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Économie

La vérité sur la faillite d'une mutuelle étudiante

La LMDE, organisme proche du PS, a accumulé les dérapages de gestion à la faveur d’un système ubuesque. Elle a été placée sous sauvegarde.
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423 Vérité LMDE
Dans un forum d'orientation post-bac.
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C’est l’histoire d’une longue descente aux enfers, émaillée de grosses fautes de gestion et de petites lâchetés politiques. Déjà mise sous tutelle par l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (Acam) l’été dernier, la LMDE (La Mutuelle des étudiants) a été placée sous sauvegarde de la justice le 9 février. Ses 35 millions d’euros de dette, dont 12 auprès de la MGEN, la mutuelle des enseignants, sont donc gelés. L’administratrice provisoire, Anne-Marie Cozien, a six mois pour redresser la barre et sauver ce qui reste du régime de sécurité sociale étudiant. Un système kafkaïen, sans équivalent en Europe, qui a déjà été épinglé par l’UFC-Que choisir, le Sénat, la Cour des comptes et les inspections ministérielles.

Faible productivité

La LMDE bénéficie d’une délégation de service public et gère le régime obligatoire des étudiants à la place de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam). Mais elle a aussi une activité commerciale et vend des produits d’assurance complémentaire. Dans les deux cas, elle est en concurrence avec des mutuelles étudiantes régionales (dont la Smerep), même si la couverture de base est identique.

Une situation ubuesque et illisible pour les étudiants. La LMDE dépense à tout-va pour surveiller ses rivales, élaborer des argumentaires de vente et embaucher des centaines de jeunes VRP à chaque rentrée. Au risque de négliger la gestion courante du régime obligatoire. La productivité est faible (50% des dossiers sont traités à la main), et les frais de fonctionnement n’ont cessé de grimper : 58 euros par affilié, alors que la Cnam n’octroie à la LMDE que 48 euros de remises de gestion.

La qualité de service laisse aussi à désirer. En 2012 et 2013, les étudiants pouvaient passer des mois sans être remboursés. "Les affiliés sont moins nombreux à venir nous voir à ce sujet, observe Gérard Pain, qui a monté une association d’aide aux "victimes". Mais il reste très difficile d’obtenir des attestations administratives ou de contacter les services." Le taux de réponse aux appels plafonne à… 8%. "L’insuffisance des moyens consacrés à la fonction téléphonique résulte d’un arbitrage assumé de la direction", a dénoncé la Cour des comptes.

Restructuration absurde

Les magistrats pointent aussi "le manque de vision stratégique" de la gouvernance étudiante. Une assemblée générale de 220 jeunes, élus par 1% des affiliés, désigne le conseil d’administration, qui nomme le directeur opérationnel. Les élus étudiants ont notamment avalisé le plan de restructuration raté de 2010. Le nombre de centres de remboursement a été réduit, des directions régionales ont été créées pour chapeauter les 60 agences, et 130 employés ont été licenciés. Mais ils ont été remplacés l’année suivante.

"Le nouveau centre d’appels de Rungis, peu accessible en transports, a été plombé par le turnover des salariés", peste aussi Dominique Corona, du syndicat Unsa. Le plan a désorganisé les équipes sans améliorer la productivité et coûté plus de 7 millions d’euros. "Il a été mal conçu, mal conduit, et le dialogue social a été médiocre, tacle un haut fonctionnaire. Les dirigeants n’avaient pas les compétences et la LMDE n’avait pas les reins assez solides pour le mener." Cela n’a pas empêché le directeur général Frédéric Bonnot, un ancien trésorier de l’Unef, de devenir secrétaire général administratif du Parti socialiste. Car la gauche est loin d’avoir coupé les ponts avec l’ex-Mnef.

Noyautée par l’Unef

De fait, la survie du régime et de la LMDE doit beaucoup au poids politique de l’Unef. Le syndicat a noyauté le bureau national de la mutuelle, dont les membres sont payés 1.500 à 1.900 euros par mois, et recevait 90.000 euros par an au titre d’un partenariat de communication, jusqu’à ce qu’Anne-Marie Cozien y mette fin. "C’est un tigre de papier, mais les gouvernements de tout bord ont peur de se fâcher avec les seuls porte-parole organisés des jeunes, confie un cadre socialiste. Pour le PS, l’Unef reste un des rares viviers de militants formés à l’organisation de meetings et de campagnes électorales."

Plusieurs hiérarques du PS sont passés par l’Unef ou la LMDE, à l’image de la secrétaire d’Etat à la Famille Laurence Rossignol, rémunérée comme chargée d’études de 1993 à 2011. Le lobbyiste en chef de la mutuelle reste Benoît Hamon, dont le courant est majoritaire au sein de l’Unef. Ministre de l’Economie sociale, puis de l’Education d’avril à août 2014, il a fortement pesé pour maintenir le système. Son conseiller en charge du dossier, Jean-Baptiste Prévost, ex-président de l’Unef, a été conservé par la nouvelle ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem. "Le dossier est un bâton merdeux, décrypte un conseiller ministériel. Personne n’était convaincu qu’il fallait sauver les mutuelles étudiantes, mais personne ne voulait prendre le risque d’une loi pour les supprimer."

Matignon espérait que l’adossement technique à la MGEN, initié en 2013, permettrait de résoudre les problèmes sans trancher dans le vif. Cinquante salariés, notamment de la comptabilité, ont été transférés et 250 autres devaient suivre. Mais le processus s’est arrêté subitement, et la MGEN s’est retirée à l’automne 2014. Depuis, l’UMP Catherine Procaccia a fait adopter par le Sénat une proposition de loi mettant fin au régime étudiant. Mais elle n’a aucune chance de passer à l’Assemblée, où la gauche reste majoritaire. Outre Benoît Hamon, redevenu député, les "frondeurs" Pouria Amirshahi, ancien président de l’Unef et de la Mnef, et Fanélie Carrey-Conte, également passée par les deux organismes, veillent au grain.

La formule de l’adossement revient donc sur la table mais, cette fois, auprès de la Cnam. "Nous avons un accord de principe verbal pour la reprise d’une majorité des salariés du back-office, la LMDE conservant notamment le volet prévention, explique Anne-Marie Cozien. Mais nous discutons encore du montant des remises de gestion." L’opération coûterait 15 millions. Quant au régime complémentaire, trois mutuelles sont en lice, et le choix devrait se faire d’ici à la mi-mars. Dans les deux cas, les élus étudiants garderont la main sur les instances dirigeantes, au grand soulagement de l’Unef et du PS.    

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