1960. des débuts audacieux dans le taxi parisien

" André Rousselet se découvre des talents d'homme d'affaires sur le tard, et presque par défaut. En 1958, à 36 ans, il est bien obligé de mettre provisoirement un terme à ses ambitions politiques. Sous le gouvernement Guy Mollet, il a suivi, comme chef de cabinet, François Mitterrand au ministère de la Justice. Mais, avec le retour de De Gaulle, presque tous les membres des ministères socialistes quittent les palais nationaux. La chute est dure. En raison du mitterrandisme affiché d'André Rousselet, Michel Debré lui oppose un refus catégorique à sa demande de promotion au grade de préfet - il avait été nommé sous-préfet hors classe le 19 mars 1957. Toujours en raison de sa fidélité à François Mitterrand, la candidature d'André Rousselet à la direction des Abattoirs de la Villette tombe elle aussi rapidement aux oubliettes. [...] Excédé par cette affaire, en 1958, il préfère en finir une bonne fois avec l'administration et se met en disponibilité le l8 octobre. Il est au pied du mur. Refusant de terminer sa carrière comme un obscur sous-chef des bureaux de tabac au ministère de l'Intérieur, André Rousselet préfère donc tenter sa chance dans le privé. Paradoxalement, c'est la droite qui va lui donner l'occasion de se révéler être un homme d'affaires. Il démarre petit. Pour la première fois de sa vie, André Rousselet a recours aux petites annonces pour trouver un emploi. C'est par ce biais qu'il devient adjoint au chef du service des relations extérieures de Simca. Tout un symbole. En 1958, la firme automobile est dirigée d'une main de fer par Henri-Théodore Pigozzi.

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[...]

Trop à l'étroit dans sa modeste besogne, André Rousselet s'ennuie rapidement. Il suggère au délégué général du groupe, Yvan Labry, de prendre la direction générale de la G7, la société de taxis qui connaît de graves difficultés financières. " Je m'entends répondre : "Mais vous n'y pensez pas. Vous n'avez jamais dirigé d'entreprise et, qui plus est, la G7 perd déjà plus de 150 millions de francs" ", raconte André Rousselet. Il est un peu vexé, mais ne perd pas espoir. " Peu de temps après, j'apprends que Henri-Théodore Pigozzi veut se séparer du garage de l'avenue de Wagram pour le vendre à la Fnac. A l'époque, les sociétés de taxis comprenaient à la fois une société immobilière (le garage) et une société d'exploitation (les taxis). Or il était impossible de céder la société immobilière si elle n'avait pas cinq ans d'activité avec la même société d'exploitation des taxis, explique André Rousselet. Ce délai de cinq ans n'était pas terminé et Pigozzi était donc encombré de 150 taxis dont il ne savait pas quoi faire ", ajoute-t-il. De plus, en 1960, les licences ne s'achetaient pas à l'unité, mais en bloc. Il faudra attendre le décret du 1er mars 1973 pour que les licences de taxis puissent être cédées une à une et prennent une valeur bien plus importante. " Il m'est venu une idée machiavélique que j'ai soumise à Pigozzi, par l'intermédiaire de son conseiller fiscal, Léon Constantin. Je lui ai dit que je pouvais rendre service à Pigozzi. N'ayant moi-même pas d'argent, j'ai proposé que Simca me vende des actions G7 que Pigozzi s'engage à me racheter plus tard, quand le délai des cinq ans sera révolu ", souligne André Rousselet. " Si vous êtes si intelligent, allez-y ", lui aurait lancé le président de la firme automobile. L'accord est conclu en 1960 et le prix de l'action, fixé à 90 francs. Pour financer cette opération basée sur un nantissement d'actions, André Rousselet, fort d'une lettre de garantie de Simca, trouve sans difficultés un banquier, la Générale occidentale - qui sera plus tard reprise par Gilberte Beaud -, qui prête, pour une période de trois ans, de l'argent à Henri-Théodore Pigozzi. " A l'époque, aucun banquier ne m'aurait prêté d'argent ; en revanche, à Pigozzi, ça ne posait pas de problème ", explique André Rousselet, qui finance, en nom propre, près de 20 % de l'opération. Ce prêt aurait atteint 1 million de francs. André Rousselet mène cette première opération seul, sans associés.

L'ami de François Mitterrand se retrouve ainsi, du jour au lendemain, à la tête de 150 taxis. Il a également signé dans son contrat une clause de " revolving ", qui lui permettra de renouveler une fois la même opération. Une nouvelle aventure démarre. André Rousselet doit immédiatement trouver un garage où loger ces 150 taxis. A l'époque, chaque véhicule rentre le soir au garage ; les chauffeurs les récupèrent le lendemain. Un vaste local convient tout à fait à Villejuif. Le nouveau patron d'entreprise recrute un peu de personnel. Le moins possible : son objectif est d'arriver à rentabiliser cette structure. Là où la G7 employait six personnes, il n'en prend que trois. " Tout le monde devient un peu homme-orchestre, il n'y a plus un seul salarié destiné à s'occuper de l'huile, un autre pour vérifier les pneus. Cette nouvelle politique démontre que l'on peut fonctionner. Certains anciens de la G7 avaient le feu sacré et voulaient montrer que ça marcherait mieux que leur précédente maison. Au point que certains venaient le dimanche pour repeindre les locaux. C'est ainsi que mon bureau a été repeint dans un vert épouvantable ", raconte André Rousselet. Ce nouveau métier l'intéresse. Joueur dans l'âme et aimant parier sur ce qui n'est pas gagné d'avance, il fait jouer la clause de revolving et gère 150 nouveaux taxis. André Rousselet trouve cette fois-ci un garage dans le XVe arrondissement de Paris, rue d'Alleray, et commence à mettre en place des formules originales pour mettre le plus de voitures possible dans le minimum d'espace. Selon un schéma aujourd'hui répandu dans les gares ou les aéroports, il invente les garages sans places de parking attitrées, dans lesquels les chauffeurs sont en file indienne dans leur voiture et ne stationnent jamais longtemps. Juste le temps de prendre de l'essence ou de vérifier les pneus. André Rousselet, alors perclus de dettes après l'acquisition de ses garages à Levallois et rue d'Alleray, rencontre un avocat d'Alger très astucieux, Fernand Serfati. Ce pied-noir doté d'un sens inné des affaires propose très vite à André Rousselet de s'associer avec lui, d'effacer ses dettes et d'envisager de concert le rachat de l'ensemble de la G7. " En 1962, j'ai proposé toutes mes sociétés données en garantie contre une offre d'achat de toute la G7 ", affirme André Rousselet. Cette offre a été entérinée par Henri-Théodore Pigozzi, qui souhaitait se débarrasser de la société de taxis.

Pour la première fois, André Rousselet s'allie à des partenaires pour financer cette opération. Fernand Serfati a de son côté regroupé les intérêts financiers de plusieurs familles de rapatriés d'Algérie. Au total, une demi-douzaine d'associés, dont André Rousselet, Fernand Serfati et André Rovillin, partent dans cette aventure. Roger Hanin, le beau-frère de François Mitterrand, a-t-il fait partie des premiers actionnaires de la G7 ? La légende est tenace, " il n'a en tout cas jamais eu une action après 1974 ", affirme, formel, Jean-Jacques Augier, vice-PDG de la G7 de 1987 à 1992 puis PDG du groupe jusqu'en 1996. De son côté, André Rousselet assure également que l'acteur n'a jamais figuré au rang des associés de la G7. Il précise d'ailleurs que " François Mitterrand n'y a jamais été non plus. A l'époque, il était confronté à l'affaire de l'Observatoire et avait bien autre chose à faire que de placer ses économies dans une société de taxis déficitaire. "

1979. un succès occulte dans le commerce de l'art

André Rousselet est un homme difficile à cerner. Il aime jouer sur la multiplicité de son caractère. Il est à la fois l'ami de François Mitterrand, le fondateur de Canal +, un homme d'affaires secret mais efficace à la tête de la G7, un improbable patron de presse, un élégant séducteur... Pourtant, il ne parle pas très souvent de ce qu'il aime vraiment. Au fond de l'âme, c'est un amateur d'art contemporain. Pourtant, il se garde bien d'en faire état. Il n'en a jamais fait référence dans une seule des dizaines d'interviews qu'il a accordées quand il était à la tête de la chaîne cryptée. Pas un mot, pas une ligne. C'est peut-être un moyen pour lui de garder secrète une vraie passion et de la protéger. Ses liens avec le monde artistique sont anciens. Bien avant que l'art ne devienne à la mode, il a déjà acquis, dans les années 70, une petite galerie, en fond de cour, rue Royale à Paris, dans laquelle il expose essentiellement un de ses amis, le peintre marseillais Paul Ambrogiani. Les mauvaises langues disent qu'André Rousselet n'a pas un goût très sûr, mais un sens des affaires suffisant pour vendre de la peinture à des riches touristes américains. Il n'en a que faire.

En 1979, quand la très prestigieuse Galerie de France, confrontée à des difficultés financières, est à vendre, il se lance. En grand. Par la plus belle porte. [...] André Rousselet a 57 ans, l'âge auquel certains pensent à leur retraite. Ce n'est vraiment pas son cas. Il pense que les choses intéressantes doivent se faire, même tardivement. De toute façon, à l'époque, personne ne croyait qu'un jour François Mitterrand pourrait être élu président, André Rousselet le premier. Loin d'envisager un retour en politique, il se dit qu'il est temps d'investir dans un secteur qu'il affectionne réellement. C'est peu dire que certains artistes l'accueillent froidement. " Qu'est-ce qu'un garagiste vient faire ici ? " demande ingénument un des peintres de la galerie. André Rousselet est cruellement blessé. Dans ce monde très fermé, il s'en tiendra donc à un vrai rôle d'actionnaire. En ayant repris la Galerie de France avec son lourd passif, sans attendre une liquidation, André Rousselet doit gérer pendant une dizaine d'années des procès émanant de différents créanciers. De plus, il met au point une technique financière assez simple : grâce à un système de société en nom collectif, il fait remonter les dettes de la galerie au niveau de la maison mère, la G7.

S'il agit en chef d'entreprise avisé, André Rousselet n'échappe pas à une certaine tradition familiale dans ses affaires. C'est ainsi qu'il propose à sa fille, Evelyne Caillaud, de travailler à ses côtés. Des trois enfants, c'est la seule qui semble intéressée par un tel projet. Son père lui laisse, de 1979 à 1982, la lourde tâche de tenter de redresser les finances de la galerie. Parallèlement, le nouveau propriétaire fait appel successivement à deux directeurs généraux - dont les noms ont été oubliés par l'histoire -, qu'il limogera tour à tour, en un an. Aucun ne lui convient. Il lui faut impérativement quelqu'un du sérail, une grande figure de l'art contemporain. André Rousselet songe à Catherine Thieck, conservatrice au musée d'Art moderne de la ville de Paris. C'est Suzanne Pagé, qui règne en maître sur son Palais de Tokyo, qui a inculqué à cette jeune conservatrice un vrai goût pour l'art contemporain, alors encore à la mode. [...]

Ancienne élève d'André Chastel, Catherine Thieck est une femme brillante et indépendante. " Qui a été le plus culotté d'accepter l'autre ? Je n'en sais rien, nous sommes joueurs tous les deux ", dit-elle. C'est à ses yeux l'exemple même d'une association de l'eau et du feu. André Rousselet ne peut s'empêcher d'affirmer son autorité dans les affaires. Catherine Thieck tient à rester maître de ses choix esthétiques. Elle n'aime pas les écoles, les courants, les modes. Ce qui l'intéresse, ce sont les artistes qui créent des oeuvres correspondant à des mondes propres, et de surcroît autonomes. Pendant plus d'une dizaine d'années, les deux associés vivront ensemble, et Catherine Thieck transmettra à André Rousselet son goût pour l'art contemporain. Sans cette rencontre, il aurait sans doute considéré que la Galerie de France n'était qu'un des multiples actifs de son groupe, la G7, dont il aurait délégué la gestion.

Hasard du calendrier. Le jour même du défilé de François Mitterrand au Panthéon, le 11 mai 1981, Catherine Thieck quitte le Palais de Tokyo, où se termine, à l'ARC, la grande exposition de Robert Malaval, pour diriger la Galerie de France. Elle n'a jamais signé de contrat d'embauche avec André Rousselet. " Il me disait ce qu'il pensait des artistes, mais ça ne m'a jamais censurée, explique Catherine Thieck. Il a parfois été décontenancé. Il a mis du temps avant de comprendre pourquoi je défendais certains artistes ", dit-elle, en reconnaissant qu'André Rousselet a su être beau joueur. Que les comptes soient bons ou mauvais, il n'a jamais demandé par exemple si tel ou tel peintre, photographe ou sculpteur rapportait de l'argent. Dès 1984, André Rousselet sort la galerie de la galaxie de la G7 pour pouvoir faire entrer Catherine Thieck dans le capital. Tous deux sont associés à 50-50 depuis cette date. Avec l'euphorie pour l'art contemporain, dopée par la politique de Jack Lang dans le début des années 80, la Galerie de France devient un lieu incontournable. Réinstallée dans un très grand espace, entièrement blanc, au fond d'une cour, rue de la Verrerie, à Paris, à deux pas du grand magasin du BHV, la galerie est véritablement relancée. Les expositions de Rebecca Hom, Matta, Gilles Aillaud se succèdent, souvent saluées par la critique. Le patron de Canal + est généralement là les jours de vernissage, mais davantage pour soutenir Catherine Thieck que par réelle envie. En fait, il aime plus que tout avoir la galerie pour lui tout seul, quelques heures avant le vernissage. Souhaitant sans doute être très libre devant une oeuvre, il n'aime pas vraiment non plus visiter les ateliers d'artistes. " La mise à nu est trop forte, le rapport, trop intime ", explique Catherine Thieck. Pourtant, André Rousselet accepte de la part de certains artistes des remarques qu'il ne tolérerait de personne d'autre. C'est un monde qui le fascine, qu'il connaît finalement moins bien que celui des affaires. Il en est parfois presque timide. Lui qui est pourtant capable de lancer les pires horreurs à un Premier ministre ou à un quidam dans un ministère...

1987. un homme de confiance dans le rousselet business

Leur rencontre a été étonnante. En 1987, alors qu'il est très occupé par la présidence de Canal +, André Rousselet se décide, faute de temps, à déléguer réellement la gestion quotidienne de son groupe personnel. Il a entendu parler des qualités de Jean-Jacques Augier, qui a bouclé, un an plus tôt, l'acquisition, pour plus de 2 milliards de dollars, d'une filiale de télécommunications du géant américain International Telephon & Telegraph (ITT) pour le compte de la Compagnie générale d'électricité (CGE), alors présidée par Georges Pébereau. Vrai fort en thème, Jean-Jacques Augier est à la fois énarque, inspecteur des finances et polytechnicien ; il a clairement l'intention de quitter la CGE au moment de l'arrivée de Pierre Suard, mais doit terminer les fusions-acquisitions en cours. André Rousselet le reçoit, rue Olivier-de-Serres, dans son bureau de Canal + orné d'une splendide toile de Matta. " Je cherche quelqu'un qui s'occupe de mes affaires privées. Si vous venez, vous aurez toute ma confiance ", lui promet-il. Le président de Canal + y va de son grand numéro de charme. Il lui fait faire le tour du propriétaire. Jean-Jacques Augier est effondré : à Saint-Ouen, il découvre un vieux garage, à Clichy, l'immeuble est vieillot. Ce qui tient lieu de comptes est loin d'être orthodoxe. Manifestement, le groupe est à l'abandon. Pourtant, André Rousselet le séduit, lui affirme qu'il n'y a pas de honte à compter les pneus, à faire du " terrain ". Proche de Jacques Delors, également très ami avec François Hollande, Ségolène Royal et Frédérique Bredin, Jean-Jacques Augier sait que cette aventure n'est pas raisonnable, mais l'homme lui semble extraordinaire. Il se lance, malgré les injonctions de tous ses amis, qui lui affirment : " Dans tout groupe familial, il n'y a pas d'avenir, ce sont les héritiers qui, un jour, prendront les rênes. " Une donnée que le futur président de la G7 a très vite intégrée, même si en 1987 les enfants d'André Rousselet sont encore très jeunes. Né le 23 octobre 1965, Nicolas, le fils le plus intéressé par le monde des affaires, n'a pas encore fêté ses 22 ans et termine ses études à HEC.

1990. des remorqueurs qui rapportent

En 1990, quand le taxi gagne de l'argent, André Rousselet envisage de diversifier, de façon beaucoup plus spectaculaire, le groupe, dont le chiffre d'affaires avoisine les 250 millions de francs. Le dossier de la cession de la Compagnie française d'investissements dans les transports (CFIT) est proposé à bon nombre de candidats potentiels. Ce holding, contrôlé par le financier Edouard Stern - le gendre de Michel David-Weill, le patron de la prestigieuse Banque Lazard - et par Gaz et Eaux, une entité dans l'orbite de Lazard, regroupe des actifs variés dans le transport et annonce un volume d'affaires entre 4 et 5 milliards de francs. Initiée par Pierre Legras, la CFIT coiffe en fait trois entités hétéroclites : les Magasins généraux de France, donc des entrepôts ; Sanara, une entreprise de transport routier (dont le chiffre d'affaires est évalué à 2,5 milliards de francs), et la Provençale de gestion maritime (Progemar), une société de remorquage portuaire. Pour tous les financiers qui regardent ce dossier, la Progemar, c'est vraiment le mistigri, l'entreprise dont il faut absolument se débarrasser. Très fortement syndiqués CGT, les employés de la Progemar sont souvent en grève. De plus, des armateurs viennent d'attaquer l'entreprise pour ne pas avoir pu effectuer leur transit de marchandises, en raison précisément d'une grève très longue. Pourtant, c'est ce petit canard boiteux qui intéresse Jean-Jacques Augier. Il est le seul à s'apercevoir que la valorisation retenue pour la Progemar est fausse. La banque d'affaires chargée du dossier ne donne que quinze ans de vie aux remorqueurs, alors qu'en fait ces bateaux durent tranquillement le double. C'est en s'appuyant sur ce constat que le président de la G7 envisage de faire une offre sur toute la CFIT, le prix demandé étant de 600 millions de francs, quitte à revendre ensuite une partie des actifs. André Rousselet est séduit par ce projet. Pourtant, c'est quand même extrêmement risqué : l'opération consiste en gros à investir presque trois fois le chiffre d'affaires de la G7, pour ne garder que la seule entreprise dont personne ne veut... André Rousselet aime parier et n'hésite pas très longtemps avant de donner son feu vert à Jean-Jacques Augier, qui depuis son enfance est un grand passionné du monde maritime.

En mars 1990, Edouard Stern reçoit un chèque de plus de 600 millions de francs de la G7 et en trois mois, avant la fin de juin, la moitié des entrepôts des Magasins généraux de France est cédée à Alain Malard, tandis que Sanara est revendue à un groupe de transport italien basé à Trieste - qui déposera son bilan par la suite. Pierre Legras rachète quant à lui Emeraude Lines, une petite compagnie maritime qui assure la liaison entre les îles Anglo-Normandes Jersey et Guernesey. Parallèlement à ces cessions, Jean-Jacques Augier met en place toute une mécanique interne de fusions-absorptions de certaines filiales de la G7, dans le but de redistribuer les dettes de l'entreprise pour bénéficier au mieux de capacités d'emprunt auprès des banques. Tout marche comme sur des roulettes : le prix de revient de la Progemar et de la moitié des Magasins généraux de France est finalement très modeste. La Progemar a été fondée par André Blohorn, qui a fait fortune en Afrique dans les arachides, les huiles et le savon avant de rapatrier ses capitaux en métropole, à la fin des années 50. C'est sur les conseils de la Banque Worms qu'il rachète des sociétés de remorquage portuaire, qui bénéficient toutes, en France, d'un monopole de fait. A la mort d'André Blohorn, son fils lui succède mais disparaît lui aussi, de façon très prématurée, un an après. C'est à ce moment que Pierre Legras constitue la CFIT, en ayant d'abord racheté ce groupe familial, auquel il adjoint d'autres entreprises. Une fois de plus, André Rousselet se retrouve actionnaire d'une entreprise qui n'a rien de très sexy. Après les taxis, les garages, c'est l'ère des remorqueurs portuaires. Tout sauf l'activité noble des mers, historiquement réservée en France aux armateurs. Qu'à cela ne tienne. Il va, comme pour les taxis G7, faire le ménage et tenter de proposer une meilleure qualité de services pour redorer l'image de l'entreprise. [...] Pour redonner une belle image et une certaine fierté aux 800 salariés de ce groupe, la Progemar est rapidement rebaptisée Les Abeilles, du nom de la filiale du Havre, connue plus particulièrement pour ses exploits de sauvetage en mer. L'entreprise intègre le club très fermé du Comité central des armateurs de France.

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