Nicolas Sarkozy a fait entendre un son de cloche tout à fait discordant par rapport aux prises de positions des membres de son gouvernement dans l'affaire de l'interpellation controversée de Vittorio de Filippis, l'ancien directeur de la publication de Libération, vendredi 28 novembre.
Le chef de l'Etat a assuré, lundi 1er décembre, dans un communiqué, comprendre "l'émoi" suscité par le sort de M. de Filippis, interpellé à l'aube, humilié et menotté, pour une plainte en diffamation en raison d'un commentaire d'un internaute de Xavier Niel, fondateur du fournisseur d'accès Internet Free.
Face à la vague de protestations, tant dans les médias qu'au sein de la classe politique, M. Sarkozy a appelé à une dépénalisation de la diffamation et à une nouvelle réforme de la procédure pénale. L'Elysée a "confié à la commission présidée par Philippe Léger, avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), la mission de travailler à la définition d'une procédure pénale modernisée et plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes", souligne le communiqué.
Lancée en octobre par Rachida Dati, ministre de la justice, cette commission doit présenter d'ici au 1er juillet 2009 un projet de réforme du code pénal et de sa procédure pour rendre le droit "plus cohérent et plus lisible". M. Sarkozy a également rappelé avoir demandé à la garde des sceaux de "mettre en oeuvre les propositions de la commission Guinchard qui préconise notamment la dépénalisation de la diffamation". L'universitaire Serge Guinchard a rendu fin juin à Rachida Dati le rapport du groupe de travail qu'il présidait sur une nouvelle répartition des contentieux. Le projet de loi reprenant ces recommandations doit être examiné par le Parlement "dès le début de l'année 2009", conclut l'Elysée.
VERSION CONTESTÉE
Laurent Joffrin, PDG de Libération, s'est dit satisfait des propos de M. Sarkozy. constatant que le président a "contredit en deux phrases sa ministre de la justice et sa ministre de l'intérieur (Michèle Alliot-Marie)". Interpellée lundi matin au Sénat par Jean-Pierre Sueur, sénateur PS du Loiret, Mme Dati avait affirmé que la procédure du mandat d'amener pour une banale affaire de diffamation était "tout à fait régulière". "Un citoyen qui ne défère pas aux convocations, on lui envoie un mandat d'amener (...) comme c'est le cas dans cette affaire", a-t-elle dit devant les sénateurs. Et ce "à trois reprises", a-t-elle ajouté.
Version contestée par Me Jean-Paul Lévy, avocat de Libération : "Je n'ai pas vu les trois convocations dans le dossier." Me Lévy songe à des recours contre la procédure dans son ensemble.
Mme Alliot-Marie avait, quant à elle, assuré que "la police avait suivi les procédures" pour exécuter le mandat d'amener et que M. de Filippis n'avait "pas été menotté devant ses enfants". Dans leurs rapports transmis à l'AFP, les policiers, intervenus au domicile du journaliste, au Raincy (Seine-Saint-Denis), disent avoir été "courtois et patients", démentant avoir insulté M. de Filippis. Selon les fonctionnaires, le journaliste a été menotté durant son transfert au Palais de justice de Paris "pour des raisons de sécurité".
Quoi qu'il en soit, cette affaire suscite indignation et malaise. Plusieurs voix ont demandé l'ouverture d'une enquête. Jean-Claude Magendie, premier président de la cour d'appel de Paris, a demandé des explications sur les conditions dans lesquelles a été délivré et appliqué le mandat d'amener. La cour d'appel a ordonné une enquête interne. Il s'agit de savoir si M. de Filippis n'a pas répondu à une ou plusieurs convocations et si cette omission justifiait la méthode utilisée.
"Nous maintenons que le mandat d'amener était un moyen disproportionné et irrégulier", écrit Laurent Joffrin, mardi 2 décembre, dans le quotidien.
"Il n'y a aucune proportionnalité entre le fait que quelqu'un soit accusé parce que, sur son site, un internaute a dit quelque chose qui portait atteinte, semble-t-il, à quelqu'un, et puis le fait qu'on vienne l'arrêter au petit matin dans ce déploiement de violence, de brutalité, en tout cas d'irrespect", a déclaré François Bayrou, président du (Mouvement démocrate) MoDem, sur RTL mardi 2 décembre. Avocat spécialiste de la presse, Me Basile Ader rappelle qu'en vertu de l'article 52 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, "si la personne mise en examen est domiciliée en France, elle ne pourra être préventivement arrêtée".
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu