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Économie

Cet économiste qui veut instaurer un ISF mondial pour lutter contre les inégalités

Dans son dernier ouvrage, Le capital au XXIe siècle, Thomas Piketty dévoile "le péché originel du capitalisme". Challenges a rencontré cet économiste qui s'inquiète de l'accumulation de patrimoine des familles les plus aisées.
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356 Rencontre Piketty
Thomas Piketty, dans son bureau à l'Ecole d'économie de Paris.
Bruno Levy pour Challenges

C'est dans son petit bureau, rempli de livres du sol au plafond, que nous reçoit la star de l'Ecole d'économie de Paris, dont les travaux sur les 1% les plus riches ont retenti jusqu'aux Etats-Unis. Sollicité de partout mais soulagé d'avoir accouché de son grand œuvre, il fait l'événement avec la sortie de son essai, Le Capital au XXIe siècle. Une somme de près de mille pages qui retrace sur trois siècles et vingt pays la dynamique des inégalités de richesse. Le pavé peut intimider, et ce serait exagéré de dire qu'il se lit comme un polar. "Mais il faut dire aux gens que c'est accessible, plaide l'auteur avec passion.

La question est trop sérieuse pour être laissée aux économistes académiques ou aux politiques démagogues. Les citoyens doivent en saisir l'enjeu!" Et l'effort de lecture vaut la peine. Parce que l'ouvrage, pédagogique, dévoile "le péché originel du capitalisme", qui porte en germe "un risque explosif pour nos sociétés démocratiques". "Naturellement, le système tend à favoriser le rendement du capital sur le fruit du travail, résume l'économiste. Au fil du temps, il génère donc un accroissement inexorable des inégalités."

La mécanique est simple. Sur le long terme, Piketty a constaté que la rente du capital (intérêts, dividendes, loyers, plus-values…) rapporte, en net, près de 5% par an, et dépasse durablement la croissance économique, qui, dans les pays avancés, plafonne autour d'1% l'an. "C'était vrai dans l'histoire jusqu'au XXe siècle et ça redevient la norme au XXIe siècle , analyse-t-il. Résultat : les patrimoines, issus des revenus du passé, grossissent plus rapidement que la progression, lente, des nouveaux revenus, et les héritiers s'enrichissent de manière exponentielle par rapport aux travailleurs."

La méritocratie en danger

La démonstration est inattaquable, étayée par une plongée sans précédent dans les archives séculaires successorales et fiscales des grandes nations, menée pendant quinze ans par une équipe internationale d'une dizaine de chercheurs. "Bientôt, cette accumulation toujours plus forte des patrimoines deviendra insoutenable, en contradiction avec nos principes de justice sociale et nos beaux discours sur la méritocratie, assène Piketty. Même les plus fervents libéraux devraient s'en inquiéter!"

Et de conseiller de relire Le Père Goriot, de Balzac, dans lequel l'ancien bagnard Vautrin expose cyniquement au nobliau Rastignac que le plus sûr moyen de faire fortune serait encore d'épouser la richissime Victorine, plutôt que d'étudier le droit en espérant devenir procureur du roi.

La France serait-elle revenue deux siècles en arrière, quand hériter valait mieux que travailler ? Pas tout à fait : à l'époque, les 10% les plus riches accaparaient 90% du patrimoine total. Aujourd'hui, ils en détiennent 62%… quand les 50% les plus pauvres n'en ont que 4%.

La différence est que s'est dévelop­pée au xxe siècle une classe mo­yenne, les 40% du milieu, qui a réus­si à s'arroger un tiers du patrimoine national. Elle s'est constituée pen­dant le brusque épisode de réduc­tion des écarts de richesse, des an­nées 1930 à 1970. Mais, relève Piketty, pour que survienne cette "parenthèse enchantée", il a fallu deux guerres mondiales, qui ont dé­truit une bonne part du patrimoine existant, puis, surtout, amené une croissance vigoureuse "de rattrapage" pour la reconstruction… ainsi que l'instauration de systèmes fiscaux redistributeurs.

La logique de l'arme fiscale

A partir des années 1980, les patrimoines se sont reconstitués, la croissance a freiné, la mondialisation a poussé à la dérégulation. Et le capitalisme est revenu à sa nature inégalitaire. "Il suffit de regarder le classement des 500 fortunes de Challenges, souligne notre attentif lecteur. On y observe que les très riches ne se sont jamais aussi bien portés, qu'il y a là bien plus d'héritiers que d'entrepreneurs, et que leur fortune croît de 6 à 8% par an malgré la crise."

Pour corriger ces excès, il ne voit qu'un moyen : instaurer un impôt progressif sur le capital… mondial. L'idée paraît irréaliste à l'heure où la France est quasi seule dans le monde à prélever encore un ISF, et où les nations font assaut de concur­rence fiscale pour attirer les super-riches, plutôt que les surtaxer. Mais, à 42 ans, l'ex-conseiller de Ségolène Royal et inspirateur déçu de la cam­pagne de François Hollande ne désespère toujours pas de l'action politique. "Les Etats ont besoin d'argent, la logique les poussera à le chercher là où il est, prévoit-il. Déjà, on progresse dans la lutte contre les paradis fiscaux, ce qui pourrait au moins permettre de lever le voile sur le cadastre mondial des patrimoines, jusqu'à présent opaques." Selon lui, l'arme fiscale est le seul "remède civilisé pour résoudre la violence sourde des inégalités". Si­ non, "elle dégénérera en révolte sociale, repli protectionniste ou poussée populiste". La solution reste à débattre mais le problème est ma­gistralement posé.

 


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