-bienveillance de la Commission puisqu'on accepte qu'ils payent des impôts au rabais et qu'ils contournent toutes les règles de soutien au financement et à l'exposition des oeuvres européennes", écrit le réalisateur Bertrand Tavernier sur le site Euractiv. "Cette résolution veut favoriser les 'GAFA'. Ce qui se passe à Bruxelles est immonde", nous affirme Pascal Rogard, de la SACD.

  • Créer le rapport de force pour la négociation sur le marché unique numérique

La combat autour du rapport n'est qu'un tour de chauffe, pour compter les forces en présence avant l'offensive du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sur le marché unique numérique. "L'Europe ne pourra pas être à l'avant-garde de la révolution numérique si 28 réglementations différentes continuent à coexister dans le domaine des services de télécommunications, des droits d'auteur, de la sécurité informatique ou de la protection des données", a déclaré Günther Öttinger le 25 mars.

"Le rapport Reda va donner le 'la' de la réforme, explique Hervé Rony. Ma conviction, c'est qu'il faudrait des dérogations au marché unique pour la culture, mais il est sans doute trop tard." "Le rapport ouvre le débat et crée le rapport de forces. Le vote influencera l'initiative législative et donnera une idée de ce qui se passera", conclut Pervenche Berès.




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