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Économie

Crise de l'euro : Valéry Giscard d'Estaing répond à Paul Krugman

Selon l'ex-président de la République, il n'y a pas de crise de l'euro, mais une mauvaise gestion par certains pays de leurs obligations.
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Valéry Giscard d'Estaing
Valéry Giscard d'Estaing.
Miguel Medina/NBC/AP/SIPA

Challenges a demandé à Valéry Giscard d'Estaing ce qu'il pensait du dernier ouvrage de Paul Krugman sur la crise de l'euro (pour lire un extrait de ce livre corrosif, cliquez ici).  L'ancien Président de la République livre ci-dessous le fond de sa pensée.

"Paul Krugman a reçu le prix Nobel pour ses travaux sur le commerce international, mais il n’est pas un spécialiste des questions monétaires. Il nous livre un travail intelligent et intéressant, qu’il faut lire, mais qui est le produit d’une culture économique anglo-saxonne, où ce sont les éléments financiers qui déterminent la croissance. Il dit brillamment des choses, mais il le fait avec des yeux américains, les yeux de quelqu’un qui imagine que l’Europe, c’est la même chose que l’Amérique, de l’autre côté de l’Atlantique. Or l’Europe, c’est autre chose. Une autre histoire et d’autres comportements. Aujourd’hui, c’est une volonté de ne pas abandonner -l’euro, comme l’a rappelé encore récemment Mario Draghi, le président de la Banque centrale, en dépit du harcèlement des médias anglo-saxons.

Mais il faut commencer par le commencement : il n’existe pas de "crise de l’euro". C’est une expression médiatique et politique. Une crise monétaire se reconnaît à un taux de change qui chute, ou au fait que les gens refusent d’être payés avec cette monnaie. Personne ne refuse d’être payé en euro, et son cours aujourd’hui navigue autour de 1,30 dollar. Ce que l’on appelle crise de l’euro, c’est en fait la mauvaise gestion par certains pays membres de leurs obligations vis-à-vis de la monnaie commune.

Le décrochage s’est fait après 2000

Il faut lire l’article 104 du traité de Maastricht qui dit très exactement ce qu’il aurait fallu faire : les Etats membres évitent les déficits excessifs, la Commission surveille… L’article 1er du protocole 12 sur les déficits excessifs fixe les limites (3 % du PIB pour le déficit, 60 % pour la dette). Nous ne l’avons pas tenu : le reproche n’est pas à faire à l’euro, mais à ceux qui n’ont pas respecté leurs engagements. Et ni Schröder ni Chirac ne sont exempts de reproches à ce sujet, puisque le décrochage s’est fait après 2000, alors qu’ils avaient signé le traité d’Amsterdam en 1997 qui avait renouvelé ces engagements.

Voyons maintenant les arguments de Paul Krugman qui méritent d’être discutés : il a raison de rappeler que nous ne sommes pas seulement face à un problème de non-respect de règles de déficit budgétaire. La question se pose de savoir si, au sein d’une même zone monétaire, deux Etats qui ont des compétitivités différentes peuvent vivre ensemble. Krugman confirme que l’existence de l’euro rendant impossible une dévaluation, l’ajustement ne peut se faire que par des baisses de salaires et de coûts. Cela n’est possible qu’à la condition de rester dans certaines limites, acceptables par l’opinion. Mais sa solution, préconisant un ajustement semblable à une pseudo-réévaluation, en poussant les Allemands à faire davantage de croissance, stimulée par la Banque centrale avec l’objectif de faire monter les salaires, est tout aussi contestable que la dévaluation virtuelle qu’il condamne. Les Allemands n’en voudraient pas davantage, et on ne peut pas la leur imposer.

Il faut un président de la zone euro qui inspire confiance

Deuxième registre où Krugman se trompe. Il compare la situation au Nevada et en Irlande, deux Etats en faillite, pour montrer que l’un fait partie d’un ensemble où les solidarités continuent de fonctionner, alors que, dans l’autre, les solidarités -disparaissent. Le Prix Nobel oublie seulement de préciser que l’Europe ne vise pas à être ce que sont les Etats-Unis, c’est-à-dire un pays avec un fédéralisme fort et centralisé. Elle vise à avoir une zone monétaire avec une organisation qui fonctionne. Or nous n’avons pas mis en place la structure élémentaire de fonctionnement du système.

Cela serait pourtant simple : il faut un président de la zone euro qui inspire confiance – allemand, tout le monde pense au ministre des Finances – et un secrétaire général français qui ferait marcher les rouages –, deux noms au moins me viennent à l’esprit. Avec en parallèle la promesse du retour progressif aux équilibres budgétaires, tout le marché se calme, car il n’y a plus d’espace pour la spéculation.

Instituer une vraie coordination de la zone euro

Paul Krugman nous dit une chose juste : la création de la monnaie commune doit comporter une part de solidarité. Il faut l’introduire dans le système, et c’est l’objet précisément du Mécanisme européen de stabilité. Seulement, le Prix Nobel écarte le facteur temps – on ne peut rétablir en un an ou deux dix années de déséquilibre. Plus tard, on pourra mettre en commun, non pas la dette ancienne, mais la dette nouvelle, ce qui débouchera à terme sur un Trésor européen. Mais ce sont des mouvements dans la durée.

Il faut enfin séparer clairement le fonctionnement de l’Europe à 27 de celui de la zone euro, et arrêter les divagations actuelles sur un fédéralisme général qui n’a aucune chance d’aboutir et ferait capoter le système. Nous avons seulement besoin d’une coordination macroéconomique, budgétaire et fiscale. Ce n’est pas rien, et il existe déjà une amorce de cela avec les Grandes Orientations des politiques économiques. Pour éviter les interférences, je suggère de faire fonctionner cette institution à Strasbourg. Bruxelles reste la capitale de l’Europe à 27. La zone euro, elle, doit partager son centre névralgique entre Francfort pour la monnaie et Strasbourg pour les réunions de politique économique". 

 

Valéry Giscard d'Estaing, pour Challenges 

 

 

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